Entre les partisans de l’IRA qui y voient une « clairvoyance politique » et ses détracteurs qui ont signé déjà la mort sociale et politique du leader antiesclavagiste, Birame Dah Abeid, les analyses mêlent sarcasme de mauvais aloi, lynchage morbide et coups de poker hasardeux. Les deux partis y voient pour leur part, un marché gagnant-gagnant dans un domaine où la logique perd le plus souvent ses repères.En 2000, lorsque Messaoud Ould Boulkheïr, défenseur invétéré de l’identité harratine et porte-flambeau de la lutte contre l’esclavage se rallia au parti « Al Taliaa » d’obédience nassériste pour former l’Alliance Populaire Progressiste (APP) après avoir vu son parti Action pour le Changement (AC) dissous, un tollé s’était élevé pour condamner un tel attelage, les plus pessimistes ne donnant à cette alliance « contre-nature » qu’une courte durée de vie.La suite est connue. Grâce à cet accord, les Nasséristes entrèrent au Parlement, eurent leurs premiers maires et conseillers municipaux et même des ministres. Et Messaoud s’en sortira avec le poste de Président de l’Assemblée nationale, certes par des alliances qui le portèrent de plus en plus vers les tenants du pouvoir, au point de perdre peu à peu sa verve polémique et qu’il s’éloigna de ses idéaux. Mais la politique ayant comme seul objectif la conquête du pouvoir, Messaoud et les Nasséristes étaient parvenu à leurs fins.
Aujourd’hui, l’histoire semble bégayer. Qui eût parié il y a quelques mois, que le mouvement antiesclavagiste IRA, représenté à tort ou à raison comme un mouvement anti-beydane qui cristalliserait l’ensemble des revendications des harratines et des Négro-Africains, scellerait un accord politique avec un parti baathiste, considéré également à tort ou à raison comme l’ennemi juré de ces deux franges. Cet attelage qui n’est pas le premier en matière d’accords ou d’arrangements de nature électoraux entre partenaires en apparence inconciliables, prouvent qu’en matière politique, le résultat compte plus que les sensibilités.
Quid du parti Sawab
Le parti Sawab, créé en 2004, est dépeint par les mouvements Négro-Africains, comme l’un des bras armés du régime de Ould Taya ayant participé aux douloureux évènements constitutifs du « Passif humanitaire », marqués par les déportations massives et les tueries des années 89-91. Ce que le parti avait démenti dans un communiqué publié en juillet 2007, soulignant que « le passif humanitaire fait partie d’un ensemble de dossiers qui se sont entassés pendant toutes ces années d’exactions et de régimes d’exception, menaçant la survie même de l’Etat, depuis sa création jusqu’à nos jours » ajoutant que « la responsabilité complète de l’Etat, à travers le régime du moment, a toujours été entière dans ses luttes contre ces adversaires réels ou supposés ».
Il faut dire que le « Passif humanitaire » a longtemps servi de marchandises politiques pour les mouvements ou partis négro-africains dans leur recherche d’audiences électorales, sans que ces arguments n’aient pu leur faire rallier la totalité de l’électorat négro-africain.
Aujourd’hui, les enjeux suscités par les élections municipales, régionales, législatives et présidentielles qui pointent du nez courant 2018 et 2019, semblent contraindre les acteurs à des arrangements stratégiques.
Le parti Sawab souffre en effet de manque d’assise populaire. D’où une absence chronique à toutes les consultations électorales auxquelles il a pris part. Le parti ne s’est en effet jamais présenté à une élection présidentielle. Lors des législatives-municipales de 2006-2007, le parti s’était présenté seulement dans 9 Wilayas sur 13 et n’a pu obtenir le moindre député ni le moindre maire. En 2013, le parti Sawab avait refusé les résultats des élections municipales et législatives et demandé la dissolution de la CENI, parce qu’il n’avait pu obtenir le moindre conseiller municipal.
Fort de ce handicap lié à la quasi inexistence d’une base électorale, et de crainte de ne pas engranger le 1% nécessaire qui le prémunirait d’une dissolution prévue par la nouvelle loi sur les partis politiques, le parti Sawab compte ainsi sur la forte mobilisation du mouvement IRA pour parvenir à ses fins. Ainsi, dans l’accord qui vient d’être paraphé, jeudi 31 mai dernier, les deux partis comptent investir ensemble les législatives, les régionales et les municipales, dans l’espoir d’engranger des sièges. En contrepartie, le parti Sawab investira en son nom, le président Birame Dah Abeid, pour la Présidentielle de 2019.
Ce que gagne IRA dans ce marché et ce qu’il risque de perdre
En s’alliant au parti Sawab d’obédience baathiste, le mouvement antiesclavagiste IRA qui souffre d’une non-reconnaissance officielle et qui risque de ne pas pouvoir prendre part aux consultations électorales, trouve un cadre légal pour s’investir dans le champ politique. Ce qui lui permettrait de conquérir des mairies, des conseils régionaux et des sièges de député. Autant de tremplins pour véhiculer son programme de société et faire entendre la cause de ses militants et sympathisants. Son leader, Birame Dah Abeid, pourra ainsi se lancer à la conquête de la Magistrature suprême et bousculer l’ordre des préséances comme il l’avait déjà réussi lors de la Présidentielle de 2014 où il s’était hissé à la deuxième place, derrière le président Mohamed Abdel Aziz.
Cette option stratégique du mouvement IRA fait cependant l’objet d’un tir nourri de la part de ses détracteurs qui voient dans cette aventure, un suicide collectif du mouvement et de son président et un cadeau empoisonné offert au pouvoir. En effet, d’aucuns trouvent que le discours radical du mouvement IRA va s’estomper à travers cette alliance et qu’il court le risque d’un désengagement progressif de son programme derrière les opportunismes politiques. Il est reproché ainsi au mouvement IRA d’avoir sacrifié son idéal droit-de-l’hommiste sur l’autel des ambitions personnelles de ses dirigeants pour la gloire politique.
Ce qui semble être loin d’être confirmé, à la lumière du discours musclé de Birame Dah Abeid, lors de la cérémonie qui a marqué son alliance avec le parti Sawab. Un discours qui a commencé par une provocation, lorsqu’il décida de commencer en français plutôt qu’en arabe, ce qui aurait pu froisser des alliés idéologiquement marqués. Il reconnaît en filigrane le difficile choix d’une alliance dictée par « la complexité de la lutte et la brutalité de l’adversaire », précisant que ce n’est qu’une « fraction détachée et indépendante de l’ONG IRA » qui est concernée par cet accord et non l’ONG dans son ensemble.
Ce discours pourrait convaincre les militants d’IRA, même si les forces centrifuges vont user de la diabolisation du parti Sawab, pour condamner une telle alliance et cristalliser le ressenti des militants négro-africains du mouvement.
Cheikh Aïdara