30-07-2017 – Le Calame
Mohamed Ould Abdel a promis, dans ses meetings précédents, de révéler la vraie raison pour laquelle il veut supprimer le Sénat. Il n’en fera rien ; je vous assure. Ou en tout cas il ne donnera que de fausses vraies raisons, comme par la passé : Une charge faramineuse pour le budget de l’Etat. Un blocage des lois.
Un repère de corrompus…Et j’en passe. Mais s’il ne s’agit que de tout cela, le Sénat l’était déjà, figurez-vous, et depuis longtemps. L’effort budgétaire consenti par l’Etat en faveur de la Chambre haute ne date pas d’aujourd’hui et il n’a pas, en ma connaissance, beaucoup augmenté.
Et puis, une institution républicaine, de si important rôle, coûte ce qu’elle doit coûter. Et ce n’est jamais trop cher payé. Sans compter que les Conseils régionaux, qui remplaceraient le Sénat, seront de loin beaucoup plus coûteux et pour des missions pas très précises, d’ailleurs.
Le blocage des lois ? Un argument fallacieux qui ne résiste pas devant les faits : quelles lois les sénateurs ont-ils vraiment bloquées ? Et quand ? Et même si, n’est-ce pas le rôle du Parlement d’être un contrepouvoir ; de corriger, au nom du peuple, ce qu’il croit être les dépassements de l’Exécutif ? Non !
Ce n’est certainement pas pour cela que le général compte supprimer la seule chambre que le président de la république ne peut pas dissoudre quand elle résiste à son empire.
Un repère de corrompus ? Parce que les Sénateurs, dans l’entendement du général au pouvoir, ne peuvent s’être opposés à ses desseins que sous l’effet d’un achat de conscience ? Soit ! Mais ne sont-ce pas les mêmes Sénateurs qui l’avaient soutenus, lui-même en 2008, dans son équipée putschiste contre le président Sidi O. Cheikh Abdallahi ? Etaient-ils déjà corrompus, en ce temps-là ? Les avait-il achetés, lui, pour soutenir son honteux coup e force ?
Ou ne sont-ils devenus corrompus qu’après, lorsqu’ils ont décidé, cette fois, de protéger la Constitution et de défendre la séparation des pouvoirs ? Cette raison-là est tout aussi peu crédible que les précédentes. Elle l’est même moins qu’une autre, qui se raconte dans les salons parfois sur le registre de l’anecdote et selon laquelle Mohamed Ould Abdel Aziz cherche, en fait, uniquement à s’emparer de l’immeuble du Sénat et du terrain sur lequel celui-ci est sis.
Rien, de tout ce qui précède, ne constitue la vraie raison pour laquelle le général président cherche coûte que coûte à se débarrasser de la chambre haute du Parlement, au moment ou d’autres pays – le Mali en est un exemple – pensent justement à en créer pour les mêmes raisons et les mêmes missions que chez nous(!) ; celle qui le taraude dans son sommeil au point de le pousser à tant d’infractions à la loi fondamentale et de frilosité dans le discours et dans le comportement.
Mais pourquoi, donc, cherche-t-il si frileusement à supprimer une chambre qui complète la représentativité du Parlement en donnant voix législative aux collectivités locales, permettant que s’exprime la diversité de notre peuple et, ce qui est très important en démocratie, assurant la continuité institutionnelle de la séparation des pouvoirs, même en cas de dissolution de l’Assemblée nationale ou de changement de président de la République ?
La vraie raison, celle que Ould Abdel Aziz ne dira jamais, ni à Néma, ni dans aucune autre ville, est à chercher ailleurs. Elle se trouve, justement, dans la nature même du Sénat : une chambre que le président ne peut pas dissoudre, qui se renouvelle par tiers tous les deux ans et dont le président assure momentanément la transition en cas de vacance du pouvoir.
Comme le président ne peut pas le dissoudre, le Sénat peut donc, comme ce fut le cas pour les amendements constitutionnels, empêcher celui-ci de faire ce qu’il veut, bloquer ses velléités despotiques. Pour un autocrate comme Ould Abdel Aziz, cela est largement suffisant pour chercher à supprimer la chambre.
Mais il a un autre motif, plus…motivant : depuis qu’il a pris le pouvoir, le général a oublié(?) de renouveler le Sénat comme le prévoit la loi. Il a commis, ainsi, une faute grave, une forfaiture car, en tant que garant de la Constitution, il devait respecter l’article 47 de celle-ci, qui stipule que « Les sénateurs sont renouvelés par tiers (1/3) tous les deux (2) ans. » « Renouvelés », qui institue une obligation et non « renouvelables » qui semble avoir présidé à la décision du chef de l’Etat de garder la chambre sans renouvellement jusqu’à expiration du mandat de tous ses membres.
Les sénateurs, soit dit en passant, ne sont rien responsables de cette situation, ni même des infractions législatives qui en résultent. Leur devoir républicain est de continuer à légiférer tant qu’ils n’ont pas été remplacés. Entretemps, donc, le forfait du président s’est aggravé par des dizaines, voir des centaines de textes de lois et de décisions dont certaines sont très graves(l’amendement de la Constitution en 2013) prises avec une chambre au mandat expiré.
C’est donc un véritable crime pour lequel le président peut et doit être jugé. Même après la fin de son mandat ! Qu’y a-t-il de plus sûr, pour un homme qui doit quitter le pouvoir dans deux ans, que de supprimer l’objet même de ses infractions, d’effacer toute trace pouvant conduire à ses forfaits?
Supprimer le Sénat c’est, pour Ould Abdel Aziz, assurer ses arrières, se prémunir contre d’éventuelles poursuites pour haute trahison quand il aura quitté le pouvoir. C’est du même souci de prémunition contre d’éventuelles poursuites que procède la suppression de la Haute Cour de Justice et son remplacement par une juridiction assujettie à l’exécutif.
Si les amendements soumis au référendum putschiste passent, non seulement Mohamed Ould Abdel Aziz échappera à d’éventuelles poursuites pour sa forfaiture au sujet du Sénat, mais il n’y aura plus qu’une seule chambre parlementaire assujettie au chef de l’exécutif -qui peut la dissoudre -, plus de haute cour de la justice du tout et plus d’intérim momentané du président de la République.
La voie est ainsi ouverte à la fois devant l’impunité de l’homme qui gouverne la Mauritanie, à sa guise, depuis maintenant dix ans et sa succession à lui-même, à travers des mécanismes constitutionnelles faciles à monter avec une Constitution délestée de quelques articles contraires à ce dessein, lesquels peuvent tous être remplacés par de nouvelles dispositions facilitant le contournement de l’interdiction d’effectuer plus de deux mandats (par exemple en créant un poste de vice-président qui achève le mandat du président, en d’empêchement ou de démission, etc.
Les mauritaniens accepteront-ils une telle usurpation de leur droit à un autre pouvoir que celui qui le mène vers l’abîme et un autre président que celui qui piétine leurs lois et pille leur ressources ?
Tout laisse croire, heureusement, que non !
Mohamed ould Md Vall