Mais où est donc l’opposition ? Par Pr ELY Mustapha

Mais où est donc l’opposition ? Par Pr ELY MustaphaSi l’opposition, aujourd’hui, a « disparu » de la scène politique, c’est que dès le début, les chefs de l’opposition ont fait la queue leu leu devant Ould Ghazouani. Un président élu à une majorité écrasante et qui ne sort pas de leurs rangs et…plus incroyable encore, que lui demandaient-ils ? Qu’il applique leur programme et de les associer à la gestion du pays!

Mais alors se demandera le pauvre citoyen, si le Président applique les doléances de l’opposition alors à quoi sert l’opposition ? Et pourquoi l’opposition n’a-t-elle pas tout simplement soutenu, lors des dernières élections, Ghazouani, si celui-ci était prêt à appliquer ses propositions ?

Étonnant n’est-ce pas, qu’une opposition, qui se veut opposition, requiert que le Président se substitue à elle pour réaliser ce pour lequel, elle milite ? Il y a alors deux cas de figure.

Le premier cas, serait que Ghazouani décide d’appliquer les doléances de l’opposition et dans ce cas, l’opposition ne servant plus à rien, puisqu’elle s’est vidée de sa substance, il serait logique qu’elle soit tout simplement dissoute.

Le second cas de figure, serait que Ghazouani n’exécute que son propre programme et que l’opposition qui défile en file indienne devant lui ne sert qu’à être anesthésiée par des promesses, qui lui permettront de la tenir dans l’expectative en attendant qu’il affermisse son pouvoir.

Dans les deux cas, une chose est certaine : Ghazouani est bien plus malin et plus stratège que l’opposition. Il manœuvre au RALENTI en attendant la sortie du virage… de son premier mandat.

Mais pour le pauvre citoyen mauritanien qui a voté pour l’opposition c’est le cauchemar. Il vient de comprendre, tardivement hélas ! qu’il n’y a jamais eu d’opposition véritable et que même s’il a existé un « esprit » d’opposition, ses dirigeants ont vendu son âme et la leur dans les « dialogues » et autres « concertations » qui ont depuis les putschs militaires successifs aspiré son énergie.

En effet, au-delà de l’argumentaire de la « paix sociale », de « l’entente » qui anime ces dialogues du pouvoir qui ont fait saliver depuis des décennies l’opposition, il est un constat démocratique invariable et sur lequel se bâtit l’équilibre du pouvoir : « UNE OPPOSITION QUI DIALOGUE N’EST PAS UNE OPPOSITION ».

Une opposition qui dialogue, est une opposition qui trahit l’esprit du jeu partisan fondement de la démocratie, elle détruit l’essence même du jeu politique, à savoir servir de contre-pouvoir pour orienter, influencer et puis, si possible, conquérir le pouvoir en proposant des alternatives nouvelles, de nouvelles voies du possible et du réalisable en capitalisant sur l’expérience et les échecs du pouvoir en place.

L’opposition d’aujourd’hui est un médiocre reflet de ce que l’opposition doit être dans un État démocratique.

Une opposition qui dialogue n’est pas une opposition.

Appelez-là ce qu’il vous conviendra de l’appeler : juxtaposition, transposition, permutation, interversion, inversion…mais ne l’appelez pas opposition. Cette opposition qui recherche ou qui va au dialogue avec le pouvoir est le pire des maux que la Mauritanie puisse subir. S’opposer à cette opposition-là est le premier devoir de tout citoyen concerné par l’avenir politique de son pays.

Quel devrait être le comportement d’une opposition digne de ce nom ?

Une opposition s’organise, collecte ses moyens matériels et financiers prépare son programme politique, le vulgarise, rencontre ses militants, génère des alliances, déploie son énergie à rassembler une opinion qui lui soit favorable, en d’autres termes prépare avec militantisme sa participation aux prochaines élections.

Mais une opposition toute tournée vers la contemplation du pouvoir et attendant de son détenteur qu’il l’apostrophe, est un réceptacle d’une misère partisane tendant sa gamelle pour y recueillir les postillons d’un dialogue qui est devenu tout son programme.

Le devoir de tout Mauritanien, est de ne pas intégrer cette opposition-là mais plutôt de la fuir comme une peste institutionnelle. Si on a piétiné tout un peuple et accaparé le pouvoir, ce fut et c’est toujours à cause de cette opposition-là.

Historiquement, rappelons-nous…

Vivant sur les relents d’un accord de Dakar mort-né, croyant qu’elle a encore un poids dans les institutions de l’État, pour mener Aziz vers quelques concessions, l’opposition s’est gourée et continue de l’être.

Elle réclame une réponse écrite, mieux encore un engagement écrit d’Aziz sur les points de discorde qu’elle lui a fait parvenir et conditions du dialogue…. Opposition du ridicule.

Aziz n’avait pas demandé à l’opposition son avis en prenant de force le pouvoir, il ne lui a pas non plus demandé de s’exprimer en se faisant « légaliser » par les urnes. L’opposition ne sert à rien pour Aziz et Aziz le savait.

Ce qui a servi Aziz c’est que l’opposition continue à saliver, comme un cabot attendant un os, en lui miroitant le dialogue. Le dialogue, fut pour Aziz, un instrument machiavélique. Il l’avance quand sa mauvaise foi l’y pousse et il le retire chaque de fois que l’opposition y croit.

Cette opposition-là, fait le jeu du pouvoir. Et c’est en cela qu’elle est dangereuse. Elle est composée de groupes d’individus, sous-fifres, qui constituent une sorte de courroie de transmission avec le pouvoir. Ce sont ces groupes-là qui constituent les « poignées » dont se saisit le Pouvoir pour appâter l’opposition.

Ces « poignées » sont composées de dirigeants aigris par le pouvoir et qui ne savent plus comment y accéder, mais aussi d’individus membres qui « monnayent » leur participation au pouvoir et qui émulent au sein de l’opposition une espèce de « psychose » du dialogue où le délire de l’intéressement matériel n’est pas absent.

Toujours est-il que cette opposition intéressée au dialogue, est le dindon de la farce.

Rappelons-nous que si le pays en est arrivé là, c’est à cause de l’opposition. Si aujourd’hui Ould Abdel Aziz est au pouvoir, c’est à cause de l’opposition. L’opposition juillettiste n’a donc que ce qu’elle a semé.

Cette opposition-là qui s’est précipitée pour négocier à Dakar la réédition d’un président élu, n’a aujourd’hui que ce qu’elle mérite. En Mauritanie, le peuple n’a pas seulement les gouvernants qu’il mérite il a aussi l’opposition qu’il mérite. Et c’est à cause de cette opposition-là, ses dissensions internes, son opportunisme et sa course en rangs dispersés à la présidence lors des dernières élections, que le pays est ainsi gouverné.

Une opposition qui dialogue, pour pérenniser sa forfaiture, n’est pas une opposition.

Que s’est-il passé pour que l’opposition devienne ce qu’elle est aujourd’hui ? Simplement qu’elle n’a pas tiré les leçons du passé politique récent du pays.

I- L’opposition ou la sape psychologique: les leçons du passé

En 2005, jamais une stratégie n’a été aussi brillante et aussi sournoise que celle qui réduisit l’opposition et lui enleva sa victoire aux présidentielles et aux législatives. Ceux qui dirigèrent la transition, avaient décidé de miner l’opposition et de la réduire autant que possible à travers une stratégie de « concertation » qui a permis de « piéger » ceux qui justement pouvaient tout faire basculer. Les « renards » de la transitions aguerris aux faux compromis et aux jeux de la souricière avaient décidé de neutraliser une opposition qui, à la veille du 3 Août 2005, avait une force et une légitimité qu’ils craignaient par-dessus tout. Cette opposition qui sortait d’une haute lutte contre l’ancien régime et dont certaines composantes avaient même pris les armes contre lui risquait de remettre en cause le coup d’État lui-même et la transition elle-même.

Il aurait suffi que l’opposition ne reconnaisse pas le coup d’état, qu’elle s’agrippe à ses acquis historiques qu’elle « tape sur la table » pour que ceux qui ont élaboré la transition dans des buts inavoués reculent et cèdent devant ses doléances. Cela ne fut pas fait parce que les renards de la transition avaient très vite identifié le talon d’Achille de l’opposition en la personne de ses leaders et notamment Ahmed Ould Daddah.

Cette identification se confirma pour eux très vite lorsque Ahmed Ould Daddah fut le premier reconnaître le coup d’État et son apport pour la démocratie. Il devenait alors un « interlocuteur » qui allait servir de porte d’entrée, un cheval de Troie pour déstabiliser l’opposition. La bonne foi d’Ahmed Daddah n’avait d’équivalent que la mauvaise foi de ceux qui allient « l’utiliser » malgré lui. Et c’est là où l’œuvre de sape psychologique commença à la manière d’une forteresse assiégée.

Durant les premiers mois on le consultait on le travaillait dans le sens du poil et le travail psychologique finit par prendre : la conviction du leader du RFD en la volonté des militaires de céder le pouvoir à l’opposition et de façon démocratique. Par cette politique d’amadouement ils ont obtenu deux choses :

– L’immunisation : Faire passer calmement la transition jusqu’à son terme et appliquer leur plan stratégique

– La neutralisation : Assagir l’opposition à travers l’un de ses principaux leaders jusqu’à la mettre à genou.

Cette situation se manifesta à travers les idées lancées par Ahmed Ould Daddah dans sa fameuse déclaration sur « l’absence de chasse aux sorcières » qui reprenait l’argumentaire du CMJD et ses déclarations dans l’interview à Jeune Afrique. ELY Ould Mohamed Vall déclarait en effet en Septembre 2005 : « Il n’y aura ni règlement de comptes, ni chasse aux sorcières, ni esprit de revanche. « (JA L’Intelligent » Septembre 2005)

Le 07 septembre 2005 Ahmed Daddah déclarait à l’AMI : » « j’ai confiance, en toute objectivité, dans le projet du CMJD ».

Il était devenu ce que le CMJD voulait qu’il devienne « la courroie de transmission » avec l’opposition en la « piégeant » dans le processus d’un dialogue et d’une concertation qui allait être fatal pour toute l’opposition.

« Le RFD, déclarait Ahmed Daddah, en tant que parti, est favorable au principe du dialogue sur les questions nationales qui nous concernent tous. Nous nous réjouissons donc de cette initiative et pensons qu’elle marque le début d’une concertation que nous espérons approfondie, franche et exhaustive. Concernant le comité chargé du processus de transition, je tiens à préciser que cette période transitoire est essentielle parce qu’elle déterminera tout ce qui la suivra. C’est pourquoi nous estimons que tous les acteurs doivent y participer, y compris les partis politiques, la société civile, les leaders d’opinion, avec tout le sérieux et toute la franchise requise… »

Et la boucle est bouclée. Ahmed Daddah était devenu l’appât auquel on miroitait mille et une bonne intentions dont il nourrissait ses espoirs de changement.

Les militaires, en s’appuyant sur une structure gouvernementale triée dans le tas des anciens du régime précédent, avec lesquels ils partageaient les mêmes préoccupations de défense de ses intérêts et de ses basses-œuvres avait mis en place une stratégie psychologique militaire qui, comme on le sait, utilise de multiples techniques de déstabilisation de l’adversaire utilisant la psychologie préventivement, ou simultanément, à l’usage de la force.

Une stratégie qui ressemble étrangement à celle utilisée par les experts militaires dans le Chiapas mexicain : diviser et semer la confusion dans les esprits pour atteindre des buts de déstabilisation des structures villageoises. À travers une pseudo- politique d’ouverture au dialogue, le gouvernement opposait les chefs de village en accordant plus d’importance officielle à l’un deux et en le favorisant financièrement et matériellement par rapport aux autres. Ce qui, à moyen terme, entrainait la division et les blocages dans les rapports villageois. De la division et des rancunes naissaient alors les dénonciations.

Lorsque Ahmed Daddah a compris qu’il n’était pas l’interlocuteur unique du CMJD, que celui-ci jouait son propre jeu, il fît machine arrière à travers les dénonciations que l’on sait sur la « dérive » du CMJD notamment après que Sidioca fut pressenti au mois de juillet 2006 comme candidat « favori » du CMJD. Mais déjà en décembre 2006 le vent avait tourné et la stratégie du CMJD était à son apogée.

La dissidence de Messaoud Ould Boulkheir qui permit à Sidioca de remporter la victoire, tient de cette stratégie car on se rappelle très bien que pour justifier son ralliement à Sidioca, le dirigeant de l’APP avait reproché à Ahmed Daddah d’avoir eu un plan secret avec le CMJD de constitution d’un gouvernement. La stratégie de déstabilisation avait joué.

Concertation et dialogue furent les deux armes absolues de la stratégie des autorités de transition pour « endormir » l’opposition et gagner du temps pour échafauder ses plans et les mettre à exécution.

Cette stratégie de « la concertation anesthésiante » est encore aujourd’hui mise en œuvre par les régimes politiques successifs. La présence encore aujourd’hui de personnages au palais et la plupart de ceux qui ont servi la transition et le régime précédent aux postes-clefs en est la preuve éclatante.

Mieux encore, la transition avait pensé à un mécanisme pour pérenniser cette « concertation » et neutraliser l’opposition même après l’avènement de l’ère démocratique : le statut de leader de l’opposition.

Le piège institutionnel se referma alors et l’opposition est actuellement toute réduite à cette fonction de « concertation » qui lui enlève tout rôle et toute volonté sinon ceux d’entériner ce que le « leader » glane comme assurances et expressions de bonnes intentions du détenteur du pouvoir sur tout et sur rien. Encore une fois, la bonne foi du leader mise à contribution à travers une concertation dont on sait ce qu’elle a donné par le passé.

II- L’opposition doit réagir à la sape psychologique : tout remettre en question

Il est incontestable que depuis 2005 les régimes successifs utilisent, le « dialogue » et la concertation pour neutraliser l’opposition et gagner du temps. Gagner du temps pour s’affermir politiquement et consolider son leur assises économico-financières.

– S’affermir politiquement: l’expression la plus immédiate fut la création du grand parti présidentiel qui a visé à damer le pion à l’opposition et au-delà. Quelle fut la réaction de l’opposition à ce « danger » institutionnel d’un parti-état ? La concertation !

– Consolider ses assises financières : On le sait outre que le favoritisme n’a pas quitté l’État, voici que commence la liquidation des entreprises publiques pour « renflouer », les caisses de l’État. Une cession d’actions de l’État dont on ne sait en fin de parcours si elle servira vraiment l’État à travers son budget. Et qu’elle est la réaction de l’opposition face à la menace qui touche les entreprises publiques ? La concertation !

Et qu’a donné cette concertation ? Une conférence dénonçant ces aspects, relayée par la presse.

Quel impact cela a eu sur la politique du gouvernement ? Rien ! On se concerte avec l’opposition mais on ne l’écoute pas. On continue à structurer le parti-état et on a continué à négocier la cession des entreprises publiques.

Alors est-ce là une opposition qui a un poids sur la scène politique ? Une opposition qui s’accroche à des concertations comme si elle était l’antichambre du pouvoir. Eh bien non. Cette opposition-là, le peuple n’en veut pas ! Elle est inefficace, anesthésiée par un pseudo-dialogue et réduite à sa plus simple expression : un contre-pouvoir qui ne contre rien.

Quelles sont les solutions ? Il faut que l’opposition se ressaisisse. Qu’elle quitte immédiatement ce processus de « concertation » et de « dialogue », qu’elle renonce à l’institution de leader et qu’elle entre… en opposition !

Qu’elle adopte sa propre vision des problèmes à résoudre, qu’elle élabore sa propre stratégie d’intervention pour contraindre le gouvernement à discuter et à obtempérer s’il le faut.

Si les problèmes sont connus et attendent solution (refus du parti-état, refus du bradage des entreprises publiques, rehaussement du niveau de vie, dénonciation de la corruption et du trafic d’influence etc.), quelle est la stratégie à adopter ?

La voici :

– Se déconnecter du giron des pouvoirs publics et donner à l’opposition son autonomie (« pas de leader, pas de concertation »)

– Utiliser les moyens légaux pour protester : grèves limitées ou généralisée, alerte de l’opinion publique nationale et internationale

– Mettre à contribution les cadres et les forces intellectuelles de l’opposition pour critiquer (socialement, économiquement, financièrement) et publier leurs critiques des mesures gouvernementales partout où cela peut influencer le système (ouvrages, travaux de conférences et de colloques etc.)

– Entreprendre des meetings et des sittings de protestations.

– Investir les aires d’information (presse écrite, audiovisuelle nationale et internationale) etc.

En résumé : Être une force politique réelle qui agit sans complaisance et avec les moyens d’une véritable opposition.

Puisse l’opposition comprendre cela, sinon s’en est fini d’elle. Elle restera un faire-valoir d’une politique qui s’affermit de jour en jour, institutionnellement et financièrement.

Et alors il ne sera plus très loin le temps où elle devra se soumettre ou disparaître. Car en politique, une opposition qui ne joue pas son rôle est non seulement une traitrise à l’égard de ceux qu’elle représente mais aussi la pire des menaces pour un État de droit.

Le seul espoir qui reste est que l’actuel président Ghazouani tienne ses promesses et ses engagements concertés avec l’opposition. Mais si en réalisant cela, Ghazouani gagnera en crédibilité croissante, alors l’utilité d’une opposition devient inversement proportionnelle à cette crédibilité.

« La dignité, a-t-on pu écrire, passe par le sentiment qu’on a de son utilité. » (1)

Pr ELY Mustapha

(1) H. Lamoureux « L’affrontement » Éditions du Jour, Montréal.