Faute d’une victoire militaire qui tarde à se concrétiser, comment éviter l’enlisement des Etats sahéliens et de leurs alliés dans «le brouillard de la guerre» qui se déroule au Sahel depuis six ans?Une chronique de Ahmedou Ould Abdallah, ancien ministre mauritanien des Affaires Etrangères et ancien représentant de l’ONU en Afrique de l’Ouest
Depuis 1964, peu après son indépendance, le Mali a connu une succession de guerres civiles ayant pour principal enjeu le nord du pays. Rebellions et accords de paix font partie de l’actualité malienne des cinquante dernières années. Le présent conflit remonte à 2012 avec l’occupation du nord du pays par des groupes armés composites : irrédentistes Touaregs, islamistes nord-africains : commerçants, trafiquants et leurs alliés de diverses origines.Au cours de la même année, de nombreux combattants étrangers forcent leur entrée dans le pays où débarquent,en janvier 2013, les troupes françaises appelées à la rescousse.
Le conflit s’est alors internationalisé et transformé. Si les radicaux ne peuvent pas contrôler Bamako leur capacité de nuisance reste forte et celle de s’étendre à la région est bien réelle. Cependant, la vocation des troupes étrangères, plus de 15 000 hommes, n’est pas de s’éterniser au Mali.
Par ailleurs, si toute crise finit par un règlement, quel sera celui qui prévaudra au Sahel ? Plusieurs possibilités existent : une victoire militaire,la poursuite d’un long conflit de faible intensité, et enfin, une négociation aboutissant à la paix. Des précédents, illustrant ces trois situations, peuvent servir de modèles pour le Sahel. L’écrasement de l’insurrection (Sri Lanka, Ouganda, Tchétchénie) ou l’amnistie après une ou plusieurs décennies de combats (Algérie, Colombie) et enfin, la perpétuation d’une crise de plus ou moins forte intensité (Egypte, Pakistan, Somalie, Soudan, Yémen).
Au cours des décennies passées, ces approches ont été appliquées au Mali. Chacune a abouti à un accord entre parties, mais chaque fois, le conflit renaissait de ses cendres.
Parmi les plus connus de ces accords, celui de Tamanrasset, Algérie, est conclu en janvier 1991.Puis suivit le «Pacte national», en avril 1992.Célébré par la «Flamme de la Paix» en 1996, une cérémonie organisée à Tombouctou. Une nouvelle rébellion éclate en mai 2006 et est réglée par les Accords d’Alger du 4 juillet 2006. Une autre, avec à sa tête Ibrahim Ag Bahanga, a lieu en 2008.
Le 17 janvier 2012 commence une nouvelle guerre avec le Mouvement pour la libération nationale de l’Azawad (MLNA) / Ansar Eddine. Entre Bamako et le MLNA les négociations aboutissent à «l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali» signé en juin 2015 à Alger.Trois ans plus tard, le conflit perdure, s’étendant à tout le Sahel.
Combattre sur plusieurs fronts
Affectant simultanément plusieurs pays, il est plus complexe que les guerres civiles déjà citées où, en effet, chaque pays ne gère que sa rébellion.Au Sahel, celles-ci sont multiples : au niveau de leurs composantes, des idéologies qui les animent et des intérêts attendus.Leurs soutiens extérieurs sont également divers et en concurrence. Dans ce contexte, une négociation peut engendrer des effets pervers en faisant éclater des mouvements radicaux en groupuscules plus extrémistes les uns que les autres.Comme en Irak, en Afghanistan, au Nigéria, au Pakistan ou en Somalie, la négociation avec les groupes radicaux n’est pas une panacée.
D’abord, négocier et conclure un accord dans un seul état n’est pas un gage de paix pour la région. Celui d’Alger signé en 2015 en est un exemple. Il a déplacé-et en l’aggravant par un transfert de combattants -le conflit vers les pays voisins et les Etats côtiers (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée et Liberia) quand bien même le but des radicaux reste l’Europe et en particulier la France où les relais sont plus nombreux. Deuxièmement, les rebelles qui acceptent de négocier sont souvent qualifiés de traîtres et exclus de leur groupe. S’ils sont majoritaires, la minorité entre en dissidence pour se déclarer la seule détentrice de la légitimité. Dans les deux cas, le conflit se poursuit avec violence.
En réalité, la longévité de la crise a transformé les pays sahéliens en vases communicants. Des vases entre lesquels, à travers les frontières nationales, les radicaux circulent aisément avec armes et sergents recruteurs. L’attaque meurtrière du siège de la Force du G5 Sahel à Savaré au Mali, ce vendredi 29 juin, par les radicaux prouve une fois cette situation.
Cet enlisement ne peut être lié à la qualité des troupes des pays du G5 Sahel. Auprès de leurs camarades français, elles se sont distinguées sur les champs de bataille lors des deux guerres mondiales. Loin de leurs pays et dans un environnement climatique des plus hostiles.
Les défaillances des armées de la région ont plusieurs causes. Elles sont plus le fait des gestions politiques que de la qualité intrinsèque des soldats, gendarmes, gardes nationaux et policiers.Très souvent les équipements ne sont pas adaptés ni de première main, les ressources pour la formation et les manœuvres sont notoirement limitées ou non affectées à leurs objectifs officiels.Ceci est vrai pour les gendarmeries, gardes nationales, polices et les autres services. Par-dessus tout, les recrutements, rarement transparents, laissent peu de place au mérite et engendrent frustrations et refus d’engagement sur le terrain.
Enfin, la connivence, équivoque ou avérée, entre des cercles dirigeants et des groupes armés conforte le radicalisme.Mettre plus de lumière sur ces collusions d’intérêts devrait aider.
Dans cette ambiguïté, où les «brouillards de la guerre» sont des plus épais, la crise a de beaux jours devant elle et la question -continuer le combat ou négocier- apparaît, au mieux, comme un simple exercice de style. Un exercice d’autant plus difficile à résoudre que les acteurs régionaux ne jouent pas la même partition.
Gouverner mieux?
L’action gouvernementale doit être soutenue par des mesures cohérentes et complémentaires.La priorité doit viser à contenir le conflit, limitant ses effets de contagion. Mais celui-ci se métastase, rendant sa gestion plus incontrôlable. Des actions simultanées menées sur plusieurs fronts, y compris l’économique et le social, peuvent réduire les risques de contagion transfrontalière.
Dans cet esprit, les gouvernements doivent aider en consolidant leur base politique (cohésion nationale), diplomatique (cesser d’encourager la xénophobie et la retribalisation de leurs sociétés) et sécuritaire (professionnalisation des services de sécurité). La lutte contre la corruption, thème du sommet de l’Union africaine, doit être plus qu’un slogan.
Enfin, une des priorités essentielles de l’action de ces gouvernements devrait être de mettre fin au double langage en matière de gestion du terrorisme. Un discours officiel qui enrobe, sous des slogans martiaux, une connivence avec les mouvements radicaux, a fait des ravages partout où il a sévi. L’instabilité chronique en Afghanistan et en Somalie est largement liée à ce double langage.
Au Sahel, les populations sont alertes, les structures étatiques fragiles et la circulation de l’information rapide pour que les gouvernements continuent de privilégier un jeu suicidaire. Ce déni des réalités enfonce davantage la région dans la crise et piège ses partenaires extérieurs.
Une région qui a besoin du soutien extérieur de pays concernés et intéressés par sa situation : Europe, Etats- Unis, Maghreb, pays du Golfe, etc. De part et d’autre, chacun sait que les inerties bureaucratiques et le saupoudrage des ressources engendrent frustrations et malentendus parmi les donateurs et autant chez les récipiendaires. Avec,in fine,suspicion et inefficacité.
A ce niveau, et se remémorant von Clausewitz, la France, comme principal acteur extérieur dans la région, devrait concentrer ses moyens sur le seul Sahel et, concernant surtout la Libye, prendre plus de recul et moins d’engagements. La Libye est un pays retribalisé et déstructuré depuis des décennies et dont les voisins égyptiens et italiens privilégient essentiellement leurs savoir-faire.
Depuis 1964, peu après son indépendance, le Mali a connu une succession de guerres civiles ayant pour principal enjeu le nord du pays. Rebellions et accords de paix font partie de l’actualité malienne des cinquante dernières années. Le présent conflit remonte à 2012 avec l’occupation du nord du pays par des groupes armés composites : irrédentistes Touaregs, islamistes nord-africains : commerçants, trafiquants et leurs alliés de diverses origines.Au cours de la même année, de nombreux combattants étrangers forcent leur entrée dans le pays où débarquent,en janvier 2013, les troupes françaises appelées à la rescousse.
Le conflit s’est alors internationalisé et transformé. Si les radicaux ne peuvent pas contrôler Bamako leur capacité de nuisance reste forte et celle de s’étendre à la région est bien réelle. Cependant, la vocation des troupes étrangères, plus de 15 000 hommes, n’est pas de s’éterniser au Mali.
Par ailleurs, si toute crise finit par un règlement, quel sera celui qui prévaudra au Sahel ? Plusieurs possibilités existent : une victoire militaire,la poursuite d’un long conflit de faible intensité, et enfin, une négociation aboutissant à la paix. Des précédents, illustrant ces trois situations, peuvent servir de modèles pour le Sahel. L’écrasement de l’insurrection (Sri Lanka, Ouganda, Tchétchénie) ou l’amnistie après une ou plusieurs décennies de combats (Algérie, Colombie) et enfin, la perpétuation d’une crise de plus ou moins forte intensité (Egypte, Pakistan, Somalie, Soudan, Yémen).
Au cours des décennies passées, ces approches ont été appliquées au Mali. Chacune a abouti à un accord entre parties, mais chaque fois, le conflit renaissait de ses cendres.
Parmi les plus connus de ces accords, celui de Tamanrasset, Algérie, est conclu en janvier 1991.Puis suivit le «Pacte national», en avril 1992.Célébré par la «Flamme de la Paix» en 1996, une cérémonie organisée à Tombouctou. Une nouvelle rébellion éclate en mai 2006 et est réglée par les Accords d’Alger du 4 juillet 2006. Une autre, avec à sa tête Ibrahim Ag Bahanga, a lieu en 2008.
Le 17 janvier 2012 commence une nouvelle guerre avec le Mouvement pour la libération nationale de l’Azawad (MLNA) / Ansar Eddine. Entre Bamako et le MLNA les négociations aboutissent à «l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali» signé en juin 2015 à Alger.Trois ans plus tard, le conflit perdure, s’étendant à tout le Sahel.
Combattre sur plusieurs fronts
Affectant simultanément plusieurs pays, il est plus complexe que les guerres civiles déjà citées où, en effet, chaque pays ne gère que sa rébellion.Au Sahel, celles-ci sont multiples : au niveau de leurs composantes, des idéologies qui les animent et des intérêts attendus.Leurs soutiens extérieurs sont également divers et en concurrence. Dans ce contexte, une négociation peut engendrer des effets pervers en faisant éclater des mouvements radicaux en groupuscules plus extrémistes les uns que les autres.Comme en Irak, en Afghanistan, au Nigéria, au Pakistan ou en Somalie, la négociation avec les groupes radicaux n’est pas une panacée.
D’abord, négocier et conclure un accord dans un seul état n’est pas un gage de paix pour la région. Celui d’Alger signé en 2015 en est un exemple. Il a déplacé-et en l’aggravant par un transfert de combattants -le conflit vers les pays voisins et les Etats côtiers (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée et Liberia) quand bien même le but des radicaux reste l’Europe et en particulier la France où les relais sont plus nombreux. Deuxièmement, les rebelles qui acceptent de négocier sont souvent qualifiés de traîtres et exclus de leur groupe. S’ils sont majoritaires, la minorité entre en dissidence pour se déclarer la seule détentrice de la légitimité. Dans les deux cas, le conflit se poursuit avec violence.
En réalité, la longévité de la crise a transformé les pays sahéliens en vases communicants. Des vases entre lesquels, à travers les frontières nationales, les radicaux circulent aisément avec armes et sergents recruteurs. L’attaque meurtrière du siège de la Force du G5 Sahel à Savaré au Mali, ce vendredi 29 juin, par les radicaux prouve une fois cette situation.
Cet enlisement ne peut être lié à la qualité des troupes des pays du G5 Sahel. Auprès de leurs camarades français, elles se sont distinguées sur les champs de bataille lors des deux guerres mondiales. Loin de leurs pays et dans un environnement climatique des plus hostiles.
Les défaillances des armées de la région ont plusieurs causes. Elles sont plus le fait des gestions politiques que de la qualité intrinsèque des soldats, gendarmes, gardes nationaux et policiers.Très souvent les équipements ne sont pas adaptés ni de première main, les ressources pour la formation et les manœuvres sont notoirement limitées ou non affectées à leurs objectifs officiels.Ceci est vrai pour les gendarmeries, gardes nationales, polices et les autres services. Par-dessus tout, les recrutements, rarement transparents, laissent peu de place au mérite et engendrent frustrations et refus d’engagement sur le terrain.
Enfin, la connivence, équivoque ou avérée, entre des cercles dirigeants et des groupes armés conforte le radicalisme.Mettre plus de lumière sur ces collusions d’intérêts devrait aider.
Dans cette ambiguïté, où les «brouillards de la guerre» sont des plus épais, la crise a de beaux jours devant elle et la question -continuer le combat ou négocier- apparaît, au mieux, comme un simple exercice de style. Un exercice d’autant plus difficile à résoudre que les acteurs régionaux ne jouent pas la même partition.
Gouverner mieux?
L’action gouvernementale doit être soutenue par des mesures cohérentes et complémentaires.La priorité doit viser à contenir le conflit, limitant ses effets de contagion. Mais celui-ci se métastase, rendant sa gestion plus incontrôlable. Des actions simultanées menées sur plusieurs fronts, y compris l’économique et le social, peuvent réduire les risques de contagion transfrontalière.
Dans cet esprit, les gouvernements doivent aider en consolidant leur base politique (cohésion nationale), diplomatique (cesser d’encourager la xénophobie et la retribalisation de leurs sociétés) et sécuritaire (professionnalisation des services de sécurité). La lutte contre la corruption, thème du sommet de l’Union africaine, doit être plus qu’un slogan.
Enfin, une des priorités essentielles de l’action de ces gouvernements devrait être de mettre fin au double langage en matière de gestion du terrorisme. Un discours officiel qui enrobe, sous des slogans martiaux, une connivence avec les mouvements radicaux, a fait des ravages partout où il a sévi. L’instabilité chronique en Afghanistan et en Somalie est largement liée à ce double langage.
Au Sahel, les populations sont alertes, les structures étatiques fragiles et la circulation de l’information rapide pour que les gouvernements continuent de privilégier un jeu suicidaire. Ce déni des réalités enfonce davantage la région dans la crise et piège ses partenaires extérieurs.
Une région qui a besoin du soutien extérieur de pays concernés et intéressés par sa situation : Europe, Etats- Unis, Maghreb, pays du Golfe, etc. De part et d’autre, chacun sait que les inerties bureaucratiques et le saupoudrage des ressources engendrent frustrations et malentendus parmi les donateurs et autant chez les récipiendaires. Avec,in fine,suspicion et inefficacité.
A ce niveau, et se remémorant von Clausewitz, la France, comme principal acteur extérieur dans la région, devrait concentrer ses moyens sur le seul Sahel et, concernant surtout la Libye, prendre plus de recul et moins d’engagements. La Libye est un pays retribalisé et déstructuré depuis des décennies et dont les voisins égyptiens et italiens privilégient essentiellement leurs savoir-faire.