Bac 2020 à Néma: Quand l’histoire a failli se répéter


La notion de l’État, tout le monde le sait, n’existe quasiment pas en nos contrées perdues. La tribu,le clan,le groupe ou bien la région priment tout. À Néma, capitale du Hodhech-Charghi, c’est ce climat qui a toujours prévalu, en dépit des efforts des hautes autorités nationalesà concrétiser et ancrer ladite notion. Trop de cadres, intellectuels et élus, pourtant censés émancipés, avec un certain degré d’éveil citoyen, entretiennent cetirrespect de l’État,en seule vue de leurs intérêts particuliers.

L’examen de la première session du baccalauréat, du 19 au 22 Septembre, a encore vérifié cette hypothèse. Cela fait deux ans que le taux d’admis, au centre du lycée de Néma,est très élevé par rapport au reste du pays. 470reçus en 2018, alors que le président du centre avait reconnu avoir été « débordé ». On comptait, cette année, mille cent candidats à Néma, alors que le nombre d’inscrits en Terminale, public et privé confondus, n’atteint pas deux cents en cette ville !Un tel massif afflux de candidats venus « d’ailleurs » : beaucoup de ressortissants de Néma et du Hodhech-Charghi, certes, mais aussi des autres régions dupays, surtout de Nouakchott ; avait de quoi mettre la puce à l’oreilledu ministère de l’Éducationqui a donc décidé, cette année, de bien superviser le bac à Néma. La présidence du centre au lycée où l’on a enregistré la majorité des candidats nouveaux venus fut confiée à un vieux briscard des examens :cela fait en effet vingt ans que Mohamed ould Sidi Yaraf,professeur et cadre au cabinet du ministre,les supervise tous.

Arrivé à Néma le Jeudi17 Septembre, conscient de la difficulté et de la délicatesse de sa mission, il prend directement contact avec le wali Cheikh ouldAbdallahiouldEwah, pour lui remettre les malles contenant les épreuves. Celui-ci convoque aussitôt une réunion de sécurité.Y assistent toutes les autorités civiles et militaires de la ville. D’habitude, la sécurité des centres d’examen dans les grandes agglomérations est confiée à la police. Mais l’expérimenté Ould Sidi Yarafdemande au wali de charger plutôt la Garde de la sécurité de l’examen au lycée, le plus grand et difficile à gérer des trois centres locaux. D’esprit ouvert et responsable, le wali répond favorablement à sa requête. SassDiop, le directeur régional de l’Éducation, assure, de son côté, avoir pris de nouvelles mesures pour le bon déroulement de l’épreuve : cette année, la surveillance ne sera confiée ni aux enseignants du Fondamental, ni aux contractuels, ni aux agents PNP, comme c’était auparavant de règle. Seuls les professeurs du Secondaire sans aucun antécédent suspicieux en auront la charge. Un atout majeur, semble-t-il.

Le jour J arrive enfin. La Garde boucle l’accès et les environs du lycée. Les surveillants tiennent les salles, sous la vigilance du président qui circule partout, l’œilaux aguets. Le wali et sa délégation viennent assister, comme d’habitude,à l’ouverture de la première enveloppe. Puis l’examen commence. Des parents de candidats tentent de se rassembler devant le lycée. La Garde les renvoie  au loin. Mais des cellules de triche sont organisées dans des maisons du quartier ; des professeurs mobilisés pour résoudre les sujets. Çava marcher comme d’habitude, les réponses parvenir sans problèmes aux candidats ?Déception : la Garde veille ; et bien !Le président et son staff cernent les salles. On essaie de lancer des papiers-réponses par-dessusle mur Ouest. Ils sont aussitôt récupérés par le président qui ordonne à des gardes de se placersur le mur pour mieux surveiller l’extérieur : les tentatives cessent aussitôt. La première matinée, quelque dix candidats sont pris en flagrant délit de triche, via téléphone numérique, et chassés illico de l’épreuve d’instruction religieuse. Ces deux échecséprouvent le moral des parents fraudeurs. Insultes et injures xénophobes se multiplient devant le lycée. Une certaine Messouda, adjointe au maire, se présente aux gardes qui informent le président.Ce dernier accepte de la recevoir. Elle passe un moment à l’insulter et le menacer. « Vil ressortissant du Trarza, tues venu pour faire échouer nos enfants ! », ose cette mégère qui ne cessera, les jours suivants, d’ameuter les gens devant le lycée.

 

Une main de fer

Le même jour, une campagne sur les media sociaux fait courir toutes sortes de rumeurs sur le président du centre. De hauts responsables et élus locaux prennent contact avec le ministre de l’Éducation pour qualifier Ould Sidi Yaraf de tous les maux. Leditministre demande des explications au directeur des examens. Celui-ci lui répond que ce président a été choisi parcequ’il est capable de bien mener sa mission et de ramenerà l’ordre le centre fautif. Les autorités de Néma confirment, le wali félicitant même Mohamed ould Sidi Yarafd’avoir tenu l’examend’une main de fer. Au final, c’est en vain queles cellules de triche se seront échinées, durant les quatre jours du bac, à tout tenter pour faire parvenir des réponses aux candidats.Sans la rigueur, la compétence et la responsabilité du wali, épaulé par ses collaborateurs et, surtout, le colonel de la Garde, le président du centre aurait subi le sort de son prédécesseur en 1996. Aux dernières nouvelles, certains parents, dont de hauts responsables, font courir la rumeur infondée que le bac a été annulé à Nema et qu’il sera réorganisé. La vanité des gens qui se croient, chez eux, maîtres du Monde, ne craint ni le ridicule ni l’opprobre nationale. Mais il leur faudra bien apprendre, tôt ou tard, que l’État est certes un service mais régalien. Et le plus tôt sera le mieux… s’ils tiennent à conserver leur position sociale : la roue tourne. Inexorablement.

Haiba S.