Le Calame, plus qu’un tabloïd : Une résistance intellectuelle

Âgé cette année de 31 ans, Le Calame, ce journal mythique, garde encore tous ses traits de jeunesse. Face aux chênes, il a, comme le roseau, plié sans rompre une seule fois. Interdit à trois reprises, saisi trente-quatre fois (Guinness des records de la saisie de journaux dans le pays), il est toujours resté le même, trait d’union entre l’opinion et le public.

Certifié Iso 2009 en 2008, ce journal de référence refuse catégoriquement de s’abandonner aux exigences de la corruption, aux supplices du manque de moyens et aux aléas climatiques de toutes les politiques qui ont malmené la liberté d’opinion. C’est son esprit critique et son indépendance indomptables échappant à toutes les pressions qui font de lui un journal pas comme les autres.

Ni blanc, ni noir, ni de gauche ni de droite, insoumis, le Calame « a horreur » qu’on le qualifie de journal de l’opposition mais en est pourtant celui d’une : celle, aveugle, à tout ce qui touche de près ou de loin au droit à la liberté d’expression. Voilà comment l’intransigeance de ce journal qui refuse de prendre de l‘âge, lui assure depuis 1993 la même fraicheur, la même senteur, la même et invariable trajectoire éditoriale.

 

Un parcours sans faute même faute de moyens

De très grands noms sont passés par là. De très grandes plumes aussi.  Les articles de ce journal sont toujours restés limpides. Et, de sa naissance à ce jour, ses textes ont toujours jonglé avec les mots et « parapenté » au-dessus d’un vocabulaire de plus en plus maîtrisé. Habib ould Mahfoud – la littérature des littératures – un génie dont les mots se marièrent toujours avec les génies des verbes, puisant sa verve dans une inspiration qui dépasse l’imagination du commun des lecteurs, en est la plus grande légende.

En Janvier 2013, Sylvain Fourcassier, un journaliste du « Monde Diplomatique », disait de Habib disparu à l’âge de 41 ans « qu’il laissait inconsolable une génération d’admirateurs et d’amis ».  Et moi, d’ajouter, pour le compléter, que celui-ci avait surtout laissé derrière lui des lecteurs orphelins à qui il avait donné tout le goût d’une renaissance de l’écriture dont il avait lui seul le secret. Et décrivant, le 17 Juillet de cette même année, le profil de cet intellectuel planant dessus de la littérature francophone, feu Abdoulaye Ciré Bâ – une autre plume qui n’eut de cesse de défier, lui aussi, la gravité de la gravité de la langue française – de souligner qu’il était « le plus maure des intellectuels de la Francophonie et le plus universel des troubadours maures ».  

Le Calame, un passé, un présent et un futur

Le Calame, c’était, c’est et restera sans nul doute l’Histoire des grands pionniers du Far-West de la presse écrite « mauritanide ».  Une histoire chantée comme une épopée par de grandes plumes de ce pays où la littérature et la pédagogie de la langue française se battent pour survivre. En  Juillet 1993, feu Habib ould Mahfoudh – un autre Larousse et lexique de la langue française –, feu Abdallahi ould Eboumedienne – la force de frappe de la rédaction –, Hindou mint Aïnina – la reine du donner et du savoir de la langue de Molière –, feu Mohamed Fall ould Oumère – la presse dans toute sa forme  aristocratique – et Ahmed Ould Cheikh – grand comme trois pommes mais un géant éditorialiste – lançaient, dans une complicité à responsabilité illimitée, « Le Calame », ce journal dont le nom est gravé en lettres d’or  dans les annales de l’histoire de la presse voix des sans voix.

Pour mesurer la grandeur de cet hebdomadaire qui a progressé contre tous les vents violents de la dictature et de l’oppression médiatique des régimes mauritaniens successifs, il faut simplement rappeler ce que certains ont dit de lui. En écrivant ce qu’il appela un « petit mot » pour marquer le vingtième anniversaire du CalameMohamed Vall ould Hamed écrivait le 5 Novembre 2013, « quand Ahmed ould Cheikh me demanda d’écrire quelque chose su ce journalj’ai senti une forte bouffée d’amitié m’opprimer le cœur ».

Et, à l’occasion de la parution du millième numéro de ce grand journal de référence, celui qui prenait toujours son café le matin sur une terrasse, « Le Calame » entre les mains, Ahmed Hamza – Qu’Allah l’accueille en Son saint paradis ! –  écrivit : « Au moment où va paraître le millième numéro du journal « Le Calame », je ne peux qu’adresser mes vives et sincères félicitations à celui-ci, à son équipe fondatrice soudée autour de feu Habib ould Mahfoudh qui a pu, malgré les aléas politiques, financiers et professionnels, mettre en place les fonts baptismaux de cet organe de la presse indépendante, porte-flambeau de la libre pensée et de la libre expression dans le pays ».

Le Calame, qui a ouvert ses colonnes aux plus talentueux des talentueux journalistes et écrivains comme Sneïba El Kory (qui chronique « Entre nous » avec une rare finesse rédactionnelle), Ahmed Salem ould El Moctar Cheddad (la sagesse des « Tribunes » de ce journal), vit en luttant contre la mort de la presse écrite. Il résiste pour dire à chacun de ses milliers de fidèles lecteurs,  tous intellectuels de première ligne, que la bataille sur le front de la liberté de la presse, c’est une complicité de génération léguée par les génies de la plume aux génies de la lecture.

 

Mohamed ould Chighali

Journaliste indépendant

(Chroniqueur au Calame)