Marie Foray, juriste, et Tiphaine Gosse, journaliste indépendante, ont été expulsées de Mauritanie alors qu’elles travaillaient sur la question de l’esclavage.
Le 28 avril, le général mauritanien Mohamed Ould Meguett, directeur général de la sûreté nationale, après nous avoir déclaré qu’« il n’y a pas d’esclavage en Mauritanie », a exigé que Tiphaine Gosse, journaliste, et moi-même, Marie Foray, juriste, quittions immédiatement la Mauritanie afin de nous empêcher de poursuivre nos investigations sur les questions de l’esclavage et du racisme en Mauritanie.
Déclarées persona non grata, accusées de travailler pour des organisations non reconnues – Initiative pour la résurgence du Mouvement abolitionniste (IRA) et Touche pas à ma nationalité ! (TPMN) –, nous sommes rentrées en France le 2 mai. Les difficultés ont commencé avec le renouvellement de mon visa, après un mois et demi de présence en Mauritanie.
Convoquée à de nombreuses reprises à la Direction de la sûreté du territoire (DST), j’ai subi, de la part des autorités mauritaniennes, un harcèlement moral allant d’insinuations à caractère sexuel aux menaces d’emprisonnement sans que les fonctionnaires de la sécurité ne me fassent part des accusations portées à mon encontre.
Finalement, au bout de trois semaines, il m’a été signifié par le chef de la DGSN en personne que mon visa, obtenu très officiellement en suivant la voie légale, ne me serait pas renouvelé. Tiphaine Gosse, dont le visa était toujours valable et moi-même devions quitter le territoire sur-le-champ au risque de nous retrouver en prison.
Présente en Mauritanie pour la seconde fois sur invitation de l’Association mauritanienne pour les droits de l’homme (AMDH), reconnue dans le pays – mon précédent séjour remontait au mois d’octobre 2016 –, j’ai été accusée de ne pas avoir choisi un organisme gouvernemental tel que le Commissariat aux droits de l’homme et à l’action humanitaire (CDHAH) pour être « encadrée » dans mes recherches. Il m’a été clairement signifié que je pouvais prétendre à un nouveau visa à condition de ne pas entrer en contact avec des membres de l’IRA, ce qui est inacceptable.
Pressions et intimidations
La République islamique de Mauritanie, l’un des derniers pays au monde à avoir aboli officiellement l’esclavage en 1981, s’est résignée à ériger ce dernier au rang de crime contre l’humanité en 2012.
En août 2015, elle a adopté une nouvelle loi anti-esclavagiste. La peine d’emprisonnement maximale pour le crime d’esclavage est passée de dix à vingt ans. Les ONG reconnues par l’Etat peuvent dorénavant se porter partie civile lors de procès.
Malgré ces avancées légales, les principales organisations des droits humains connues pour leur lutte contre l’esclavage en Mauritanie telles que SOS-Esclaves, l’AMDH et l’Association des femmes chefs de famille (AFCF) dénoncent « l’hypocrisie des autorités mauritaniennes », qui cherchent, par la ratification des traités internationaux et l’adoption de lois jugées incomplètes, à satisfaire la communauté internationale sans volonté réelle de lutter efficacement contre l’esclavage à l’intérieur du pays.
L’IRA, organisation non reconnue officiellement, mais dont le président, Biram Dah Abeid, figure emblématique de la lutte contre l’esclavage, dispose pourtant d’une reconnaissance internationale pour son combat, subit de nombreuses pressions et intimidations de Nouakchott. Ses membres sont régulièrement harcelés, intimidés et emprisonnés au motif d’appartenir à l’IRA.
Lors de notre première convocation à la Direction de la sûreté nationale, nous avons été menacées d’être soumises aux mêmes « lois » que celles s’appliquant aux militants anti-esclavagistes du mouvement.
La détermination des autorités à entraver notre travail, notre départ forcé et précipité suivi, le même jour, de nouvelles arrestations à Sélibaby des militants de l’IRA Balla Touré, Samba Diagana, Hanana Mboirick, Kaw Lo et de Meimoune Bougah – depuis libérés – montre à quel point ce sujet reste extrêmement sensible et tabou en Mauritanie.