Bonjour chers ami(e)s,
Je partage avec vous cette petite contribution, sous forme d’auto-interview (sans aucune prétention hagiographique, c’est juste un exercice de style jugé plus approprié pour la circonstance), destinée à fournir des clefs de lecture pour saisir et comprendre les enjeux et les défis de la révision constitutionnelle, qui est en train d’être mijotée à feu doux, dans la cuisine du pouvoir par le chef Aziz et son entourage.
L’objectif d’un tel exercice est d’aider à l’élargissement de la prise de conscience sur les dangers de cette révision constitutionnelle pour la cohésion sociale et le devenir du pays. In reality, il s’agit là d’un énième putsch contre la Constitution et la volonté du peuple, avec hélas la complicité des élites dirigeantes du pays.
Bonjour SND, tout d’abord c’est quoi une procédure de révision de la Constitution ?
SND : Habituellement, dans la plupart des Constitutions, il existe une procédure de révision. On peut réviser tout et n’importe quoi. Il suffit d’organiser un référendum ou de faire passer le projet de révision à travers une approbation parlementaire requérant une majorité qualifiée, à moins de mettre en place un verrou constitutionnel.
Qu’est-ce qu’un verrou constitutionnel ?
SND : C’est un article de la Constitution qui interdit toute révision sur des points spécifiques. Contrairement aux autres dispositions de la Constitution, on leur attache une importance particulière, autrement dit, une supra-constitutionnalité. L’objectif est de barrer la route à toute tentative de changement de la Constitution sur des points fondamentaux qui, en fait, ne relèvent plus de la souveraineté populaire. Ces points sont considérés comme des acquis sur lesquels on ne peut plus revenir sous peine de vider la Constitution de son sens.
Est-ce qu’il y a d’autres pays qui ont mis en place des verrous qui ne peuvent être révisés ?
SND : Ces verrous concernent, par exemple, la nature du régime ou la forme de l’Etat et cela dépend des pays. En Allemagne, c’est le caractère fédéral de l’Etat qui est un verrou. Les Allemands ont tiré la conclusion que ce qui leur est arrivé durant les deux premières guerres mondiales est dû à la mise en place d’un gouvernement autoritaire contrôlant un Etat centralisé. L’aventure hitlérienne n’aurait pas été possible si les régions, les Etats fédérés, avaient été autant de contrepoids. La même chose avait eu lieu du temps de la Prusse, au moment de la recréation et de la domination de l’empire allemand, ouvrant ainsi la porte à des appétits impérialistes et à la première guerre mondiale.
Du coup, en 1949 quand les Allemands ont élaboré la Loi fondamentale et ont mis le caractère fédéral de l’Etat au-dessus de toute révision constitutionnelle, il a été question de mettre en place une garantie constitutive qui sert de barrière au retour des démons de l’Allemagne, c’est-à-dire les tentations de grandeur, d’Etat centralisé, de gouvernement autoritaire.
En France, le caractère républicain de l’Etat ne peut pas être remis en cause. Par exemple, ce n’est pas parce qu’un chef d’Etat est populaire qu’il peut changer la Constitution et demander de mettre en place une monarchie à la place de la République. Cela avait été fait à l’époque pour barrer la route à toute tentation de retour à l’ancien régime parce qu’il y avait à un moment donné des majorités parlementaires royalistes/monarchistes. Plus près de nous au Maroc, c’est la monarchie sur laquelle on ne peut pas revenir par une révision constitutionnelle.
En Mauritanie nous avons aussi mis en place un verrou constitutionnel ?
SND : En 2006, nous avons conclu que la dérive autoritaire de Maaouiya Ould Taya provenait du fait qu’il avait la possibilité de contrôler le pouvoir pendant trop longtemps, de se représenter indéfiniment. Pour barrer la route à une telle dérive, tous les acteurs politiques se sont mis d’accord pour mettre en place un verrou interdisant la révision de la Constitution sur ce point précis, afin d’empêcher le chef de l’Etat de se présenter plus de deux fois. D’ailleurs, tous ceux qui se présentent aux élections acceptent normalement de le faire dans le cadre de la Constitution et d’exercer leurs fonctions dans les limites autorisées par celle-ci. La Constitution est très claire à ce sujet.
Est-ce que le président élu doit prêter serment de ne pas revenir sur cet acquis ?
SND : Bien sûr, c’est inscrit dans le serment. Une fois élu, le chef de l’Etat prête un serment qui inclut l’engagement formel et solennel sur le Coran de ne pas chercher à revenir sur la Constitution et en particulier sur la durée du mandat. C’est explicitement mentionné. L’article 29 de la Constitution est clair. Avant d’entrer en fonction, le Président de la République prête serment en ces termes :« Je jure par Allah l’Unique de bien et fidèlement remplir mes fonctions, dans le respect de la Constitution et des lois, de veiller à l’intérêt du Peuple mauritanien, de sauvegarder l’indépendance et la souveraineté du pays, l’unité de la patrie et l’intégrité du territoire national. Je jure par Allah l’Unique de ne point prendre ni soutenir, directement ou indirectement, une initiative qui pourrait conduire à la révision des dispositions constitutionnelles relatives à la durée du mandat présidentiel et au régime de son renouvellement, prévues aux articles 26 et 28 de la présente Constitution ». C’est un engagement devant Allah. Ne pas respecter ce serment est quelque chose de très grave.
A vous entendre, il serait donc impossible de réviser la Constitution sur ce point précis ?
SND : Tout dépend du respect qu’on souhaite donner à la Constitution et de la manière dont on la considère. Si on la tient pour charte fondamentale intouchable par excellence, même si elle est récente et est relativement fragile en termes de pratique, c’est le début d’un processus de sacralisation de la Constitution. Dès lors, on ne peut pas envisager de la changer sur ce point parce qu’elle interdit explicitement toute révision portant sur la durée du mandat présidentiel. Si, par contre, on la considère comme un bout de papier, comme il semble apparemment être le cas, et comme le laisse entendre le Ministre de la JusticeBrahim Ould Daddah, dans ce cas tout est possible et on peut alors la changer à volonté.
Justement, que pensez-vous de la polémique suscitée par les déclarations du Ministre de la Justice ?
SND : Brahim Ould Daddah a prétendu être une référence en droit et l’un des meilleurs juristes dans le pays. Je pense que ce n’est pas le cas. C’est un simple avocat comme il en existe des centaines en Mauritanie. En tout cas, même si ses prétentions sont avérées, il n’est pas spécialiste en droit constitutionnel. D’ailleurs, ce qui est mis en cause, ce ne sont pas ses connaissances techniques mais ses positions politiques. Un membre du gouvernement qui demande à violer la Constitution alors qu’il est Ministre de la Justice, et qui plus est, est initialement supposé être un technocrate et non pas un politicien populiste, c’est quelque chose d’assez hallucinant. Je pense qu’il s’est prononcé à la légère et avec un peu de zèle.
Quel est donc selon vous le calcul que fait Aziz et son entourage pour faire sauter le verrou constitutionnel ?
SND : Je pense que le chef de l’Etat ou certains membres dans son entourage considèrent que l’opposition n’a pas la capacité de mobiliser les gens, que les populations sont plus ou moins neutres sur la question, et qu’en tout cas, elles ne peuvent rien changer. Ils n’anticipent pas la possibilité d’avoir des manifestations populaires en chaîne qui provoqueraient un mouvement de rejet, comme cela s’est passé dans d’autres pays. Ils estiment également queMohamed Ould Abd El Aziz est arrivé de manière relativement récente au pouvoir et qu’il n’a pas encore suscité un mouvement massif de rejet dû à la lassitude et aux dérives de son gouvernement. Dans ces conditions, il serait prêt à prendre le risque de passer en force tout en ménageant l’opposition, le cas échéant, en ouvrant un dialogue bancal avec elle qui se traduirait par des scissions inévitables au sein de celle-ci. Vous savez qu’en Mauritanie, en utilisant la carotte, on peut toujours espérer diviser l’opposition et avoir l’assentiment d’une partie de celle-ci.
Pensez-vous donc que Mohamed Ould Abd El Aziz a arrêté sa décision ?
SND : A mon avis aucune décision n’a été prise par le chef de l’Etat même si on semble, de plus en plus, s’orienter vers ce scénario. Le fait que certains ministres se permettent de le dire haut et fort signifie au moins que la question a été discutée et que le chef de l’Etat n’a pas exclu de se représenter. Ces déclarations sont des ballons d’essai pour tester la réaction de l’opinion publique et de l’opposition. Je pense qu’il prend le temps de peser le pour et le contre et d’attendre l’approche de l’échéance présidentielle. A ce moment-là, il décidera sur la base de son évaluation de la situation, des risques, des périls et des chances de réussite ou d’échec. Mais, il est clair qu’il se sent bien là où il est et qu’il ne veut pas quitter le palais présidentiel, surtout pas en ces temps de vaches maigres et à la veille d’une possible reprise économique grâce à la relance des prix des matières premières et de la mise en exploitation des champs de gaz naturel au large des côtes mauritaniennes.
Que pensez-vous de la décision de l’opposition d’arrêter tout contact avec le régime ?
SND : C’est une excellente décision de réagir très fort et de cesser immédiatement tout contact avec le pouvoir. En effet, dès le début il faut qu’elle fasse comprendre que la manœuvre ne passera pas et que si ça passe ça va casser. Les manifestations récentes de l’opposition ont montré une forte mobilisation populaire conjuguée à une lassitude des électeurs à l’égard du régime. Cependant, de là à ce que cette popularité se transforme en force de nuisance imposant au pouvoir de composer, il y a un pas que je me refuse à franchir.
En cas de passage en force par Aziz, ne pensez-vous pas que le Conseil Constitutionnel pourrait invalider cette décision ?
SND : En effet, le Conseil Constitutionnel peut bloquer le processus et déclarer qu’un projet de référendum ou de révision constitutionnelle à travers la voie parlementaire est anticonstitutionnel. Mais, en fait, il n’y a pas de Conseil Constitutionnel, il n’y en a jamais eu en Mauritanie. Il y a un fonctionnaire,Sghaier Ould M’Bareck, qui a été choisi comme président du Conseil pour sa tendance à accepter tout ce qu’on lui dit et tous ceux qui l’ont précédé ont été choisis selon le même principe. Mieux, les membres individuels du Conseil ont été choisis sur la base du même critère. Ça a toujours été comme ça, ça n’a jamais changé depuis Maaouiya Ould Taya. Dans ce conseil, il y a, après le Parlement, la plus forte concentration de béni-oui-oui par mètre carré.
Justement, le Parlement pourrait toujours s’y opposer ?
SND : Comme vous le savez, dans notre pays les députés se considèrent comme des fonctionnaires dociles et ne comprennent pas très bien leur rôle de contre-pouvoir. A titre anecdotique et pour illustrer la subordination du Parlement au chef de l’Etat, voici un exemple parmi tant d’autres. Les parlementaires avaient des velléités d’augmentation de leurs indemnités, déjà ridicules, 800 000 ouguiyas, et ont fait signer une pétition à une majorité écrasante de députés, s’engageant à ne pas revenir sur leur décision. Quand le chef de l’Etat a appris la nouvelle, il a demandé à ce qu’on informe les députés qu’il était opposé à une telle mesure et de revenir sur leur décision. Les parlementaires se sont dégonflés et ont enterré la proposition de loi alors que dans la Constitution, c’est le Parlement qui vote son propre budget et, mieux encore, il vote celui de la présidence. En effet, au nom de la séparation des pouvoirs, le Parlement est habilité à voter son propre budget pour que l’exécutif ne fasse pas pression sur lui et qu’il ne manipule pas les députés.
Comment le chef de l’Etat va-t-il procéder pour justifier son putsch contre la Constitution ?
SND : Cela ne constitue pas un problème majeur. Il laissera certainement des juristes apporter une justification invoquant tout simplement la volonté du peuple. Pour le moment, les juristes n’ont pas été mis à contribution parce que le chef de l’Etat n’a pas encore pris une décision formelle. Le jour où il se sera décidé, nous les verrons défiler sur les plateaux de télévision et les radios pour disserter sur les limitations possibles à la souveraineté nationale. A grand coup de théories juridiques plus ou moins fumeuses, ils vont pérorer que la souveraineté populaire est le fondement du pouvoir. Et de prêcher que le peuple, source du pouvoir, avait limité les mandats présidentiels et qu’il peut de la même manière décider souverainement de revenir sur cette décision. N’oubliez-pas que nos experts, juristes en tête, sont d’un réalisme exacerbé qui confine au cynisme. Il s’agit pour eux d’une opportunité pour sortir de l’anonymat, espérant ainsi une récompense en contrepartie de leur fatwa de complaisance.
A propos de fatwa, nos vénérables oulémas ne pourront-ils pas rappeler au chef de l’Etat qu’il risque d’abjurer en ne respectant pas son serment ?
SND : La majorité de nos oulémas sont des fonctionnaires domestiques au service du sérail. Non seulement ils ne s’opposeront pas à un acte monstrueux d’un point de vue islamique, mais ils feront campagne à l’aide de fatwas pour justifier la révision de la Constitution.
On peut cependant compter en ultime recours sur la mobilisation de la rue ?
SND : Au fond, le problème n’est pas la mobilisation des populations mais celle des élites. C’est en effet l’investissement des intellectuels, des opposants, des personnalités crédibles et de la société civile qui permet d’encadrer les citoyens et de les mobiliser. Or, soit ces élites n’y trouvent pas leur compte, n’acceptent pas de jouer ce rôle et, au contraire, par pragmatisme, louent les initiatives du régime bien qu’elles sachent qu’elles ne vont pas dans le bon sens, soit elles sont convaincues de l’importance de ce rôle d’intermédiaire mais ne sont pas téméraires ou n’en saisissent pas tout l’enjeu. De manière générale, elles ne savent pas comment mobiliser, s’inscrivant davantage dans des stratégies de très courte vue.
Vu sous cet angle, le chef de l’Etat a la voie libre pour réviser la Constitution ?
SND : Pour peu qu’il le veuille, sa décision ne tiendra qu’à un seul élément, à savoir son évaluation des rapports de force. Et comme Aziz vit dans un régime sécuritaire, avec une mentalité sécuritaire, donc il a tendance à mépriser le peuple et à penser qu’avec la police et l’armée on peut tout contrôler. La question est de savoir s’il peut mobiliser de manière unanime sa propre majorité. Autrement dit, si son entourage y trouve son compte sans que personne ne se sente lésé quant à la répartition des ressources, des marchés et des opportunités de carrière. Le cas échéant, sa posture serait menacée et il ne serait pas sûr de gagner des élections ou un référendum.
C’est effrayant ce que vous dites, il n’y a donc pas de contre-pouvoir dans ce pays ?
SND : Il y a un pouvoir mais il n’y a pas de contre-pouvoir et ce pouvoir n’est pas basé sur l’élection. Celle-ci est juste un plus cosmétique. La base essentielle du pouvoir c’est l’armée et, au sein de celle-ci, c’est le bataillon présidentiel et, au sein de ce dernier, c’est un seul homme qui dirige tout un pays. A l’image de la reine Victoria, il peut tout faire sauf changer un homme en femme. Vous voyez que tout cela ne fait pas une République, cela ne fait pas non plus un Etat, c’est juste une bande qui a fait main basse sur le pouvoir et qui essaie de le légitimer par des équilibres tribaux, régionaux, claniques, clientélaires ou népotiques.
Il n’y a pas d’issue donc. Un coup d’Etat, peut-être ?
SND : Il n’y a aucun risque de coup d’Etat dans notre pays. En tout cas, moi je n’en vois pas. Et d’ailleurs qui peut faire un coup d’Etat ? Les principaux officiers sont choyés par le chef de l’Etat et ce depuis longtemps. Quel peut donc être leur intérêt à tenter une aventure qu’ils savent risquée. Ce qu’ils peuvent espérer avoir il le leur donne déjà : les grades, les fonctions, les ressources. Mohamed Ould Abd El Aziz a fait un coup d’Etat car il ne prenait aucun risque. Actuellement, le contexte n’est pas favorable et aucun officier ne dispose des possibilités qui étaient offertes à Aziz en 2008. Sidi Ould Cheikh Abdallahi avait commis une erreur en donnant toutes les clefs de sa sécurité et de l’armée au général Aziz en contrepartie de son soutien à l’élection présidentielle. Donc cela donnait au général Aziz le droit de faire un putsch à tout moment, sans risque. Par ailleurs, dans l’encadrement supérieur de l’armée et parmi les officiers qui contrôlent des bataillons importants, il n’existe plus d’officiers mus par une motivation idéologique. Ils ont été victimes d’un nettoyage par Maaouiya dans les années 2004-2005. Le reste des officiers est constitué soit d’affairistes soit de fonctionnaires et ni les uns ni les autres ne feront de putsch.
Pensez-vous que la révision, si elle a lieu, sera par voie référendaire ou parlementaire ?
SND : Le chef de l’Etat n’a que l’embarras du choix. A l’assemblée, il a une forte majorité et l’approbation parlementaire demeure le plus court et le plus sûr chemin pour la révision constitutionnelle. Le référendum est une option un peu plus risquée si l’opposition n’entend pas boycotter. Mais étant donné que celle-ci appellera à le boycotter, ce serait la voie idéale pour prétendre que le résultat du référendum émane de l’expression de la souveraineté du peuple. La voie référendaire est d’autant plus intéressante que le président peut faire fonctionner à plein régime la machine à faire gagner les élections, grâce au vote de l’administration, des chefs de tribu, des hommes d’affaire aux campagnes parallèles et à l’achat des consciences : autant de techniques qui assureront un résultat écrasant.
Un dernier mot ?
SND : Aux dernières nouvelles, les deux agents de Mohamed Ould Abdel Aziz auHodh, à savoir Ould Mohamed Laghdaf et Ould Hademine, s’affairent pour démarrer une campagne nationale à partir de Néma pour demander le troisième mandat. Il faudrait que les Mauritaniens soient conscients que si le verrou saute, il peut sauter indéfiniment, ce qui signifierait une présidence à vie. Il faut que cela soit clair pour tout le monde : voilà le véritable enjeu, un quatrième, un cinquième, un sixième mandat, etc. Aux Mauritaniens d’en décider maintenant.
Merci beaucoup et bonne chance pour notre pays…
Source : Rimweekly (Mauritanie)