Droit de réponse à l’Interview de Messaoud Ould Boulkheir du 5 novembre 2020 au Calame

Des pistes de lutte / Par Mohamed Yahya OULD CIRE

 

 

Dans une interview au Calame en date du 5 novembre 2020, Messaoud OULD Boulkheir a répondu à une dizaine de questions. Je souhaite revenir sur deux de ces réponses en clarifiant certains points et en débattant d’autres. Entrons donc dans le vif du sujet…

 

Tout d’abord… êtes-vous réellement un précurseur ?

Citation 1 :
Calame : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le président Messaoud ne participe pas aux manifestations du Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux créé, il y a quelques années ? A-t-il servi à faire avancer la cause de cette composante ?Messaoud ould Boulkheir : Il faut être un parfait taré pour accepter volontairement de troquer sa place de précurseur contre…rien. C’est aux « fondateurs du Manifeste » qu’il faut poser la question.

Monsieur Messaoud OULD Boulkheir, vous dîtes être un précurseur de la lutte, entendons par là un précurseur du mouvement ElHor. Hélas, vous disséminez une méprise si ce n’est un mensonge éhonté. El Hor a été créé le 2 décembre 1974. Son premier noyau était constitué de 3 personnes : Bilal ould Werzeg, sa sœur Koumbeït mint Werzeg (que son âme repose en paix. Elle a conseillé à Bilal d’accepter de faire partie du premier noyau de libération des Haratine) et votre serviteur Mohamed Yahya OULD CIRE .

S’il est nécessaire de le rappeler, vous vous êtes engagé dans le premier noyau en 1977 au moment où vous commenciez le cycle C de l’ENA (Ecole Nationale d’Administration) de Nouakchott. Ce sont les membres du premier groupe qui sont à l’origine de votre adhésion . Il s’agit notamment de Bilal Ould Werzeg, Ahmed Salem Ould Demba (que j’avais convaincu), Abderrahmane Ould Mahmoud (je profite de l’occasion pour saluer le rôle joué par la cousine de ce dernier qui a accueilli à plusieurs reprises nos réunions clandestines dans son domicile) ainsi que Amar Ould Ahmed Deina (qui a également hébergé certaines de nos réunions chez lui). Vous avez alors apporté au premier noyau votre expérience dans le domaine de l’administration publique. Et puis, rendons à César ce qui est à César, c’est ensuite que vous avez joué un rôle qui n’était pas des moindres, c’est-à-dire entretenir la flamme qui avait été allumée plus de trois (3) ans avant votre engagement. C’est là l’historique authentique.

Outre la volonté de rétablir la vérité, je vous invite à l’humilité. Les objectifs d’ElHor et de toutes les organisations abolitionnistes, dont A.H.M.E. que j’ai créée en 2001, sont loin d’avoir été atteints. Et, ne réduisez pas notre lutte à tous, à une bataille d’égo. Nous valons tous mieux que cela !

Ensuite…la controverse sur l’identité haratine

Citation 2 :
Calame : Que pensez-vous de cette querelle entre ceux qui disent que les Haratines sont une composante à part entière, donc différente des Beidanes et ceux qui défendent leur appartenance à la communauté arabe ?Messaoud ould Boulkheir : Pour répondre moins énigmatiquement, je ne me considère pas Beidhane (Blanc) J’ai hérité de sa culture, de sa langue et de son mode de vie qui est dorénavant le mien à tout point de vue et sans aucune ambiguïté. S’il est considéré par les autres comme Arabe, je suis aussi Arabe ; s’il n’est considéré que comme Beidhane, je partage avec lui notre culture Hassania que je considère personnellement comme culture arabe que j’assume avec fierté et en toute conscience.

Nous faisons au début presque les mêmes constats, en reprenant vos termes. Il est certain que les Haratine partagent avec les Beidhanes la culture à savoir, notre dialecte, le hassania, les mêmes habillements, les mêmes célébrations, nous cuisinons le nguëmou (plat traditionnel) de la même manière, nous logeons dans des tentes similaires, des hangars et des haillons.
Mais vous semblez oublier que notre musique rythmique Bandgë (gospel haratine), Neifarrë (flûte) et Leeb debouss ( jeu de bâtons) et je ne peux être exhaustif, sont différents. Et encore, je ne parle même pas de nos similitudes avec les Négro-mauritaniens.

Je ne vais pas rappeler ici la spécificité haratine, que j’ai longuement étudiée dans le journal « le cri du hartani », dans ma thèse, dans mon livre (Harmattan) traduit en arabe (voir www.haratine.com). Il va sans dire que, nous, les Haratine, sommes des sang-mêlés. Et les éléments culturels ne constituent pas une preuve suffisante pour confirmer notre arabité.

En vous lisant, je comprends que votre définition du terme « culture » et du concept de « communauté » qui en découle sont biaisés. Vous avez fait de votre totem le mot « communauté » si bien qu’il apparaît 7 fois dans votre interview avec tous les adjectifs: la ‘communauté nationale’, la ‘communauté haratine’, ‘communautés ethniques et tribales’, ‘communauté arabe’, ‘communauté nationale négroïde’.
Vous et moi appartenons à différentes communautés : la communauté des humains sur Terre, la communauté musulmane, la communauté africaine, la communauté noire de Mauritanie et même la communauté militante. Chacune de ces communautés a une spécificité qui est due, respectivement, à une unicité génétique, une obédience religieuse, une appartenance continentale, une ressemblance ethnique, une convergence de lutte.

Quand A.H.M.E. parle des Haratine, nous les considérons comme un groupe spécifique, monolithique, avec des caractéristiques particulières qui le distingue des autres groupes de la même échelle en Mauritanie. Voilà la réalité sociologique des Haratine.
Mais, si je suis votre raisonnement, un hartani n’a pas de spécificité vis-à-vis d’un maure (outre le fait que ce sont deux personnalités différentes). Pourquoi donc utilisez-vous un mot, en l’occurrence le mot « haratine », qui n’a aucune réalité dans votre logiciel ? Comment définissez-vous la communauté haratine ? Et à qui vous adressez-vous quand vous nommez les Haratine ?

Cependant, comble du paradoxe, vous faîtes la différence entre les Haratine et le reste de la population mauritanienne lorsque vous dîtes qu’ils « [vivotent], confinés dans leurs réserves sans eau potable, sans santé, sans écoles, sans terres, sans espace vital pour cultiver, forer un puits, construire une diguette, sans droit vis-à-vis et par rapport à leurs anciens et toujours maîtres actuels. ». Vous décrivez fidèlement la misère dans laquelle vivent les Haratine du fait d’un esclavage séculaire. Vous ajoutez même que les Haratine « subissent tout cela avec la complicité coupable du président de la République, du Premier ministre, de tous les départements ministériels impliqués, des Gouverneurs, des Préfets, des Chefs d’Arrondissement, des Juges, des Députés, des Policiers, des Gendarmes, des Militaires, des Chefs de tribus, et pour finir de tout citoyen au teint un peu plus clair que le leur en général. ».

Vous apportez en réalité ici la réponse au questionnement plus haut formulé. Un hartani ou une hartania n’est pas plus maure qu’un maure n’est haratine. Le désintérêt des beidhanes/arabes/maures pour notre communauté apporte une preuve que les Arabes et nous ne formons pas une communauté monolithique. D’ailleurs, les Maures n’ont jamais émis le souhait de nous intégrer à leur communauté si ce n’est à un rang subalterne, méprisé et tu.

Les organismes (Tadhamoum remplacé par Taazour) de lutte contre les séquelles de l’esclavage ne sont pas gérés par des haratine auxquels ils sont principalement destinés. Leur création répond à un double objectif : tromper l’opinion publique nationale et internationale et enrichir la clientèle politique essentiellement maure.

Cette situation rappelle la fameuse phrase de Nelson Mandela « Quand vous faites pour nous, sans nous, vous faites contre nous »

En guise de conclusion…

Le mouvement d’émancipation et de défense de la communauté haratine doit avancer de la manière suivante :
– Il doit se définir lui-même. Une barque sans cap ne peut qu’échouer ;
– Respectons les acteurs de notre lutte, de l’activiste discret au militant médiatisé ;
– Accordons une place au débat sur tous les sujets car personne n’a la science infuse, encore moins quand il s’agit d’idées-clés dans notre lutte ;
– Faisons bloc face aux forces qui mettent en place ou soutiennent l’oppression de notre communauté ;
– Cessons les attaques ad hominem qui n’ont d’autres conséquences que notre affaiblissement.

Le 13 Novembre 2020

Docteur Mohamed Yahya OULD CIRE
Président de A.H.M.E (Association des Haratine de Mauritanie en Europe)
www.haratine.com