Au risque d’agacer les responsables en charge du dossier de la zakat, je reviens, une fois de plus à la charge, en tant qu’instigateur de cette initiative.
Par le fait d’une bureaucratie tatillonne, on est en train de laisser filer entre les doigts, une source de revenus colossale, de surcroît, intarissable, pour venir au secours d’une écrasante majorité de citoyens démunis. Ceci est d’autant plus regrettable que les ressources financières de l’Etat ont une propension à se raréfier, notamment, avec la réduction drastique annoncée des revenus gaziers.
Le moins qu’on puisse dire est que les instructions du président de la République n’ont pas été exécutées comme il l’aurait souhaité. Loin s’en faut. En effet, on a pris, à un niveau subalterne, pour des raisons inexpliquées et inexplicables, le contre-pied de ces directives. On a mis ainsi, sciemment, un frein à la volonté du chef de l’État dont le souci premier est le bien-être des populations, victimes des fléaux de la pauvreté et de la précarité.
Un travail de sape continu
En effet, on assiste aujourd’hui, dans un silence assourdissant, à un travail de sape continu avec des agissements, en sous-main, peu amènes pour étouffer dans l’œuf cette affaire de la zakat.
Les responsables qui sont à la manœuvre font le forcing : l’absence d’enthousiasme, le manque d’intérêt ostensiblement affiché, les facteurs de démobilisation pour faire échouer cette initiative avec, notamment, son caractère facultatif, le démarrage plus que laborieux de cette nouvelle instance laissent présager une issue pour le moins aléatoire.
On ne peut que dénoncer cet esprit de permissivité et de laxisme ambiant. Sans l’engagement ferme et résolu des pouvoirs publics, l’administration de la zakat est appelée, inéluctablement, à péricliter. Seules des mesures fortes et contraignantes pourront faire face à cette situation. Comme je l’ai déjà dit, l’État pourra exiger, le moment venu, pour l’établissement de tout document administratif : passeport, carte d’identité nationale, signature ou légalisation de toute transaction… un quitus de la part des personnes éligibles à l’acquittement de la Zakat.
Parmi les erreurs qui ont été commises dès le départ, le rattachement du Conseil suprême de la zakat au ministère des Affaires islamiques. Une mesure que le simple bon sens récuse. Car on n’a jamais vu une ‘’entité suprême’’, subordonnée à une tutelle. Sans parler de l’impact psychologique négatif qu’une telle mesure pourrait avoir sur l’image de cette institution novatrice, censée être autonome.
Dans le même ordre d’idées, cette administration de la zakat aurait dû disposer d’une autonomie financière complète au lieu d’être rattachée par un compte d’affectation spéciale au ministère des Finances. Ce qui, naturellement, n’empêchera pas ce département d’exercer un contrôle technique et financier sur le budget de cette entité.
Pour une transparence totale de son fonctionnement, le contrôle de la comptabilité et de la gestion de cette institution pourra faire l’objet d’un audit par un cabinet international d’experts indépendants qui publiera chaque fois, à cet effet, un rapport annuel.
Des retombées bénéfiques inespérées
Au-delà d’un cheminement à la fois cahoteux et saugrenu, pour la mise en place de cette nouvelle administration, force est de revenir à l’essentiel en posant cette question centrale : Cette administration de la zakat pourra-t-elle améliorer de façon conséquente et pérenne le niveau de vie, au quotidien, des couches sociales démunies? La réponse à cette question est oui, mille fois oui, tant son intérêt vital pour le pays est évident. D’autant plus que cet apport massif inespéré en argent frais permettra à l’État de lutter, sans débourser une seule ouguiya, contre les inégalités sociales, facteurs de soubresauts incontrôlés.
C’est pourquoi, les détracteurs de l’instauration de la zakat devraient méditer sur ses retombées bénéfiques pour le pays. Voici, à titre d’exemple, certaines de ces retombées :
* La zakat apportera aux centaines de milliers de personnes éligibles un revenu mensuel constant pour l’éradication de la pauvreté et de la précarité. Ce montant pourra être de l’ordre de 40 ou 50.000 ouguiya MRO par chef de famille.
* L’Administration de la zakat pourra créer, sur le modèle islamique une banque –qui sera probablement, de loin la plus importante du pays– pour le financement du logement social, les micro-projets, les centres de santé comme les dispensaires de quartier, les bourses pour les enfants des pauvres, les allocations d’indigence ou d’infirmité, etc, etc.
* L’Administration de la zakat pourra alléger considérablement les charges de l’État en finançant nombre d’infrastructures à caractère social : écoles, universités, hôpitaux, routes, etc.
* De même, généralisation de l’implantation des ‘’boutiques Emel’’ dans toutes les villes, villages et autres bourgs, achat et distribution gratuite aux démunis de fourrage pour le bétail, etc. Sans oublier l’eau et l’électricité dans les régions enclavées du pays, etc.
* Les énormes revenus générés par la zakat mettront à l’abri, durablement, contre les déficits budgétaires récurrent qui, souvent conduisent à solliciter un accord d’ajustement structurel avec le FMI.
* Avec la zakat, on tordra le cou à certains stéréotypes et clichés. On verra ainsi dans la zakat, la négation du prisme déformant de l’idéologie dévastatrice des mouvements ‘’jihadistes’’ qui altèrent l’image de l’islam qui est une religion de paix, de tolérance, de partage et de solidarité.
De tels projets sont-ils une simple vue de l’esprit ou bien aura-t-on, réellement, les moyens financiers pour les réaliser ? Avec la collecte de la zakat, l’argent sera bien là avec des montants insoupçonnés. Les flux financiers générés par la zakat seront considérables. Des centaines de milliards d’ouguiyas MRO. Une manne inespérée pour le développement du pays.
De l’avis de certains experts, les revenus de la zakat seront plus importants que tous les revenus cumulés de l’État : gaz, fer, or, pêche, agriculture, etc. A seulement 60 ou 70% de recouvrement, ces experts (économistes et banquiers) parlent d’un montant avoisinant ou dépassant le budget général annuel de l’État.
Annihiler la menace des prédateurs
Sur un plan opérationnel, on devra procéder progressivement, par étapes. Ainsi, la collecte de la zakat devra commencer dans un premier temps à Nouakchott, puis dans un deuxième temps à Nouadhibou, ensuite les capitales régionales, les périphéries des grandes villes et enfin le milieu rural.
Pour mener à bien cette mission, il suffira de mettre en place la structure adéquate avec, au préalable, une condition sine qua non : l’implication du président de la République pour veiller, personnellement, au bon déroulement de toutes étapes importantes de l’opération et pour dissuader les éventuels prédateurs, toujours à l’affût, pour faire main basse sur l’argent de la zakat.
En effet, seul le chef de l’État pourra constituer un rempart pour stopper les velléités des prédateurs de tout poil dont la cupidité et la voracité sont sans limite. Ces professionnels du boniment chercheront par tous les moyens à transformer cette noble entreprise en une affaire lucrative pour saigner à blanc une partie de la population et remplir les poches d’une infime minorité de privilégiés, pour la plupart corrompus. La technique utilisée est bien rodée avec, au premier chef, l’attribution des marchés.
Il s’agit d’un univers glauque où les intérêts personnels, la parentèle, les amis et le clientélisme seront, si on y prend garde, les seuls critères d’attribution de ces marchés. C’est pourquoi, de solides garde-fous devront être mis en place aussi bien en amont qu’en aval pour dissuader ces sangsues de détourner à leur profit le produit de la zakat…
NB. Pour plus d’informations sur la zakat, se référer à mes études et articles parus dans Le Calame.
*Professeur d’université
Lauréat du Prix Chinguitt