L’arrivée de Birame Dah Abeid, président d’IRA, le 7 mai 2017 au Guidimagha, a suscité une véritable levée de boucliers au sein de l’appareil sécuritaire du pays, allant jusqu’à secouer le pouvoir et la Présidence de la République, d’où fusait manifestement toutes les instructions relative à la gestion d’une affaire qui avait profondément ébranlé les féodaux soninkés.
La preuve, Sélibaby, capitale du Guidimagha et porte par laquelle le leader abolitionniste comptait entrer sur invitation d’associations antiesclavagistes soninkés, sera fermée pendant deux jours à tout étranger à la région.
Selon des informations concordantes, la classe féodale soninké, sous la houlette de ses plus grands cadres, auraient contacté directement le président Mohamed Abdel Aziz pour lui dire que s’il laisse Birame poursuivre tranquillement son périple au sein des esclaves soninkés, le vote en faveur du référendum constitutionnel sera sérieusement compromis au Guidimagha.
D’où les instructions données au Wali, Diallo Oumar Amadou, de prendre toutes les dispositions pour empêcher aux militants d’IRA de pénétrer jusqu’à Sélibaby et à Birame de rester ne serait-ce qu’une demi-journée dans la région. A quelques doigts de la retraite, le gouverneur devait redoubler de zèle pour couronner sa longue carrière d’administrateur par la gestion du cas Birame, une affaire dont il n’avait pas du tout besoin à ce stade de sa vie professionnelle.
Aussi, avait-il parcouru toute la région, semant la terreur et la panique au sein des classes serviles, dans les hameaux et les villages. Ainsi, beaucoup parmi ceux qui étaient prêts à recevoir Birame, à Gouraye, Diaguili et dans d’autres villages cédèrent sous les menaces d’emprisonnement. Seuls les militants antiesclavagistes de Diogountoro ont résisté à ces menaces. Bakayoko, l’un de ses leaders, aurait ainsi tête aux autorités à qui il a dit «je suis toujours prêt à recevoir Birame comme invité, même si cela doit me conduire en prison».
Tachott, la porte de filtrage
Depuis l’annonce de l’arrivée du président d’IRA par la porte de Gouraye qui fait face à la ville sénégalaise de Bakel, les autorités régionales du Guidimagha avaient porté l’alerte sécuritaire à son maximum. Diallo Oumar Amadou savait qu’il jouait sa tête. Aussi, fit-il installer des barrages de la gendarmerie sur toutes les voies d’accès menant à Sélibaby et à Gouraye.
Des dizaines de militants d’IRA qui avaient quitté les autres villes du pays pour rallier le Guidimagha seront formellement identifiés puis refoulés au niveau de plusieurs points d’accès. Même ceux qui avaient tenté de se fondre dans l’anonymat des taxi-brousses ou des bus de transport. Cela était d’autant plus facile que la quasi-totalité des militants d’IRA sont connus. Beaucoup d’entre eux sont fichés suite à des manifestations, des marches de protestation ou des sit-in non autorisés menés ces dernières années et matés dans la répression.
A Tachott, une brigade mobile de la gendarmerie a été spécialement installée pour filtrer les entrées vers Sélibaby, située à une vingtaine de kilomètres. Le 3 mai 2017, Balla Touré, Secrétaire chargé des relations extérieurs d’IRA et ses compagnons, Samba Diagana, Hanana MBoïrick, Kaw Lô, et leur chauffeur, ont été chopés à Gouraye puis reconduits jusqu’à Nouakchott. Cet incident aurait certainement, selon certains membres d’IRA, motivé l’installation de ce poste avancé.
Trois jours plus tard, le 6 mai 2017, une délégation conduite par la vice-présidente du mouvement, Coumba Dado Kane, et comprenant Khattri Rahel, Mama IRA (une dame de fer membre d’une association antiesclavagiste soninké), Dah Boushab, Ousmane Lô et Ahmed Hamdi seront ainsi stoppés net à Tachott par cette brigade de gendarmerie. Il faisait minuit. Après avoir récupéré leurs pièces d’identité, les gendarmes les ont communiqués à leurs supérieurs. Quelques minutes d’attente et les instructions tombèrent. La délégation était priée de rebrousser chemin. L’entrée à Sélibaby leur était fermée. Après une nuit en pleine brousse, les membres de la délégation ont joué aux obstinés. Une partie regagnera Tachott, situé à 5 kilomètres du poste de gendarmerie. Coumba Dado Kane, à bord de la Prado qui devrait ramener Birame, jouera les têtues.
Le 7 mai, aux environs de 12 heures, des journalistes venus couvrir l’évènement crée par le retour de Birame en Mauritanie, après une longue tournée en Europe et aux USA, et qui allait certainement apporter du nouveau dans une actualité morose et fade, butèrent sur cette même brigade et connurent le sort des militants d’IRA. La porte de Sélibaby leur était aussi fermée.
Ce qui s’est passé à Gouraye
Aux environs de 12 heures, Birame débarqua à Gouraye accompagné d’un seul membre d’IRA. Il raconte.
«J’ai été reçu par le commissaire de Gouraye, au milieu d’un véritable déploiement des forces de l’ordre. Il me fit asseoir en attendant de recevoir des instructions. Quelques minutes plus tard, il me dit que le chef d’arrondissement me demandait si j’étais prêt à le rencontrer et dans ce cas, si j’allais le rejoindre avec ma voiture ou s’il m’en envoyait une. Je lui ai répondu que j’étais prêt à le rencontrer mais que ma voiture est bloquée à Tachott, il devait donc m’en envoyer une. Un peu plus tard, le commissaire me fit savoir qu’il y avait changement de programme. Je devais quitter le Guidimagha sous escorte de la gendarmerie. C’est alors que les autorités décidèrent de laisser passer Coumba Dado Kane et la voiture qui devrait me ramener ».
A Tachott, le reste de la délégation bloquée là depuis des heures, avait suivi au téléphone, grâce à Coumba, l’évolution de la situation à Gouraye. Ils apprirent que Birame allait être refoulé sous escorte de la gendarmerie. Assis sous une gargote à plus de 45° à l’ombre, ils venaient juste de commander quelques plats de riz à la viande d’une qualité médiocre, lorsque le convoi leur passa sous le nez. Ils se lancèrent précipitamment à ses trousses. A hauteur de Djadjibini, ils croisèrent les deux véhicules de la gendarmerie qui venaient de passer le relais à la brigade de Mbout.
La Prado, au lieu de prendre la route de Kaédi, piqua par la bretelle vers le centre-ville, obligeant l’escorte à faire de même. La section locale d’IRA avait préparé un accueil modeste dans la maison d’une des militantes les plus chevronnés du mouvement, Toutou. Les gendarmes s’installèrent près de la maison. Chansons, youyous, accueillirent Birame qui décida de passer la nuit. Un dîner somptueux lui fut servi au milieu des militants, dont une écrasante majorité de femme. Le lendemain cap sur Boghé.
Boghé : le commissaire débarque dans la maison
Arrivée à Boghé vers 13 heures, la délégation d’IRA fut accueillie au domicile d’un militant par une foule de jeunes, hommes et femmes. Une trentaine de personnes enthousiasmées se trouvait là . Trente minutes après, le commissaire de Boghé, Henoune Ould Sid’Elemine, débarqua accompagné de quatre policiers. Dehors, une Toyota remplie d’éléments armés et cagoulés. «Pas d’attroupement ! » indiqua le commissaire qui s’est entretenu longuement avec Birame. Le ton est monté un peu. Puis Birame, sortit en trombe et lui lança : «si la présence de ces gens te gênent, tu n’as qu’à les embarquer ou fait ce que tu veux, je ne suis pas comptable de leur présence ici ».
Le commissaire entreprit de faire sortir tous les jeunes ressortissants de Boghé, en plus de quelques journalistes locaux venus quérir des informations ou une interview avec le leader abolitionniste, surtout que son périple au Guidimagha avait rempli les réseaux sociaux.
N’empêche, la maison se remplit de nouveau, tandis que quelques policiers chassés par l’harmattan, se réfugièrent dans la maison, sous un hangar à l’écart de la délégation, accompagnés de jeunes Boghéens.
Birame animera ainsi une conférence de presse à l’intention des correspondants de quelques journaux et sites, notamment «Le Calame » mais aussi «Le Véridique », entre autres. Il est revenu sur son périple au Guidimagha, insistant sur l’idéologie de son mouvement basé sur la lutte pacifique contre le racisme et l’esclavage en Mauritanie.
Plusieurs cadres d’IRA ont pris la parole dans les langues nationales, à l’image de Coumba Dado Kane et Ousmane Lô.
Un peu avant le départ de la délégation, le président de la section IRA au niveau de Boghé, Bah Ould Eyoub a pris la parole pour exprimer l’adhésion totale des militants au niveau de la région pour le combat d’IRA. «Nous sommes derrière toi pour relever tous les défis que tu t’es fixé » a-t-il conclu, s’adressant à Birame, dont le corps nageait de sueur sous un boubou léger et un sous-vêtement blanc. Boghé était pris sous une nasse de chaleur torride.
Bouhdida, une visite sans surveillance policière
Birame et sa délégation quittèrent Boghé, escortés par une voiture de police qui s’arrêtera juste au rond-point de la route de Rosso.
«C’est sûr qu’ils n’ont plus de gasoil » railla un militant. Le convoi poursuivit son chemin, loin de toute surveillance policière. Direction, Bouhdida, localité située à une vingtaine de kilomètres d’Aleg, la capitale régionale du Brakna. Un arrêt de quelques minutes au cours duquel plus d’une trentaine de personnes s’attroupèrent sous un hangar autour de Birame que la plupart voyaient pour la première fois. «Si cette visite était mieux préparée, on vous aurait rempli la cour. Vos partisans sont nombreux ici et nous sommes tous avec ton combat » déclara une femme, la quarantaine. Applaudissements sonores et quelques tambourinements sur un fût vide. Le départ de Birame sera salué par une salve de youyous. Cap sur Aleg, où la délégation devait passer la nuit.
Aleg et Boutilimit barricadés
Le rond-point d’Aleg avait disparu sous le foisonnement des tenues kaki. Une véritable armada policière, casques vissés sur la tête et matraque au ceinturon, obstruait la bifurcation qui menait vers la ville d’Aleg. Comme si ce mur humain ne suffisait pas, une Toyota de la Police tout en diagonale barrait le chemin. Les voitures de la délégation, la Prado de Birame en tête, s’immobilisèrent sur le bas-côté, tandis que des passagers qui faisaient le pied de grue sur la nationale menant vers Boghé, jouèrent aux badauds. Quelques minutes s’écoulèrent.
Le Directeur régional de la Sûreté (DRS) du Brakna, Mohamed Ali Ould Mélaïnine, boubou blanc, cheveux grisonnants, s’avança vers la voiture de Birame. Ce dernier sortit et le rejoignit sur le talus. Les deux hommes s’abîmèrent dans de longs palabres dont les propos échappèrent au reste de la délégation. Puis, Birame se dirigea vers ses amis. «Nous sommes interdits d’entrer dans la ville d’Aleg. Les ordres viendraient de très haut, selon le DRS » lâcha Birame. Quelqu’un lui lança, irrité, alors qu’il prenait place dans la Prado.
«Et la route de Nouakchott, elle nous est aussi fermée ? » Birame sourit et lui répondit «c’est vrai, je vais le lui demander ». Il redescendit et se dirigea vers le DRS. «Mon commissaire, j’espère que la route de Nouakchott ne nous est pas fermée aussi ? » Le commissaire lui répondit : «non, elle est ouverte ».
La délégation, suivie pendant quelques mètres par une voiture de police, s’ébranla. Cap vers l’étape de Boutilimit qui n’était prévue dans le programme que le lendemain.
De Boutlimit à Nouakchott, la ligne droite
Au carrefour de Boutilimit, là où la voie bifurque sur une bretelle de contournement, une voiture de police était à l’accueil. Ordre fut donné au convoi d’emprunter cette voie, qui permet d’éviter la ville. Ainsi, après Aleg, Boutilimit était aussi interdite à Birame. Une voiture de la police l’accompagnera jusqu’à la sortie de la vieille cité maraboutique.
Le reste du trajet vers Nouakchott se déroula sans aucun incident. Les gendarmes qui jonchaient la route semblaient parfaitement au courant de ce qui se passait. A chaque arrêt, dès qu’ils demandaient les papiers de la voiture au chauffeur et qu’on leur disait que cette voiture fait partie du convoi de Birame Dah Abeid, ils faisaient automatiquement signe de continuer.
Enfin, Nouakchott ! Deux voitures de la délégation arrivèrent les premiers au poste de police du kilomètre 18 marquant l’entrée de la capitale. Beaucoup de policiers sur la chaussée et deux Toyotas clignotant sur les deux bords de la route. «Où est le président Birame ? » s’enquit un gradé. «Il vient ! Il est en cours de route ! » répondit l’un des membres du Comité de Paix, reconnaissable à son pantalon noir, chemise blanche et cravate noire.
La Prado était restée loin, garée quelques kilomètres derrière. La vice-présidente, Coumba Dado Kane se livrait à une interview sollicitée par une station étrangère. Une demie heure et la Prado fit son apparition. Un bref arrêt et la délégation prit le chemin de la ville. Une Toyota de la police la suivit puis s’arrêta quelques mètres plus loin.
Au domicile des Ehel Ahmed, les beaux-parents de Birame, une foule attendait. Les crissements des pneus devant la porte d’entrée furent accompagnés d’une salve de youyous. Dans le salon bondé de monde, Leïla, l’épouse de Birame était couchée près d’un berceau où reposait un bébé. Le dernier né du couple.
Cheikh Aïdara
Source : Le Courrier du Nord (Mauritanie)