La Mauritanie au zénith de son succès
Fort de ce climat général de ferveur populaire, le PPM va tenir un congrès historique en août 1975. Ce sera également en grande pompe qu’il va organiser les festivités de la fête de l’indépendance, le 28 novembre de la même année. Le président Mokhtar Ould Daddah est à l’époque au zénith de sa popularité. Malheureusement la descente aux enfers va suivre avec le déclenchement de la guerre du Sahara. Depuis quelques mois on parlait déjà d’un accord secret de partition du Sahara Occidental entre la Mauritanie et le royaume du Maroc.
Le MND impacte le Sahara Occidental
Devançant les événements, le MND était parvenu à encourager le Polisario à négocier un accord de compromis avec les Espagnols, considérant que leur ennemi d’avenir sera inévitablement le Maroc. On comparaît leur situation à celle de la Mauritanie à la veille de l’indépendance. «La sagesse recommandait », leur expliquait-on, « hier à la Mauritanie de composer avec les Français pour se prémunir des prétentions marocaines ». Les Sahraouis, déjà mobilisés contre toute éventuelle velléité d’occupation de leur territoire, par toute puissance tierce, étaient surtout révoltés par la solution prônant le partage de leur pays et de surcroît de leur peuple. Ils nous avaient vite compris et se mirent à appliquer immédiatement la tactique proposée, car les Espagnols avaient commencé aussitôt à passer le service effectif à une autorité administrative issue du Polisario.
Qui sème le vent récolte la tempête
Les gouvernements marocains et mauritaniens s’inquiétèrent et accélèrent la mise en application de leur accord de partage. Le génie de Hassan II, profitant de l’agonie du chef de l’État espagnol le dictateur Franco, créa l’idée de la marche verte. Véritable expédition coloniale, la marche verte réussit à mettre en échec l’accord Espagne-Polisario. Les Mauritaniens s’installèrent dans la partie du Rio de Oro, la partie la plus stérile du Sahara Occidental alors que les Marocains s’étaient emparés de la Saguiat Elhamra, la partie utile, une zone très riche en minerais de phosphate.
La part de l’hyène
Après que les techniciens, accompagnant le président Mokhtar Ould Daddah au parlement mauritanien aient expliqué, carte à l’appui, les détails de la solution du partage, celui-ci demanda aux députés dont la déception se lisait sur le visage, s’ils avaient des commentaires à faire ou des questions à poser à propos de ce dossier. Tous hésitèrent sauf un: Camara Seydi Boubou. Il leva le doigt. Le président Mokhtar, qui gardait encore un peu de son sens d’humour, lui dit: « Vas-y Camara ! Un soninké a toujours quelque chose à dire ».
Le sage Soninké remarqua qu’il n’a pas de commentaire à faire ni de question à poser. Il déclara que cette affaire de partage lui avait simplement rappelé un petit récit, raconté souvent aux jeunes enfants de chez lui. Il raconta: « il était une fois, le lion, l’hyène et le chacal. Ils décidèrent ensemble d’aller à la chasse, et au retour de se partager leurs proies. Le lion et le chacal passèrent la journée à dormir.
L’hyène revint le soir avec une vache, un mouton et un rat. Les deux premiers déclarèrent qu’ils avaient été à la chasse, mais qu’ils n’avaient rien trouvé. Le lion regarda le chacal et lui dit de voir comment effectuer un équitable partage du butin de l’hyène. Le chacal répondit que le partage ne pose pas de problème. Il précisa, qu’habituellement la vache était réservée au lion, le mouton au chacal et le rat reviendrait à l’hyène. Cette dernière, en signe de mécontentement, fit un geste marquant un refus du partage proposé. Le chacal se pressa d’ajouter: « Et celui qui refuse sa part on la lui retirera ».
La prophétie du vieux Soninke
La salle de l’assemblée éclata de rire. Et l’évolution des événements donna raison aux prophéties de Camara Seydi Boubou, puisque le Maroc finira par annexer tout le Rio de Oro, la part correspondante à celle de l’hyène, après que la Mauritanie l’eût abandonnée. On me rapporta plus tard que même le président de l’Assemblée nationale du moment, feu Dah Ould Teiss, déclara, à son retour chez lui à une heure tardive de la nuit, après la réunion de l’Assemblée ayant entériné la solution de partage que: « Malheureusement le président Mokhtar venait de se suicider!».
Un dîner amer
En début novembre 1975, des accrochages opposèrent des éléments du Polisario à des unités de l’armée nationale dans plusieurs localités du Sahara Occidental. On les appela les événements d’Inal. Le climat ne cessait de s’assombrir. Le 28 novembre, le président Mokhtar Ould Daddah commenta dans son discours officiel les escarmouches en question. Ce soir-là je dînais avec des camarades. On était chez les Bedreddine. Sa famille logeait sous une tente dans la cour de l’école 7, non loin du marché central. Cha’er Ahmedou Abdelkader, Ichidou, Bedredine et moi, sont les seuls noms que je retiens de ce groupe. Tous, nous appartenions à la tendance favorable au rapprochement avec le régime. Avec une grande attention, mêlée d’inquiétude, on écouta religieusement le discours de Mokhtar, prononcé en français.
Un moment de silence s’en suivit. Nous étions complètement déçus. Pour nous tirer de notre torpeur, avec une voix à peine audible, Cha’er s’adressa à moi: « Cheddad, qu’est ce que tu penses du discours du Président Mokhtar ? ». Sans beaucoup réfléchir je lui répondis: « Je crois que le régime va en guerre. Et si cela arrive, les réformes engagées par lui seront sérieusement compromises. Dans ce cas de figure, il va falloir revoir notre attitude vis-à-vis du pouvoir ».
Un rendez-vous manqué
Ould Bedredine commenta aussitôt mes propos: « Vous avez tout à fait raison ! » Ichidou ne dit rien. Après le thé et le dîner, on se leva pour partir, en réalité difficilement, les corps alourdis par la nouvelle situation qui s’annonçaient inexorablement. Et si vous me demandez quel était le goût du dîner, je vous dirais tout de suite qu’il était certainement amer.
Ichidou me prit de côté pour me dire à voix basse: « C’était grave ce que vous venez de dire ! ». « Et qu’est ce que j’ai dit ? », demandai-je. «Ce que vous avez dit à propos du discours du Président Mokhtar », rappela Ichidou, qui n’arrivait plus à cacher son découragement. «Ha! Oui, jusqu’à preuve du contraire, c’est «ce que je pense», répondis-je. «Si c’est comme ça, je vais te prendre un rendez-vous avec Ould Abeidrrahmane pour discuter de ce que tu viens de dire », ajouta Ould Ichidou. Je dis que je suis tout à fait d’accord. Je pris rapidement contact avec Ould Abeidrahmane. Ce dernier me donna une série de rendez-vous sans avoir jamais eu le temps de discuter avec moi. Cet instant marqua la naissance d’une nouvelle et profonde division au sein du MND. Les divergences sur la guerre du Sahara submergèrent celles qui nous opposaient à propos de la ligne de conduite à tenir vis-à-vis des réformes du régime. « Une tendance peut en cacher une autre », disait Mao Tsé Toung. Pour les uns, la guerre est un péché capital qui risquerait même de compromettre l’existence du pays.
La tendance cachée
Franchement parlant je ne peux formuler aucune idée claire et précise de l’opinion des autres. Je me rappelle que des éléments notoires du MND, menés par Moustafa Ould Abeidrrahmane, se sont fait enrôler dans des unités de supplétifs qui s’entrainaient avec enthousiasme au stade de la capitale, pour disaient-ils « défendre leur pays ». Je sais aussi qu’un bon nombre de militants et de sympathisants, menés généralement par Ichidou et Ould Abeidrrahmane, manifestaient un silence complice vis-à-vis de « la politique de réunification », expression consacrée de l’époque.
Au niveau du comité local du parti, tous les quatre, nous étions absolument engagés contre la guerre tout en continuant à mobiliser légalement contre elle. Ce qui suscita une grande inquiétude au niveau de certains membres du comité permanent du parti. Pour chercher à nous influencer ils nous ajoutèrent Abdelkader Ould Hamad, un proche d’eux sur cette question. Désormais cette phase de la lutte interne opposait généralement deux clans issus des anciens partisans de l’option de rapprochement avec le régime. Ichidou, Ould Abeidrrahmane et Abdelkader Ould Hamad, d’un côté. Ould Bedredine, Ladji et moi, en plus de Daffa de l’autre. Mohamed Ould Maouloud et Moussa Fall, les chefs de file de l’opposition à tout rapprochement avec le régime, ne se faisaient pas voir dans cette phase. Leur troisième compagnon, un jeune de grand talent, leur fut dérobé par Ahmed Ould Mohamed Saleh, le ministre de l’intérieur. Il lui créa immédiatement une direction spéciale dans son cabinet, connue aujourd’hui sous le nom de la direction des affaires politiques.
La pagaille des rois
Les autorités mobilisèrent tous les moyens pour convaincre les gens de la guerre de « réunification ». En dépit de tout cela, l’adhésion à cette idée demeurait marginale. À la fin de l’année 1975, la direction du PPM et le Conseil supérieur des jeunes furent chargés de l’organisation de missions à l’intérieur du pays afin de sensibiliser les gens, les jeunes en particulier, qui étaient les plus réticents, en vue de les amener à adhérer à la nouvelle politique belliciste du régime. Si notre tactique était d’agir en dehors des structures légales du parti unique au pouvoir, notre action contre la guerre serait particulièrement limitée et inefficace du moment que la grande masse des jeunes fut attirée uniquement par l’action légale largement autorisée en ce moment..
Des personnalités religieuses furent impliquées. C’est ainsi que feu Mohamed Vall Ould Bennani fut chargé de diriger la mission chargée de sensibiliser à Mederdra. Là, il va tenir un meeting. Cherchant à limiter les interventions des jeunes, considérés comme opposés à la guerre et supposés à l’époque peu connaisseurs du Coran, il recommanda aux intervenants, dans son mot d’ouverture, de toujours commencer par un verset de coran. « Le casse-pied », l’éternel rebelle, Elhassène Ould Taleb, s’arrangea pour être le premier intervenant. Il débuta, comme recommandé, son intervention, par un verset du Coran: « Inna elmoulouka idha dakhalou… », le verset choisi par Hassane fustigeait les dégâts et les destructions causés souvent par les guerres expansionnistes menées par des rois. L’allusion au roi du Maroc était évidente.
La salle éclata de rire dès qu’Elhassène prononça les premiers mots du verset sacré. Bennani se mit en colère et suspendit le reste de la séance. Entourés de jeunes, Hassène demeura imperturbable: il ne cessait de crier à tue-tête le verset coranique « …we kedhalika yevalouna !» (et ainsi ils font).
Contre la guerre une guerre froide en notre sein
Au niveau du PKM, le comité permanent, sous l’influence des membres proches de l’option militaire, nous déclara la guerre au niveau du Comité Local. J’étais le dernier tendon de l’unité du parti. Je décidais de rompre définitivement ce lien, à la grande satisfaction de mon ami Mohamed Ould Maouloud, qui ne cessait de me harceler pour la rupture avec les autres. J’ai veillé à préparer et soigner minutieusement cette rupture.
En Janvier 1976, un séminaire régional des jeunes fut organisé par la fédération des jeunes du PPM. Des centaines de jeunes y ont pris part. Le comité local de Nouakchott se chargea de l’influencer de l’intérieur. L’on avait réussi à le retourner contre la guerre. Un congrès des jeunes du PPM fut programmé pour août 1977. Les autorités mirent tout en œuvre pour que ce congrès cautionne leur entreprise militaire. Notre division interne éclata au grand jour durant les travaux de ce congrès. Notre action nous avait permis d’influencer une résolution contre la guerre. Elle va susciter l’ire des dirigeants du PPM. Le ministre d’État Abdellahi Ould Boya intervint en plein travaux du congrès pour déchirer publiquement cette résolution. Ce qui n’avait fait qu’amplifier son écho.
(À suivre)
Le 22 mai 2024
Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar