Carnet de voyage /El Kory Sneiba, depuis Néma

Billet vers Néma

Dimanche vers 8 heures passées. Cap sur Néma. C’est-à-dire, une énième fois sur toute la route de l’Espoir. Le plus long tronçon national, réalisé du temps de feu Moktar Ould Daddah, qui permit de désenclaver plusieurs wilayas du pays, notamment les deux Hodhs, l’Assaba, le Brakna, une partie du Trarza et une partie du Tagant. Contrairement à ce que racontent beaucoup de gens, la route de l’Espoir, construite entre la fin des années 74 et celle des années 77 n’est longue que de

1085 kilomètres : Nouakchott/Aleg : 256 Kms, Aleg/Kiffa : 342 Kms, Kiffa/Aioun : 210Kms (les célèbres 3X70 : Kiffa/Fam Lekhweratt : 70 Kms, Fam Lekweratt/Tintane : 70Kms, Tintane/Aioun : 70Kms), Aioun/Timbedra : 170 Kms et Timbedra/Néma : 107 Kms. Nous voici, mes deux amis et moi, dans une Hilux toute neuve, conduite par un fort modeste chauffeur qui nous avertit, d’emblée, qu’il n’est pas un as de la conduite. Un conducteur atypique, puisqu’à l’ordinaire, tant de chauffeurs aiment à se vanter. 

 

Boutilimit : histoire de bretelle

Le passage à Boutilimit, aux environs de dix heures, était un véritable casse-tête pour les usagers de la route de l’Espoir. Quasiment tous les Boutilimitois se retrouvent, à cette heure, allant et venant aux abords de la route où s’agglutinent boutiques, marché, étals de viande, poisson et légumes. Hommes, femmes de tous âges déambulent nonchalamment sur le goudron. La présence de quelques policiers dépenaillés ne semble ni les inquiéter ni les impressionner. Preuve de l’allégation selon laquelle les Boutilimitois prétendent que le goudron leur appartient, puisque c’est leur fils qui le leur donna. Seulement, depuis quelques semaines, le ministère de l’Equipement a fini les travaux d’une extraordinaire bretelle de quelques quatre à cinq kilomètres qui permet, aux automobilistes de contourner la route principale traversant la ville. Peine perdue : le long de cette déviation, de nouvelles constructions commencent à pousser, comme des champignons. Vieilles roues et bouts de bois servent de piquets fonciers aux terrains alentours et attestent que ce n’est plus qu’une question de semaines, sinon de mois, pour qu’épiceries, boutiques de divers, garages mécaniques et autres ateliers de petits métiers informels jonchent les deux côtés de la providentielle bretelle.

 

Aleg : bonjour le méchoui !

13 heures 30. Voilà Aleg. Sa gouvernance, sise sur une montagnette. Son petit marché, complètement sur le goudron. Ses nombreux restaurants au célèbre méchoui. A cette heure, les hangars sont bondés de gens. Tous les passagers des Hodhs et de l’Assaba sont unanimes sur la qualité des services de ces restos de fortune : thé, méchoui, riz ou couscous, tout est là, le passager n’a que l’embarras du choix. Les grasses carcasses de mouton donnent, aux voyageurs, un bon alibi de ne pas dépasser les lieux, sans avoir droit à déguster quelques morceaux artistiquement grillés par ces réputés professionnels du méchoui extra. Revers de la médaille : la cherté de la viande d’Aleg. Notre négociateur (le chauffeur) n’en revient pas encore. Pour une jambe et quelques côtelettes, le vendeur lui réclame, au bas mot, huit mille ouguiyas (20 euros). Sans compter les 500 du thé et les 500  du zrig.

 

Magta Lehjar : gendarme cagoulé

16 heures : poste de gendarmerie de Magta Lehjar. Quelques minutes avant qu’un gendarme ne sorte du poste. Complètement masqué. Rien à voir. Un turban impeccablement noué cache toute sa tête et son visage. Des verres noirs masquent ses yeux. C’est à peine si sa voix est audible. Néanmoins, le chauffeur semble comprendre le geste furtif que le pandore fait avec sa main. Il lui tend un ordre de mission que l’invisible regarde quelques minutes, avant de nous demander, en hassaniya : où allez-vous ? Comme si le document entre ses mains ne mentionnait pas la destination : Néma. Sans rien répondre, le gendarme cagoulé retourne vers ses collègues, sans même prendre la peine de nous ordonner de partir.

 

Kiffa : la métropole

C’est à un peu moins de dix-neuf heures que nous arrivons à Kiffa. La deuxième ville du pays, en nombre d’habitants. Ses stations-service, ses belles épiceries, ses grandes boutiques bordent l’avenue principale qui traverse la ville. A côté, quelques restaurants d’(in)fortune proposent, aux clients, gîte et nourriture. Comme nous avons décidé de passer la nuit à Kiffa, il faut repérer une place en ce sens. Tour de la ville de long en large. Rien d’extraordinaire. C’est partout pareil. Un hangar avec quelques matelas « fatigués » et des « travailleurs » qui vantent, à tout va, l’excellence de leurs mets et des services. Mais il faut faire, contre mauvaise fortune, bon cœur, aussi choisissons-nous un hangar quand même. La patronne est une vieille femme à la soixantaine révolue. Deux jeunes filles qui s’avèrent être ses filles l’assistent au service des clients. La plus grande se charge de la gestion du couscous et de la viande, plus jeune s’occupe du thé, sans trop y mettre le cœur, déterminée à rester connectée avec ses amis via Facebook ou WathsApp. Une nuit agitée, à cause du cadre, du froid et des moustiques.

 

Aioun : La belle

C’est, incontestablement, l’une des belles villes du pays. Avec sa pierre, ses artisans, maçons et autres décorateurs ont réussi à bâtir de jolies maisons, somptueux hangars et irracontables édifices originaux qui impriment un cachet particulier à la cité. Les caméras de l’ancienne TVM ont (une fois n’est pas coutume) servi à quelque chose, en immortalisant des sites comme Tembemba, Emekreya et autres Aioun-Source qui rendent la ville encore plus attrayante, malgré ses immenses potentialités touristiques encore très inexploitées. Une ville de généraux : Les chefs des corps de la gendarmerie et de la Garde nationale, le directeur général des douanes en sont, avec plusieurs centaines d’autres officiers supérieurs. Même si la ville compte quelques auberges et hôtels de très moyen standing, ses restaurants populaires constituent une véritable catastrophe, de l’avis de tous ceux qui transitent par cette citadelle, carrefour entre le Mali et la Mauritanie. De très insalubres hangars d’infortune équipés de sales tapis de « cinquième main », à l’entrée en venant de Tintane, découragent les passagers qui préfèrent, d’habitude, continuer vers Timbedra. Nous ne serons pas l’exception qui confirme la règle. Juste le temps de faire, rapidement, notre prière du matin et nous revoilà repartis, sans avoir rien acheté de la belle Aioun, malgré l’insistance d’un vendeur de pain matinal.

 

Timbedra : la cosmopolite

De bout en bout, l’avenue de la ville est totalement dégradée. Rien ne révèle que le goudron est passé par là. Dès neuf heures, les charretiers disputent la route aux automobilistes. Par petits groupes dans les boutiques, les premiers clients du marché partagent le thé matinal des quelques commerçants sur place. Pain de bois et arachides souffrent le martyr. Les bouchers, les restaurateurs et les petits vendeurs placent leurs étals et organisent leur dispositif, en l’espoir – puisque la route de même nom les frôle – d’une hypothétique bonne affaire. Rapide thé avec le responsable de la SOMELEC puis cap sur Néma, à quelque 107 kilomètres plus à l’Est.

 

Néma : la lointaine

C’est un peu comme l’autre bout du pays. Même si, encore un peu plus à l’Est, il y a Bassiknou et Fassala, respectivement à 200 et 260 kilomètres. Les monuments sont là : La Batha, Bheïra, El Behga, le Dhar et, surtout, le Galb Ngadi immortalisé par la célèbre Tal’aa d’El Kevya ould Bouceïv. Le marché est aussi là, avec tous ses condiments : chroutt, sengetti, degnou, el moune, dey-dey et autres très « respectable » couscous Nema dont raffolent tous les Mauritaniens, jusqu’aux confins de Nouadhibou ou de Keur Mécène. Entre Tegra d’Ould Mbaba et Degdaga des gens d’Ideylba, les mélomanes et les artistes danseurs doivent savoir à quoi s’en tenir. Par cette fin de Décembre, un brouillard froid couvre la ville. Ici, le turban est roi. Les ruelles rocailleuses de la ville rappellent une ville sinistrée. La diaspora malienne et les nombreuses motos indiquent que Bamako n’est qu’à quelques centaines de kilomètres. Comme partout, le football est roi : les plaques Bein-sport et Canal crèvent les yeux, à tout coin de rue. La mondialisation est aussi passée par là : connexion, clés, Facebook, WhatsApp, Skype, Messenger, Tango, Viber et autres n’ont plus aucun secret pour les jeunes complètement « hors-circuit », casque aux oreilles et yeux fortement concentrés sur le petit écran de leur téléphone, réputé intelligent, eux.

El Kory Sneiba, depuis Néma