La Mauritanie de Mohamed El Ghazouani vue par Mory Guéta Cissé

La Mauritanie de Mohamed El Ghazouani vue par Mory Guéta Cissé En date du 2 août 2019, la Mauritanie marque sa première transition démocratique. Pour la première fois, l’ancien et le nouveau président ont signé une passation de services.

L’ordre constitutionnel a prévalu en dépit d’un contexte politique, économique et social tendu. Pour déchiffrer les enjeux de cette nouvelle Mauritanie, Financial Afrik s’est adressé à l’un de ses hommes d’affaires, Mory Guéta Cissé, promoteur d’un complexe touristique en bordure de mer, à 28 km de Nouakchott.

L’analyse pointue de cet ancien banquier en Mauritanie et en Gambie vaut le détour.

F.A : Mohamed El Ghazouani est élu Président de la République, Comment vivez-vous cette nouvelle situation ?

MGC : Je dirais avec beaucoup d’espoir pour une meilleure gouvernance, avec des institutions républicaines au service du peuple et la gestion de nos ressources naturelles dans une parfaite transparence pour que tout le peuple puisse en bénéficier de manière équitable et profiter des fruits de la croissance.

Aujourd’hui, les approches semblent différentes même s’il faut regretter quelque peu la stratégie adoptée par le Président élu ; en effet certains leaders politiques qu’il consulte ne représentent qu’eux-mêmes alors que le peuple mauritanien a un besoin urgent d’entendre et de voir son Président qui bénéficie de préjugés très favorables compte tenu de son éducation, sa culture, son expérience professionnelle et de l’ouverture d’esprit qui caractérise sa personnalitéL’homme est un militaire de carrière, courtois, bénéficiant de la confiance des administrés ; il a occupé de hautes fonctions lui permettant de connaitre les rouages de l’administration et n’a donc pas droit à l’erreur d’autant plus qu’il est conscient que les intérêts des peuples ainsi que la raison d’Etat doivent transcender les contingences sociales, les relations partisanes et amitiés corporatistes, fussent-elles de longue date.

F.A : Quelles sont vos attentes ?

MGC La formation du nouveau gouvernement qui a tenu en haleine tout le peuple nous a quelque peu refroidi car on ne peut pas faire du neuf avec du vieux malgré la présence de certains technocrates aux compétences avérées au sein du gouvernement ; mais les attentes vont au-delà de ce qui a été fait, le peuple a un besoin urgent de changement pour se reconnaitre dans son action ou s’en donner l’illusion.Un pacte entre les différents acteurs politiques et la société civile garantissant la paix sociale et les conditions du vivre ensemble est le seul vecteur pouvant favoriser le développement économique et social du pays de manière à assurer une croissance soutenue susceptible d’impacter positivement le panier de la ménagère et d’améliorer le niveau de vie des populations que seule la manne gazière et pétrolière pourrait nous apporter dans un climat social apaisé.

F.A : Que pensez-vous du dialogue politique et des rencontres de l’opposition avec le Président Ghazouani, après ses rencontres avec la mouvance présidentielle?

MGC : On ne peut que se féliciter de cette heureuse initiative tendant à décrisper la tension sociale née des dernières élections avec les conséquences enregistrées et dont il n’était pas comptable au moment des faits ; en vérité, le Président Ghazouani, à travers toutes les stations où il est passé, est la personne la mieux informée de tout le pays et pouvait dérouler sa politique sans aucune concertation avec le landerneau politique car disposant de tous les renseignements sur le vécu quotidien des mauritaniens et leurs aspirations à un meilleur cadre de vie, de liberté et d’épanouissement. Les mots comme continuité ou rupture n’ont aucun sens pour nous car nos seules aspirations sont une bonne gouvernance pour que chaque mauritanienne et chaque mauritanien y trouve sa place et se sente concerné.Les consultations pendant cette période de grâce que certains ne lui ont même pas accordés ne doivent se comprendre que comme étant sa seule volonté d’instaurer un véritable climat de dialogue non seulement avec les leaders des partis ou des candidats malheureux aux dernières élections présidentielles, mais également avec d’autres acteurs qui ne s’affichent pas devant les médias pour dévoiler la teneur de leurs entretiens avec le Président.

F. A. Que pensez-vous de la situation économiquede la Mauritanie ?

MGC : On a l’impression qu’on ne nous dit pas toute la vérité car, il y’a bien longtemps que le Gouvernement ne faisait plus recours aux bons du trésor pour son financement à court terme et certains chantiers que le Président AZZIZ avait démarrés sont à l’arrêt causant de gros encombrements dans certains quartiers ; nul ne connait la teneur des contrats de prestation ni la date d’une éventuelle reprise des travaux : rupture ou continuité de l’Etat ?

F.A. Pourtant le Président vient de poser la première pierre d’un complexe administratif pour un montant de MRU 655 Millions soit environs USD 22 Millions ?

MGC : Ce centre administratif s’installe en pleine zone résidentielle pour un coût d’investissement aussi important alors que les populations de l’intérieur sont sinistrées et le bétail décimé soit par la sécheresse soit par les inondations, et auraient pu bénéficier de cette manne financière d’autant qu’en dehors du coût affiché et de la destination des immeubles en construction nul ne peut vous dire s’il y’a eu un appel d’offres aussi bien pour les plans architecture que pour la réalisation des ouvrages.

De plus, la SNIM n’a pas l’expérience des maîtrises d’ouvrage car cela n’est pas sa vocation, ce qui se confirme d’ailleurs par la cession de leur nouvel immeuble à Nouakchott à la Banque Centrale alors qu’il devait leur servir de siège à Nouakchott après avoir pourtant déménagé de Nouakchott pour Nouadhibou au début des années 1980 ; et, il semblerait que le nouvel immeuble cédé à la BCM présente de sérieux défauts à corriger pour recevoir le personnel et les usagers en plein centre -ville avec les embouteillages et sans parking réservé.

Cet immeuble dans la principale avenue de Nouakchott n’étant pas initialement prévu pour abriter le siège de la BCM ne dispose ni de salles souterraines sécurisées de tri ni de coffres et, de mon point de vue, le transfert de la BCM à ce nouveau siège n’est pas envisageable même en fermant l’Avenue Gamal Abdel Nasser à la circulation car tous les paramètres n’ont pas été pris en considération au moment de la décision.

Toutefois, si du fait du développement des activités économiques et de l’extension de la ville de Nouakchott, la BCM est devenue à l’étroit dans ses murs malgré l’extension y incorporant l’hôtel des députés, il y a des poches et des réserves foncières importantes dans la ville qui pourraient être déclassées et affectées à la BCM sans essayer de régler un problème en créant un autre plus important.De plus si on demandait aux quatre Millions de Mauritaniens de contribuer chacun à hauteur de 100 MRU pour le rachat pour cause d’utilité publique et, d’intérêt national tout ou partie du terrain de l’ancien aéroport de Nouakchott pour y ériger un nouveau siège de la B.C.M, l’on pourrait disposer de suffisamment d’espace pour bâtir un ensemble immobilier digne de la Mauritanie, nouveau pays gazier et pétrolier.

De tout cela on peut déduire que ceux qui hier avaient soutenu cette politique de grands travaux non concertée, résultant de la seule volonté du chef, ne peuvent pas se dédire ni reculer et vont continuer à vouloir exécuter leurs plans auxquels les populations n’adhèrent point car considérant que les priorités sont ailleurs.Il y a eu certaines erreurs de casting qui auraient pu être évitées si l’on s’était entouré de garde-fous pouvant rapporter fidèlement les attentes du peuple d’autant que le nouveau Président n’a point besoin de poètes ou de griots flagorneurs (un parti avait revendiqué 1.400.000 militants pour un corps électoral de 1.500.000 inscrits) car son riche parcours devrait le tenir éloigné de ces cercles d’autant qu’il maitrise mieux que quiconque l’Arabe et la langue de Molière et ne nourrit aucun complexe à ce propos.

F.A. Voulez -vous dire que les travaux sont inutiles ?

MGC : Pas du tout, mais certains nous ont coûté plus cher que prévu car l’assainissement fait défaut à Nouakchott et l’écoulement des eaux pluviales n’était pas intégré dans les plans d’aménagement ainsi que le raccordement sur le réseau électrique car, en moins de 2 an, Nouakchott est passé de l’éclairage des rues par des panneaux solaires au retour sans concertation au réseau des centrales thermiques.Par ailleurs, le coût de l’aménagement de la place de la LIBERTE au cœur de la ville face au Palais présidentiel (suite à la démolition du siège de l’ancien Sénat qui fut également le siège de la première Assemblée Nationale de la Mauritanie indépendante) aurait pu servir à régler d’autres problèmes mais cette démolition s’inscrit dans la même logique ayant conduit au changement de notre monnaie nationale, du drapeau ainsi que de l’hymne national pour tenter d’effacer de notre mémoire collective tout un pan de notre passé récent dont nous devrions pourtant rester fiers.

La volonté de vouloir effacer de notre mémoire collective tous les vestiges de notre passé n’a pas permis aux autorités de mesurer la gravité de leur action tant au plan financier et psychologique mais également en termes de risques car ladite place appelée TARHIL pour certains et Tien An Men pour d’autres ce qui, à titre prémonitoire pourrait être un lieu de contestation surtout que les grilles de la Présidence ont souvent servi de mur des lamentations.

F.A : Que savez – vous de la pose de la pierre pour le démarrage des travaux du pont de Rosso ?

MGC : La réalisation de ce pont me rappelle les problèmes auxquels celui de FARAFENIEY en Gambie a été longtemps confronté et qui n’a vu un début d’exécution qu’avec les changements institutionnels intervenus dans ce pays ; espérons que le nôtre connaitra à son tour le même sort avec l’arrivée du Président GHAZOUANI. La BAD, bailleur de fonds, attend également de son côté la mise à jour des études d’impact environnemental et social ainsi que la satisfaction de ses exigences et conditions à remplir quant aux qualités requises pour le management des travaux de cet ouvrage ainsi que de son suivi.

De mon point de vue il faut une réelle volonté politique pour faire avancer les choses et l’absence de cette volonté explique aussi le retard dans la réalisation de la route Rosso – Nouakchott dont la seule lutte contre l’émigration ne justifie pas ce retard causant plusieurs pertes en vies humaines et en matériel alors que ce ne sont pas seulement les populations de Rosso qui sont pénalisées mais tous ceux qui utilisent l’axe Dakhla – Dakar- Bamako.On n’arrête pas la mer avec ses bras, avec ou sans pont, avec ou sans route, les populations continueront à voyager et à commercer, n’ayons pas peur des invasions notre position géographique nous l’impose surtout que maintenant les ressources naturelles tant halieutiques que minières sont partagées.

F.A. Le niveau de vieactuel est-il soutenable pour les mauritaniens?

MGC Le Président des pauvres avait fixé les prix des poissons pour le marché domestique à des niveaux raisonnables permettant à tout un chacun de pouvoir en disposer mais aujourd’hui même les magasins chargés de la distribution des poissons dans les quartiers périphériques ne sont plus alimentés et le pélagique dont les prix sont devenus exorbitants est désormais récupéré par les usines polluantes de farine de poissons au détriment des ménages et petites bourses?

F.A : Comment vivez-vous les problèmes sécuritaires ?

MGC Comme toutes les grandes villes à travers le monde, Nouakchott et Nouadhibou qui sont des points de transit et de passage de l’émigration clandestine connaissent parfois des problèmes de petits banditisme généralement vite circonscrits par la police et la gendarmerie nationale qui jouent pleinement leurs rôles.S’agissant de nos frontières si, le gouvernement précédent a réussi à juguler les élans du terrorisme en Mauritanie, l’apport du Président actuel ainsi que de son Ministre de la Défense ancien CEMGA précédemment en mission au G5 Sahel comme Coordinateur pour mieux le préparer à ses responsabilités actuelles, a été déterminant et notre armée regorge d’officiers patriotes bien formés avec des expériences diverses.

F.A : Et si nous parlions du Gaz et du Pétrole ?

MGC Je pense qu’il s’agit d’un sujet tabou en Mauritanie et on a l’impression que nous sommes tous anesthésiés pour ne pas en parler car seuls quelques privilégiés se partagent les secrets grâce aux délits d’initiés et les majorités mécaniques au niveau des parlements africains au service du pouvoir exécutif permet d’occulter et d’escamoter bon nombre de questions, ce qui constitue un véritable frein à la démocratie. «Power corrupt and absolute power corrupt absolutely».

Aucune information n’est disponible à ce propos, aucun planning de formation du personnel ni de répartition de la manne financière avec une part réservée aux futures générations alors que du côté sénégalais en ce qui concerne notre ressource commune, le débat est d’actualité et, toutes les structures de suivi et de contrôle sont en place alors que nous pourrions mutualiser nos efforts de concertation pour la gestion et la formation pour en minimiser les coûts et ensuite pour que le management puisse parler le même langage.

F.A : Ne craignez- vous pas un choc?

MGC : Ce n’est pas dans la nature du peuple mauritanien et ce qui pourrait nous séparer est infime par rapport à ce qui nous unit et, je demeure optimiste étant convaincu que les mesures idoines pour une bonne gouvernance seront prises en temps opportun pour le seul bonheur du peuple mauritanien et, je n’ai aucun doute qu’au nom d’une amitié de plus de 40 ans et, par devoir patriotique et religieux et par sens des responsabilités, Le Président AZZIZ donnera tout le soutien nécessaire au Président GHAZOUANI pour la réussite de sa mission pour le grand bonheur du peuple mauritanien et ne fera rien qui puisse le gêner dans la bonne marche du pays que toutes et tous aimons et chérissons. Qu’ALLAH SWT dans son infinie miséricorde nous assiste et nous guide vers le bon et droit chemin.

Propos recueillis par Adama Wade

Source : Financial Afrik