Travail forcé et esclavage ! Voilà des sujets tabous sous nos cieux. Deux journalistes belges de la Conférence syndicale internationale (CSI) qui cherchaient à réaliser un film de 12 minutes sur le travail forcé en Mauritanie l’apprendront à leurs dépens, alors que leur mission était programmée en application de la feuille de route signée par le gouvernement suite à la ratification du Protocole de 2014 relatif à laCO29 (Convention n°29) de l’OIT ratifiée en 2016 par la Mauritanie.
La Mauritanie est le 2ème pays africain et le 4ème dans le monde après le Niger, la Norvège et le Royaume Uni à avoir ratifié en mars 2016 le Protocole de 2014 relatif à la Convention n°29 (CO29) de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail forcé, pratique assimilée à l’esclavage.
En octobre 2016, une réunion s’était tenue à Nouakchott entre une délégation de l’OIT (Organisation internationale du travail), la société civile et le gouvernement mauritanien représenté par les ministres de la Justice, de la Fonction Publique et du Travail, du ministère des Relations avec le Parlement, de l’Agence Tadamoun et du Commissariat aux droits de l’homme, entre autres.
Une feuille de route a été dégagée à la suite de cette rencontre, dont un volet communication pour une documentation sur l’état des lieux du travail forcé en Mauritanie. C’est dans ce cadre que le CSI a dernièrement dépêché deux journalistes à Nouakchott.
S’adressant aux autorités compétentes pour une autorisation, ils buteront cependant sur des tracasseries administratives à relent de refus tacite. Valdingués entre le ministère des Relations avec le Parlement et le Ministère du Travail, ils achèveront leur mission à Nouakchott sans pouvoir se rendre à l’intérieur du pays.
Au cours des cinq jours passés dans la capitale, ils ont cependant visité plusieurs acteurs, syndicats de travailleurs, mais aussi travailleurs de divers secteurs, BTP, assainissement, logistiques, aluminium, pêche, domestiques, anciens esclaves, dockers.
Ils ont tenté de rencontrer des employeurs et des responsables publics, tels que le Directeur général de l’Agence Tadamoun, le Commissaire aux droits de l’homme, la ministre du Travail et son homologue chargée des Relations avec le Parlement, le ministre de la Justice, mais sans succès.
Constats
C’est dans le domaine du BTP, en l’occurrence les grands chantiers publics, où les problèmes sont plus inquiétants. La majeure partie des travailleurs sont des étrangers ouest-africains, taillables et corvéables, avec des salaires de misère, la non décompte des heures supplémentaires, l’inexistence de feuille de pointage, l’absence d’habits de sécurité, la non déclaration à la caisse et la non prise en charge médicale.
« Je suis étranger, je suis obligé de travailler pour faire vivre ma famille » déclare un travailleur originaire de la Côte d’Ivoire et employé comme maçon dans la société chinoise CTC située en face de la Foire de Nouakchott et chargée de la construction des gros blocs pour l’assainissement de Nouakchott.
Son cas est le même que ces dizaines de collègues venus du Sénégal, du Mali, du Bénin…sans contrat de travail. Ils subissent parfois des violences physiques, et travaillent parfois pendant plus de douze heures. A la moindre incartade, c’est le licenciement sans préavis et sans droits. Des violations à la pelle de la Convention collective et de la législation du travail en Mauritanie.
Même son de cloche au niveau de l’immense chantier de quinze étages de la SNIM, situé en plein centre-ville et confié à une société espagnole.
Si à la SIGECO, société à capitaux privés et étrangers, la situation des travailleurs est meilleure, le niveau bas des salaires est le principal problème soulevé par les employés, car il détermine les heures supplémentaires qui se révèlent si dérisoires que beaucoup déclarent finalement n’en pas vouloir.
Même constat à la société d’aluminium des EhelGhadda située à côté du marché aux poissons de la plage. Là également, les normes de travail sont en général satisfaisantes, mais certains travailleurs dénoncent la non détention de contrat.
Chez les pêcheurs, le responsable local de la Confédération mauritanienne des travailleurs (CMT) qui regroupe 674 pêcheurs, Mohamed Cheikh Yahya est catégorique. Les travailleurs de la mer n’ont pas de contrat de travail, ni gilet de sauvetage, ni botte.
Leur revenu dépend des captures du jour, le tiers de la production que les membres de l’équipage se partagent. Aucun d’entre eux n’est assuré. En cas d’accident en mer ou de mort, leurs familles supportent seuls les frais du drame.
Ainsi, même si les travailleurs mauritaniens ne sont pas forcés à monnayer leur force de travail, La situation économique du pays les oblige à accepter les pires conditions de travail, tailladés par la pauvreté, le chômage et le dénuement.
La situation des dockers est encore pire, dans la mesure où ils sont confrontés aux aléas d’un travail physique que leur disputaient il y a encore quelques années, des fonctionnaires et des retraités qui eux recevaient des salaires sans avoir jamais mis le pied au Port.
C’est le 28 avril 2013, après une grève qui a paralysé le Port pendant huit jours, qu’ils parviendront à traîner l’Etat et le patronat autour de la table des négociations.
Un protocole d’accord sera signé au bout de plusieurs rounds de négociation aux termes desquels, il leur fut accordé des concessions, notamment la tonne de marchandises débarquée passera de 800 à 1500 UM, la liste de pointage des dockers sera débarrassée de tous ceux qui sont étrangers au corps des dockers, un dispensaire et une ambulance pour soigner les blesser ou les évacuer en cas d’urgence. Mais de ces engagements, peu sont aujourd’hui respectés, d’où une autre menace de grève, et d’autres négociations en vue.
Quant aux domestiques, c’est le lieu de tous les abus contre les femmes, soumises à des harcèlements sexuels, à des risques d’emprisonnement suite à de fausses accusations de vol. Aucun statut juridique ne les protège pour le moment.
L’Association des femmes chefs de famille (AFCF) constitue leur seul recours, cette organisation ayant porté devant les tribunaux plusieurs violations contre les droits des travailleurs domestiques si ce n’est pour en défendre d’autres qui croupissent en prison sous de fallacieuses accusations.
Cheikh Aïdara