Adama Sy et Habi mint Rabah sont deux femmes choisies, par IRA, pour représenter deux combats contre l’injustice. La première est l’épouse du militaire Oumar Hamady Gadio, exécuté à Rosso, lors des évènements 89/90. La seconde est une ancienne esclave, libérée en 2007-2008, par le président d’IRA et la présidente d’AFCF.
Toutes deux membres de la liste nationale de l’alliance SAWAB–RAG (IRA), pour les législatives de Septembre prochain, elles ont accepté, en pleine campagne, de se rendre au Calame, pour s’adresser aux électeurs mauritaniens, en répondant, chacune, à trois questions de notre rédaction.
Le Calame : Adama Sy, vous êtes membre de la liste des candidats RAG–SAWAB, pour les législatives de Septembre prochain. Comment en êtes-vous arrivée là ?
Adama Sy : Merci de nous ouvrir vos colonnes pour parler à nos compatriotes, en cette période de campagne électorale. Si j’ai décidé de franchir le Rubicon, comme on dit, c’est parce qu’il faut passer à une autre étape du combat que nous menons, avec le président Biram Dah Abeid que j’ai connu au cours de mon combat pour les ayants droit, les victimes et les veuves des militaires et civils tués, pendant les années de braises.
Le président d’IRA lui a donné une dimension nationale et internationale. Nous avons apprécié son soutien, comme nous avons apprécié ce qu’il a accompli, pour défendre les victimes des pratiques abominables de l’esclavage.
C’est pour toutes ces raisons que nous n’avons pas hésité, un seul instant, quand proposition nous a été faite de figurer sur la liste des candidats aux législatives. C’est un honneur rendu à la veuve d’un militaire, exécuté sans qu’on sache pourquoi, et je ne ménagerai aucun effort pour être à la hauteur de la mission. Une veuve à l’Assemblée nationale ? Qui y aurait cru ? C’est plus qu’un symbole.
– Nous étions à quelques jours de l’ouverture de la campagne, quand le président Biram a été arrêté ; il est en détention provisoire, depuis quelques jours. Comment avez-vous accueilli cette interpellation ?
– Très affligée, quand j’ai appris la nouvelle. Mais, avec le régime actuel, on doit s’attendre à tout. Cette arrestation qui intervient dans un contexte électoral vise à empêcher le président Biram d’entrer à l’Assemblée nationale pour défendre les sans-voix.
Mais qu’à cela ne tienne ! Même en prison, il continuera à porter cette voix, parce que, derrière Biram, il y a des patriotes convaincus de la justesse de la cause qu’il défend. Derrière Biram, il y a, non seulement, beaucoup de mauritaniens, mais aussi la Communauté internationale.
C’est donc peine perdue que de vouloir arrêter la mer avec des bras. Avec le président Biram, en prison ou hors prison, la révolution est en marche, pour extirper du pays toutes les formes d’injustice. La voix de Biram résonnera au sein de l’hémicycle. Incha Allah.
– Comment allez-vous faire valoir vos droits et réclamer la justice pour votre mari, alors que les crimes de cette période sont couverts par une loi d’amnistie votée par l’Assemblée nationale ?
– Nous menons un combat de longue haleine, c’est une course de fond : nous savons que le système ne lâchera pas prise de gaieté de cœur, il faut l’y pousser. J’ose croire qu’avec d’autres patriotes députés, nous feront bouger les lignes. Notre objectif n’est pas de crier vengeance mais de réclamer justice pour nos maris, fils, et autres.
Nous allons nous battre pour que le gouvernement qui viendra accepte de lever le coin du voile sur cette sombre page de l’histoire du pays. Personne ne peut pardonner ces crimes de sang à notre place. Je pense que la Mauritanie doit oser se regarder en face, laver son linge sale en famille et se réconcilier avec elle-même.
Habi Mint Rabah, ancienne esclave libérée par le président d’IRA et la présidente d’AFCF, membre de la liste nationale de l’alliance SAWAB–RAG
– Habi Mint Rabah, vous avez été choisie pour figurer sur la liste nationale de l’alliance SAWAB-IRA pour les prochaines élections. Que représente pour vous ce choix ? Comment l’avez-vous accueilli ?
– Comme une consécration : jamais une esclave ne fut choisie pour assumer cette charge, on ne leur reconnaît pas ce mérite. Ma joie était grande quand le président Biram m’a fait l’honneur de figurer sur notre liste nationale. Comme vous le savez, le président Ould Abel Aziz n’accorde pas d’importance à la peau noire, il ne peut pas nous faire cet honneur-là, il n’accepte pas d’entendre la voix d’une esclave résonner au sein de l’Hémicycle.
À l’Assemblée nationale, je ferai donc entendre la voix des esclaves mais pas d’eux seulement : également la voix de toutes les victimes mauritaniennes, qu’elles soient noires ou blanches, victimes de l’exclusion, de l’injustice et du racisme du système en place.
Tenez, pour illustrer mes propos, je vais vous apprendre que le quartier de Riyad où je vis ne dispose ni d’eau, ni d’électricité, ni de marché. Seules trois familles nanties accèdent aux deux premières denrées vitales. Quand on vient se plaindre auprès du hakem, il nous répond que telle est la décision de l’État. C’est de la ségrégation pure et simple, contre laquelle le président d’IRA se bat et nous avec lui.
– Quelle est votre réaction, par rapport à l’arrestation de votre leader, Biram Dah Abeid, à quelques jours de l’ouverture de la campagne électorale ?
– Ce n’est pas la première fois que le pouvoir l’arrête, ce ne sera certainement la dernière, du moins tant que ce pouvoir subsistera. Biram Dah Abeid s’oppose à l’injustice et à l’esclavage que pratique le système en place, il est aux côtés des victimes. Biram est une épine dans le pied du système des esclavagistes ; c’est, pour eux, un obstacle sur leur chemin. Un adversaire qu’il faut abattre, mais ils ne réussiront pas à le faire taire, ni nous avec.
– Pour lutter contre l’esclavage et ses séquelles, les pouvoirs publics ont mis en place un important arsenal juridique. Qu’en pensez-vous ?
– Ce que vous appelez un « arsenal juridique » n’est qu’un leurre, une mesure cosmétique destinée à la Communauté internationale. L’esclavage persiste, en Mauritanie ; c’est une réalité que vivent des victimes et nous allons continuer à le dénoncer. Pour preuve de cette persistance, les victimes exhibées par les ONG de défense des droits de l’homme ne trouvent pas de répondant, auprès de la justice. Des tribunaux fondés, pour examiner les affaires d’esclavage, sont, aujourd’hui, des coquilles vides.
Voilà l’arsenal juridique qu’on vend à la Communauté internationale. Biram Dah Abeid se bat contre cette comédie et nous jamais n’allons le lâcher, nous nous battrons pour sa libération et son élection, en tant que député à l’Assemblée nationale.
Propos recueillis par DL
Source : Le Calame (Mauritanie)