Quatre questions à maître Bilal ould Dick, avocat : « La question du troisième mandat […] est tranchée par la voie juridique »

Quatre questions à maître Bilal ould Dick, avocat :  Une polémique agite le microcosme politique nouakchottois depuis que trois membres du gouvernement ont entamé un prêche en vue d’accorder un nouveau mandat à l’actuel Président qui coule son second ; et dernier, selon la Constitution en vigueur. Pensez-vous que les ministres sont dans leur rôle, alors que les articles 28, 29 et 99 de la loi fondamentale excluent cette éventualité ? 

Bilal Ould Dick : je pense que nous sommes dans une situation de fait, suscitée par une expression d’opinion. Comme vous le savez autant que quiconque, les libertés d’expression et d’opinion sont garanties par les dispositions de l’article 10 de la Constitution. 

Partant, chacun est libre de s’exprimer. Je pense qu’un ministre, au-delà de son portefeuille, peut émettre une opinion personnelle, en tant que citoyen de ce pays. Dans le cas d’espèce, cela va certainement déclencher un débat, à tous les niveaux, tant politique que social. 

Mais il ne s’agit que d’une situation de fait, sans aucune incidence juridique : il n’y a ni atteinte ni violation de la Constitution, en ce sens que la violation de la Constitution n’est réalisable que par des actes positifs et non par des paroles. 

En réalité, la question du troisième mandat, objet des polémiques auxquelles vous faites allusion, est tranchée par la voie juridique. Je pense que les mécanismes, pour solutionner le cas, se situent dans l’article 99 de la Constitution qui détermine, avec précision, à qui incombe l’initiative de la révision de celle-ci, dans quelles conditions et selon quelles modalités pratiques.

Cela va certainement engendrer un débat juridique, quant à la situation qui prévaut. Mais n’est-ce pas là l’expression même des principes de la démocratie qui couve les opinions et discours contradictoires ? C’est le signe de la bonne santé de notre démocratie. 

– Suite auxdites sorties des ministres, le FNDU a annoncé, au cours d’une conférence de presse, sa décision de mettre fin à tout contact avec le gouvernement, tant que celui-ci ne sera pas revenu sur les déclarations de ses membres. Cette déclaration met fin à toute possibilité de dialogue. Dans un contexte marqué par la recherche de voies et moyens pour nouer celui-ci, peut-on donner tort au Forum ?

– Vous savez, c’est leur point de vue et il faut le respecter. Mais mettre fin à l’espoir des Mauritaniens de s’asseoir autour d’une même table, pour dépasser, au profit de la Nation, leurs intérêts personnels, à cause de propos de trois membres du gouvernement qui n’ont exercé que le droit de s’exprimer librement, je pense que cela sera retenu par l’Histoire. 

Les ministres ne sont impliqués, ni de loin ni de près, dans la question de la révision de la Constitution ; du moins, juridiquement. Je pense que les circonstances actuelles requièrent de la retenue. Il s’agit de l’avenir du peuple mauritanien.

Aussi et comme vous le savez, le dialogue a toujours été une alternative aux impasses. La transparence, la bonne foi et la volonté y sont donc déterminantes. Quoiqu’il en soit, le dernier mot revient au peuple, auteur principal du pacte social qu’il peut réviser à sa guise, selon les circonstances. 

– Le gouvernement a également institué une Journée pour la lutte contre l’esclavage. Que va apporter de nouveau ce décret, à l’imposant arsenal juridique dont les organisations de lutte contre l’esclavage dénoncent l’inapplication ? 

– L’institution d’une Journée pour la lutte contre l’esclavage, est d’une importance capitale. En fait, elle est le fruit de la lutte des militants des droits de l’homme et de la Société civile. La réponse positive du pouvoir est certainement à saluer.

D’autre part, il faudrait reconnaître l’engagement, non-négligeable, de celui-ci, avec la mise en place d’institutions comme l’agence Tadamoun qui accomplit un travail remarquable, dans les coins les plus reculés du pays, notoirement pauvres et essentiellement habités par des populations soumises implacablement aux séquelles de l’esclavage. 

Ou, encore, la révision de la loi sur l’esclavage qui réprime sévèrement les auteurs éventuels de telles criminelles pratiques. Mais, certes, l’impact de ces dispositions ne peut se mesurer qu’à l’application effective des lois… 

– Partagez-vous le sentiment de certains jeunes cadres harratines évoluant dans la sphère des droits de l’homme qui disent souffrir de « marginalisation » ? 

– Il faut dire que la question des Haratines devient de plus en plus récurrente, avec une dimension multiforme dont la dernière en date s’est traduite par le Manifeste qui interpelle, sur la question, tous les Mauritaniens, quel que soit leur bord. 

Ces mouvements d’ampleur, vous le savez, sont inhérents au retard socio-économique que subissent les anciens esclaves, en quête de leur part, dans le partage équitable de la gestion du pays. Une revendication sans aucun doute légitime. Mais il n’en demeure pas moins que les Haratines souffrent d’un manque de leader consensuel autour duquel organiser la prise en charge de la problématique. 

Il en résulte dispersion des efforts et désaccords sur les méthodes de combat pour l’émancipation. Je pense également que le pouvoir actuel affiche une bonne volonté. Toutefois sa stratégie de départ est impliquée dans la situation de revendication que nous vivons.

Comme je l’ai souvent dit, le pouvoir n’a pas pris en considération le renouvellement de la classe des Haratines. La crise actuelle, marquée par la diabolisation de certains activistes, est une conséquence directe de ce manque de considération des nouvelles générations porteuses de nouvelles revendications. 

L’émergence de nouveaux cadres, avocats et intellectuels qui aspirent à contribuer à la construction du pays, est évidente, vous en conviendrez certainement avec moi. La stratégie du pouvoir doit être rectifiée, dans le sens de leur insertion, par discrimination positive, dans les hautes sphères de l’Etat, la diplomatie, les sociétés publiques et parapubliques, ainsi que leur implication accrue dans les institutions défendant les droits de l’Homme. Une telle rectification contribuera, sans aucun doute, à la construction apaisée d’un Etat de droit pour tous.

Propos recueillis par Dalay Lam
Source : Le Calame (Mauritanie)