Cheikh Dia : Vous êtes un observateur de la scène africaine et votre blog « Questions africaines » aborde avec un esprit critique et pertinent les problèmes auxquels nous devons faire face en Afrique de l’Ouest. Comment voyez vous la situation de la Mauritanie après le triple scrutin législatif, municipal et régional en septembre?
Loup Viallet : Il semble que les élites au pouvoir en Mauritanie sont en train de tout mettre en œuvre pour se succéder à elles-mêmes et éviter l’installation de régimes alternatifs. D’abord, ces trois scrutins, pourtant très différents les uns des autres, ont été groupés pour se dérouler simultanément les 1er et 15 septembre, six mois avant les élections présidentielles. Et qui s’y est présenté ? J’ai remarqué l’absence de nombreux opposants au régime en place en tout cas, qui ont été systématiquement écartés de ce moment démocratique susceptible de permettre une refondation de la République islamique de Mauritanie.
Je pense au militant anti-esclavagiste arrivé deuxième à la présidentielle de 2014 Biram Dah Abeid, qui a été empêché de battre campagne et de se présenter aux législatives après une sombre histoire avec un journaliste, alors que son dossier de candidature avait été accepté par la CENI. Mais aussi au grand patron Mohamed Ould Bouamatou, qui a soutenu la première campagne présidentielle du président Aziz avant de prendre ses distances et dont les avoirs bancaires ont été saisis le 25 août dernier.
On se souvient aussi du très populaire sénateur Mohamed Ould Ghadda, mis en réclusion depuis le 10 août 2017 pour s’être opposé à la réforme constitutionnelle du président mauritanien, qui concentrait davantage les pouvoirs institutionnels dans sa main en supprimant le Sénat, et dont la libération récente ne lui a pas permis de s’organiser pour remporter un siège aux élections législatives. Tout concourt ainsi à la réalisation du vœu formulé par le président face à ses partisans le 24 août dernier à Rosso : « Ceux qui parlent souvent de 3e mandat doivent d’abord gagner les législatives et permettre à l’UPR (parti présidentiel) d’obtenir une majorité écrasante au Parlement. Cette majorité est indispensable pour continuer la réalisation de nos projets. »
La reconduction du régime autoritaire arabo-berbère du président Aziz ne permettra pas aux Mauritaniens de dépasser leurs fractures. Les noirs mauritaniens peuls, soninkés, wolofs, bambaras, continuent à être marginalisés du gouvernement et sont sous-représentés parmi les élites du pays.
Pourtant la Mauritanie leur appartient au moins autant qu’aux arabo-berbères : le territoire mauritanien a été celui des Soninkés sous l’empire du Ghana, celui des Peuls au temps du royaume de Tekrour… Quant aux Harratines, ces « maures noirs » descendants d’esclaves, ils seraient encore pour une large partie d’entre eux la propriété de maîtres maures dans certaines parties du pays selon l’Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA).
Autant de violents écarts avec la Constitution mauritanienne, qui garantit à son article 1 l’égalité devant la loi de tous ses citoyens sans distinction d’origine, de race, de sexe ou de condition sociale.
Cheikh Dia : Le Président Emmanuel Macron a visité la Mauritanie durant le dernier sommet de l’Union et dans une déclaration il a félicité le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz pour les efforts déployés dans la lutte contre le terrorisme avec une mention honorable. En tant qu’analyste des questions africaines, quelle lecture faites-vous de ces propos du Président Français?
Loup Viallet : La question est donc la suivante : y-a-t-il un arrangement entre les deux présidents pour que Mohamed Ould Abdel Aziz brigue un nouveau mandat en 2019 ? Il est en effet probable que le président français reconduise son soutien au régime mauritanien, dont l’autoritarisme joue comme une assurance-vie, puisqu’il paraît rassurer Emmanuel Macron. Ainsi les régimes autoritaires qui sont dénoncés par le « progressiste » Macron en Europe, sont tolérés, voire promus par le même Macron en Afrique !
Je crois surtout que le président français voudrait que les pays du G5 (Mauritanie, Burkina, Niger, Tchad, Mali) accélèrent leur coopération et leur engagement militaire au Sahel. Actuellement l’ordre et la sécurité y sont assurés conjointement avec les 4500 soldats français encore mobilisés dans l’opération Barkhane. Mais celle-ci est en cours depuis août 2014 et le départ des troupes n’est pas à l’ordre du jour. Seule l’émergence d’une force permanente exclusivement sahélienne pourrait provoquer la démobilisation de Barkhane et éviter un enlisement de nos troupes dans la région. Mais il semble que nous en sommes très loin. Il faudra s’y prendre autrement.
Et puis est-ce vraiment raisonnable de faire une confiance absolue au président Aziz ? Certes, les frontières de la Mauritanie sont bien protégées et Nouakchott est sans pitié envers les terroristes djihadistes salafistes qui veulent instaurer des califats mafieux au Sahel. Mais le chef d’État mauritanien joue peut-être sur plusieurs tableaux et paraît spécialiste dans l’art de raconter à chacun ce qu’il veut entendre. Je m’inquiète d’une ambiguïté ou plutôt d’une schizophrénie du pouvoir mauritanien, qui cherche à tenir un équilibre impossible entre ses principaux alliés, fournisseurs et bailleurs de fonds qui ne partagent ni les mêmes objectifs politiques ni les mêmes mœurs : la France et l’Europe d’un côté, l’Arabie Saoudite et le Koweït de l’autre. Ce grand écart entre les influences européenne et moyen-orientale que pratique la Mauritanie me semble hautement risqué et l’empêche sans doute de jouer un plus grand rôle en Afrique, dans sa région et sur son continent.
(https://questionsafricaines.wordpress.com/)
Source : Mondafrique