Le rapport met l’accent sur les obstacles rencontrés par les survivantes d’agressions sexuelles pour obtenir justice et réparation. 33 filles et femmes ont été auditionnées ainsi que des avocats et organisations de la société civile.
Présentée par Candy Ofime, chercheuse à la division Moyen-Orient et Afrique du Nord, à Human Rights Watch entourée de Sarah Leah Whitson, Directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord, Eric Goldstein, Directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord, Hanan Salah, chercheuse sur la Libye, division Moyen-Orient et Afrique du Nord, ce document, intitulé « Ils m’ont dit de garder le silence », s’articule autour de trois grands axes.
D’abord, les obstacles sociaux et institutionnels des victimes pour faire valoir leur droit devant les juridictions. Ensuite, les failles du droit positif mauritanien, notamment la définition de certains concepts. Une faille que pourrait combler l’adoption prochaine du projet de loi sur les violences fondées sur le genre en Mauritanie.
Ce dont se félicite la responsable de HRW qui dit attendre des amendements et l’adaptation du texte aux engagements de la Mauritanie par rapport aux conventions internationale. Enfin, les risques de pénalisation et de criminalisation de violences sexuelles.
Au terme de la présentation de son rapport à la presse et aux Ong de la société civile, Candy Ofime a bien accepté de se prêter aux questions du Calame.
Le Calame : Vous venez de rendre public votre rapport annuel sur la Mauritanie : il porte cette année sur les violences sexuelles. Pouvez-vous nous expliquer les raisons qui ont présidé au choix de cette thématique ?
Candy Ofime : Nos échanges, avec les organisations de la Société civile mauritanienne, faisaient ressortir qu’il s’agit d’un sujet encore très tabou, sur lequel l’État agit trop peu, malgré le nombre, selon elles, croissant, d’incidents auxquels les femmes et filles doivent faire face, aujourd’hui, en Mauritanie.
Bien que la problématique soit sensible, le gouvernement peut y apporter des solutions concrètes et ce, rapidement, s’il décide d’accorder davantage d’attention et de mobiliser davantage de politiques publiques à la protection et à la prévention contre ce type de violences.
L’Assemblée nationale, actuellement en pleine refonte, s’apprête également à réexaminer un projet de loi sur les violences basées sur le genre. Il nous est donc apparu important de mettre en lumière l’ampleur de ce phénomène et la nécessité d’adopter un cadre législatif protecteur, en cette période cruciale.
– C’est vrai, les violences sexuelles et conjugales sont généralement très taboues, en notre pays islamique. Comment avez-vous réussi à faire parler les victimes ? Que vous ont-elles dit sur les différentes manifestations de ces violences et sur les difficultés qu’elles rencontrent, pour faire valoir leurs droits ?
– Nous avons travaillé en étroite collaboration avec des OSC mauritaniennes, notamment l’Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF) et l’Association Mauritanienne pour la Santé de la Mère et de l’Enfant (AMSME), qui sont sur le terrain et offrent, dans tout le pays, une prise en charge aux survivantes de viol. Les assistantes sociales de ces structures nous ont mis en lien avec des victimes qui se sont senties à l’aise, pour partager leur expérience avec nous, et faire ainsi entendre leur histoire par la Communauté internationale.
Les survivantes rapportent que les incidents de viol sont fréquents, dans la sphère familiale et conjugale, mais que les agresseurs sévissent également dans la rue, dans un contexte d’impunité qu’elles dénoncent. Beaucoup ont des difficultés à s’ouvrir à leur famille, sur la violence subie, de peur d’être stigmatisées et de ne pas parvenir à se réinsérer socialement.
Les filles enceintes et les femmes appréhendent tout signalement à la police, par crainte d’être inculpées de zina (fornication). De fait, les officiers de police et les procureurs respectent rarement leur droit à la vie privée et à la confidentialité.
Nombreuses sont les victimes qui manquent de moyens financiers, pour recevoir des soins médicaux, et qui ne disposent que de l’aide proposée par les OSC qui manquent, elles, sensiblement de moyens. Elles déplorent l’impossibilité de pouvoir interrompre une grossesse conséquente à un viol.
Aucune des survivantes rencontrées qui ont intenté une action en justice n’a reçu de compensation de l’agresseur ou de l’État, ce qui explique la prégnance des arrangements à l’amiable. Nous avons rencontré des filles et femmes abattues, après avoir été placées sous contrôle judiciaire et, parfois, détenues pour zina, pour avoir signalé un incident de viol, sans être parvenues à prouver leur absence de consentement.
– Que fait le gouvernement mauritanien pour enrayer ce phénomène criminel ? Comment avait-il réagi, à votre rapport de l’an dernier qui portait sur la répression des activistes des droits de l’homme ?
-Le gouvernement mauritanien a récemment adopté une loi sur la santé reproductive et un code général de l’enfance qui représentent un pas en avant, pour les droits des filles et femmes mauritaniennes. Toutefois, beaucoup reste à faire.
Le gouvernement n’a pas fondé ni même financé aucun centre de prise en charge qui offre des options d’hébergement et une mise en sécurité des victimes de viol. Les policiers, autorités judiciaires et personnel de santé des hôpitaux publics manquent de formation en matière d’investigations sensibles au genre de la plaignante/patiente et d’expertise médico-légale.
Sur le plan législatif, le viol n’est pas défini et le concept de zina continue d’incriminer des filles et femmes victimes de viol, les dissuadant de porter plainte. En ce sens, le projet de loi sur les violences basées sur le genre, s’il est amendé, en conformité aux obligations en Droit international que la Mauritanie doit mettre en œuvre, permettrait de remédier à ces failles juridiques et institutionnelles.
Par ailleurs, il est nécessaire que le gouvernement cesse de poursuivre pénalement, à tort, les survivantes de viol, en les accusant de zina ; libère les personnes condamnées pour ce motif et dépénalise les relations sexuelles consensuelles hors mariage.
Lors de mes recherches, l’ancienne ministre du MASEF, madame Mint Taghi, a accepté de nous rencontrer et a réaffirmé la détermination de son ministère à éradiquer le viol. Le gouvernement a également répondu à nos conclusions préliminaires de façon constructive, en reconnaissant que les violences sexuelles représentent un problème de taille. La réponse qu’ils nous ont offerte suggère une certaine forme de volonté politique positive, vis à vis de nos conclusions et recommandations.
Par contre et pour le second volet de votre question, la réponse que le gouvernement a offerte à notre rapport sur la répression des défenseurs en droits humains fut d’un tout autre ton, plus hostile et moins réceptif.
– Le rôle de HRW est limité, disent certains. Que leur répondez-vous ?
-Notre rôle est certes limité mais il est une contribution, essentielle et nécessaire, aux efforts collectifs que requiert le changement social. Nous menons des enquêtes de terrain crédibles et objectives qui visent à exposer les violations en droits humains trop souvent en manque de données rigoureusement collectées.
Mais notre travail ne s’arrête pas là. Les rapports que nous publions fournissent des preuves tangibles qui nous permettent (ainsi qu’à nos partenaires) de formuler des demandes de changement de politiques, auprès des décideurs publics afin que l’État respecte ses engagements vis à vis du Droit international.
Propos recueillis par Dalay Lam
Source : Le Calame (Mauritanie)