Et arrêter ce grand écart, permanent, entre conventions internationales (conventions que nous signons) et mise en application de celles-ci. Arrêter cette schizophrénie qui vide de sens tous nos engagements. Arrêter de pondre des corpus de lois qui disent tout et son contraire, qui se télescopent et se contredisent.
Arrêter, surtout, de céder à cette exigence qui voudrait que seule la sphère du religieux – ses penseurs, donc – ait le dernier mot sur tout et paralyse toute velléité d’innovations. S’il n’existait qu’une seule voie de pensée en islam, tout serait plus facile. Mais nous ne pouvons continuer d’accepter de ne choisir qu’une voie contre une autre. Détenons-nous le monopole de l’interprétation et de la vérité? Affirmer que oui ne signe qu’un immense orgueil.
Je ne dis pas, et loin, très loin de là, que les érudits religieux sont, automatiquement, archaïques et ignorants. Non. Beaucoup ont la culture suffisante et l’amour des autres. Mais ce ne sont pas eux que nous écoutons. Nos politiques plient la tête devant ceux qui ont les interprétations les plus extrêmes. Et quand le politique démissionne, il laisse la place à toutes les arguties, légitimées religieusement ou non. La laïcité n’a jamais été l’athéisme, bien que j’estime que le droit à l’athéisme soit un droit fondamental.
Mais ceci un autre sujet. Penser la laïcité, accepter d’en discuter, faire preuve de « mener », ne pas accepter que le « peuple » ne soit que morbidités et statu quo, ouvrir les schèmes à d’autres concepts que nous devons inventer, tout ceci est urgent et vital, face au suicide collectif auquel nous assistons.
Ne pas accepter que la sphère du religieux ne revienne, dans la bouche de nos « penseurs religieux », qu’à tout figer, qu’à tout interdire… Refuser d’entendre des inepties sur, par exemple, l’éducation des petites filles. Refuser les absurdités proférées, lors de la présentation de l’avant-projet de loi sur les violences basées sur le genre.
Refuser que chaque chance de protection des femmes soit battue en brèche, par des hommes qui haïssent tellement le sexe féminin qu’ils en perdent tout bon sens.
Refuser que la peur ne soit que le moteur de l’évolution de nos sociétés. Refuser ce poncif, débilitant, qui dit que « le peuple n’est pas prêt ». Le « peuple », c’est le politique qui le fabrique. Il est issu d’une volonté nationale, supranationale. Il est, d’abord, le reflet d’une histoire commune, d’une mémoire commune. Se cacher derrière le peuple, pour ne pas avoir à assumer certaines lâchetés est une démission.
C’est au politique de faire preuve de pédagogie. C’est au politique de « construire » un peuple. C’est au politique, ce politique qu’il revient de poser la base de la Cité. De démissions en démissions, nous ne faisons qu’accélérer notre suicide collectif. Quand seul le temps court – le bout du nez – prime, c’est que nous n’avons pas d’avenir. La politique à la petite semaine est tout, sauf de la politique.
Je suis sincèrement persuadée que la laïcité est une chance, pas une fermeture ni la mort du religieux. Bien au contraire. La laïcité n’est pas une acculturation. Elle est propre à chaque société, sous une forme ou sous une autre, dans les audaces de certains.
Si nous acceptons que le religieux soit le tout, en matière de lois, de protections, d’avancées, nous acceptons, donc, la mort du religieux, en ceci que nous acceptons la perte de la profondeur et de la foi, au profit de la posture et de la course à l’échalote.
Bref… La laïcité c’est refuser que des « érudits » sanctifiés par l’ignorance populaire (on est érudit parce que l’on a eu la chance de pouvoir étudier dans une mahadra et de rencontrer d’autres érudits, ce qui ne fait, de vous, ni un Envoyé de Dieu ni le seul spécialiste de la foi) décident de chacun de nos souffles et de nos actes, en phagocytant tout l’espace que nous décidons de leur octroyer.
Si nous étions un pays laïc, décomplexé, l’avant-projet de loi sur les violences basées sur le genre, par exemple, aurait été discuté, non pas à l’aune d’interprétations obscurantistes mais à celle de l’intérêt public. Et cette discussion l’aurait enrichi et précisé. Et nous n’aurions pas laissé, de côté, la protection des femmes….
De plus, notre aptitude à tout passer au prisme religieux nous a rendu terre d’asile pour tous les salafistes et autres dont les pays d’origine ne veulent plus. Est-ce cela notre idéal ? Tous ces « afghans », tunisiens, algériens, européens qui ont envahi nos rues, avec leurs femmes en niqab ? Terre d’asile des extrêmes, parce que nous-mêmes devenus extrêmes ? Posons-nous les bonnes questions et acceptons d’en discuter, sans anathèmes, sans menaces.
Bref : il nous faut accepter de penser, de conceptualiser, d’innover, face à l’immobilisme ambiant, immobilisme teinté de peurs et de fantasmes. Les religieux n’ont le monopole ni de la pensée ni de la raison. Ils n’ont pas le monopole de la vérité absolue. Personne ne possède ce monopole. Faire, d’une religion universelle, une universalité du politique est une aberration. Salut,
Mariem Mint Derwich
PS : j’entends d’ici les anathèmes qui me seront jetés, les accusations d’athéisme, etc. Je suis femme musulmane, croyante, profondément croyante et je dénie, à quiconque, le droit de décider si je le suis ou pas. Mais je suis femme musulmane qui a voyagé, côtoyé tous ces musulmans qui vivent dans des pays laïcs et qui sont toujours musulmans, qui vivent leur religion dans la paix, qui jeunent, font le pèlerinage, prient, vont à la mosquée.
Ils ne sont pas moins musulmans que nous. Et je suis persuadée, aussi, que l’avenir de l’islam est ailleurs que dans nos pays dits musulmans. Que ces millions de musulmans qui vivent dans des pays non-musulmans sont la preuve de la force, de la lumière, de la puissance de notre religion bénie. Qu’ils sont l’avenir de notre foi, prouvant que l’islam n’est pas tué par la laïcité mais qu’il s’accorde très bien d’elle.
Source : Le Calame (Mauritanie)