Entretien avec M. Boydiel Houmeid, ancien ministre et maire de la commune de N’Diago.
» Le président Ghazwani n’a pas besoin, pour se présenter, qu’on lui en fasse la demande »
Le Calame : Commençons par votre réaction sur ce qui se passe actuellement en Palestine…
Boydiel Houmeid: Ce qui se passe en Palestine était prévisible et inévitable car le conflit n’a pas trouvé à ce jour de solution. La Communauté internationale préconisait une formule consistant à fonder deux États cohabitant côte-à-côte. La partie israélienne et son principal soutien, les États-Unis, ne veulent pas de cet arrangement, laissant Israël s’imposer par la force. Or la force ne peut jamais résoudre les conflits de ce genre, puisqu’elle ne peut pas être l’apanage d’une seule partie, changeant de camp selon les circonstances et le temps. Comparez les Palestiniens d’il y a 75 ans (1948) et ceux d’aujourd’hui. Par ailleurs, les Occidentaux, États-Unis en tête, pratiquent une politique de » deux poids deux mesures « , jugeant qu’une vie humaine n’a pas la même valeur selon qu’elle est palestinienne ou israélienne. Or il n’existe aucun peuple perpétuellement supérieur ou inférieur. Ce sont les circonstances historiques qui font qu’à un moment donné un peuple est en avance par rapport à un autre, économiquement et militairement. À mon humble avis, les pays arabes, les pays africains et tous les pays épris de paix et de justice doivent rompre leurs relations diplomatiques avec Israël – pour ceux qui en entretenaient – ainsi qu’avec les États-Unis, comme l’avait déjà fait la plupart d’entre eux – notamment la Mauritanie – lors de la guerre de 1967 : maintenir ces relations revient à cautionner l’injustice et l’agression contre le peuple palestinien. Cela dit et malgré toutes les souffrances que subit en ce moment celui-ci, la crise actuelle peut ouvrir une lueur d’espoir pour un règlement définitif de la question. Pourquoi et comment, me direz-vous ? De sa fondation à nos jours, l’État sioniste n’a jamais connu un gouvernement aussi extrémiste que celui qui le dirige actuellement. Son mot d’ordre est l’élimination totale du Hamas, alors que celui-ci non seulement représente aujourd’hui une légitimité électorale mais répond aussi aux aspirations de la majorité du peuple. Vouloir éliminer le Hamas, c’est donc vouloir éliminer le peuple palestinien. Or il est impossible d’éliminer tout un peuple. On peut en tuer une bonne partie mais jamais sa totalité. À entendre les voix qui commencent à s’élever à travers le monde, et surtout celles des israéliens réclamant la démission de leur gouvernement extrémiste, on peut s’attendre qu’à la fin de la guerre – dont, je le répète, les objectifs ne peuvent être atteints parce qu’il n’est pas possible d’anéantir tout un peuple – les israéliens exigeront la formation d’un nouveau gouvernement qui engagera nécessairement des négociations visant à trouver un règlement de la question palestinienne.
Deux partis de l’opposition et le principal parti de la majorité présidentielle, l’INSAF, ont signé, il y a quelques semaines, un document intitulé Pacte républicain. Quel sens donnez-vous à cet accord ? Que peut-il apporter à la Mauritanie ?
– Vous savez, ces deux partis avaient choisi dès 1992 de se positionner en opposition radicale au régime en place. Vingt-et-un ans plus tard, ils optent pour une position plus apaisée, au moment où d’autres formations politiques prennent leur place dans la radicalité. J’espère que cette forme d’opposition donnera des résultats meilleurs pour l’intérêt économique et social du pays, ainsi que pour son développement harmonieux. Puisse leur démarche amener les partis restés dans l’opposition radicale à adopter une position similaire ! Cela prouvera à tous que la pratique politique mauritanienne procède d’une confrontation d’idées et non d’un combat au corps-à-corps. Ainsi tout le monde aura à l’esprit que les protagonistes ne sont pas des ennemis mais de simples adversaires qui cherchent tous, par des chemins certes différents, le bien-être du peuple mauritanien, chacun voulant faire valoir que sa vision est la meilleure mais acceptant de jouer le jeu de la démocratie et de se soumettre au choix du peuple.
Les principaux autres partis de l’opposition ont considéré que ce pacte ne les engageait pas. Cela ne réduit-il pas sa portée ? Que doivent faire les signataires pour rallier le maximum de partis autour de cette initiative? Est-ce dans votre agenda?
Je crois avoir répondu à cet aspect dans le développement de la question précédente.
Base d’un futur dialogue, ce document est censé apporter des solutions consensuelles à certains problèmes auxquels le pays est confronté : unité nationale, bonne gouvernance, questions électorales, entre autres. Vous qui avez été à l’origine de deux dialogues, si je ne me trompe, y trouvez-vous du nouveau ?
– Ma position a constamment été que le dialogue est une nécessité : la démocratie a toujours besoin d’être améliorée et adaptée à la réalité du peuple et du pays. Cependant un dialogue national ne peut pas se tenir tous les jours ou tous les mois. Mais une fois que sa tenue est envisagée, les dispositions adéquates doivent être prises afin que tous les sujets en rapport avec la démocratie, l’égalité et la justice soient abordés globalement et dans le fond. J’ai été co-président de deux dialogues au nom de l’opposition. Je crois pouvoir dire que nous avons réussi à faire avancer la démocratie dans notre pays. Il suffit de regarder le nombre de textes élaborés, modifiés et adoptés à l’époque, allant de la Constitution aux lois, décrets, arrêtés qui ont largement amélioré la pratique démocratique, ainsi que l’exercice des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
L’unité nationale – vivre ensemble, séquelles de l’esclavage… – fait l’objet de plusieurs débats, ateliers, séminaires au sein de l’opinion. L’INSAF y a consacré plusieurs manifestations mais le débat demeure, les dénonciations aussi. Que faire, à votre avis, pour faire avancer cette question de ce que d’aucuns appellent la » cohabitation » ? Quelles ont été les avancées enregistrées lors des dialogues auxquels vous avez assisté ?
– De mon point de vue, le mot cohabitation n’est pas vraiment approprié à notre situation nationale. C’est un terme qui s’emploie pour des groupes ou des populations qui n’habitaient pas sur le même territoire. Or les Mauritaniens, quelle que soit leur origine, vivent ensemble depuis des siècles sur le même espace géographique, bien avant que la Mauritanie ne devienne un pays et ils ont un ciment unitaire : la religion musulmane. Moi, je préfère parler plutôt d’unité nationale et les dialogues passés, pour répondre à votre question, ont mis en place un arsenal juridique qui la favorise, notamment la criminalisation de l’esclavage et l’institutionnalisation des quatre langues nationales. Il reste à traduire cette volonté d’unité
dans notre vie quotidienne, à travers l’éducation, d’abord, puis des mesures d’accompagnement pratiques. Par exemple, ne plus affecter dans les régions de l’intérieur des fonctionnaires qui ne parlent pas la langue qui y domine.
Les dernières élections locales ont vu la victoire écrasante de votre parti mais les résultats ont été très contestés. Certains ont même réclamé leur annulation et leur reprise dans certaines circonscriptions. Un commentaire ? La CENI a-t-elle réussi son pari ?
– Dans notre pays, les élections font toujours l’objet de contestations, parfois à raison, parfois à tort. En tout cas, chez moi, les résultats n’ont pas été contestés. Vous savez, on se cherche encore en démocratie et celleci n’est jamais parfaite, il faut l’améliorer en continu. Même dans les pays de tradition démocratique, il y a toujours des insuffisances. La plus grande démocratie au monde aujourd’hui, c’est les États-Unis, n’est-ce pas ? Leur système est fondé sur le principe » un homme, une voix » ; autrement dit, le suffrage universel. Cependant, du fait de leur mode électoral basé sur les mandats, vous pouvez avoir un candidat élu président, alors qu’un autre prétendant a obtenu plus de voix que lui. Quant à l’appréciation de la CENI, il faut dire que son travail ne peut pas faire l’unanimité. À sa constitution, il était entendu que les membres du Comité des sages devaient être choisis hors de toute considération politique. Mais il se trouve que pour l’actuelle équipe, les désignations ont été opérées sur la base de l’appartenance à des partis, même si certains ont respecté l’esprit du texte fondateur de la CENI en proposant des cadres de haut niveau qui ne militaient pas en leur sein.
Vous êtes opposés à la proportionnelle adoptée de concert entre le ministère de l’Intérieur et les partis de la majorité et de l’opposition. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
– Les raisons sont simples. La proportionnelle intégrale permet à certains élus de devenir maires avec moins de 50% des voix : c’est une source d’instabilité au niveau du conseil municipal. Le jeu est ainsi laissé aux humeurs des partis politiques et parfois même des conseillers municipaux personnellement.
Nous nous acheminons vers l’élection présidentielle l’année prochaine. Vous faites partie des maires du Trarza qui ont demandé au président Ghazwani de briguer un second mandat. Pouvez-vous nous en dire les raisons ?
– Non, je ne fais pas partie des maires qui l’ont demandé. Tout d’abord parce que le président
Mohamed ould Ghazwani n’a pas besoin, pour se présenter, qu’on lui en fasse la demande : c’est un droit que lui confère la Constitution. Ensuite parce qu’on ne m’a pas contacté au préalable et j’ai été fort surpris de voir mon nom inscrit en deuxième position sur une liste. Il est vrai que je ne suis pas membre du Conseil exécutif qui peut donc délibérer sans moi et prendre ses décisions sans me consulter. Mais il se trouve que je suis président d’honneur de cette association de maires, un titre honorifique qui a tout de même une signification. Enfin, quand on tient à associer mon nom à une décision de portée nationale, il faut à l’avance prendre mon avis. Et si je donne mon accord, mon nom doit figurer en tête de liste : il en va ainsi dans le protocole de l’Assemblée générale et c’est le seul avantage d’ordre psychologique que l’on peut tirer de ce titre.
Le président Ghazwani achève son premier mandat à la tête du pays. Comment
appréciez-vous son bilan ?
– Je n’ai pas à apprécier personnellement le bilan du président de la République, puisque je suis membre d’un parti et que les appréciations que celui-ci aura à faire seront les miennes. Je peux néanmoins déjà vous dire que ce fut une prouesse d’avoir réussi à apaiser le climat politique et social, au moment où d’autres pays sont fortement secoués par l’insécurité et l’instabilité.
Quelque temps avant les dernières élections locales, l’INSAF avait mis en garde certains de ses militants contre la transhumance, ce qui n’a pas empêché bon nombre d’aller se faire investir ailleurs, espérant rejoindre vos rangs après leur élection. Pourquoi le parti peine-t-il à faire régner la discipline en son sein ?
– L’INSAF a bien mis en garde ses militants et cadres contre la tentation de se présenter sous d’autres bannières mais les responsables du parti ont en même temps encouragé certains à se porter candidats contre ses listes en quelques circonscriptions électorales. Doit-on parler dans ce cas de transhumance, du moment que cela ne dure que le temps du vote (environ huit heures) ? Ce n’est pas une transhumance ; plutôt du camping. Pareille indiscipline persistera aussi longtemps que ses auteurs n’auront pas fait l’objet de sanctions sérieuses.
Depuis son élection, le président de la République ne cesse de promouvoir la lutte contre la gabegie. Pensez-vous qu’il peut gagner ce combat ?
– Donnez-moi le nom d’un seul pays au monde qui ne déclare pas la guerre à la gabegie. C’est une lutte de longue haleine. Le combat peut et doit réduire l’extension du phénomène mais difficilement l’éradiquer.
Quels peuvent être les retombées du gaz et du pétrole que la Mauritanie s’apprête à produire sous peu dans la zone de N’Diago, votre commune frontalière avec le Sénégal ?
– Le gaz et le pétrole qui doivent être exploités incessamment se trouvent effectivement au large de la commune de N’Diago. Nous espérons que toute la Mauritanie pourra bénéficier des retombées de cette exploitation, surtout en ce qui concerne la main d’œuvre, bien que cette première phase se déroule en mer, donc avare en main d’œuvre non qualifiée. Nous constatons que nos frères sénégalais de la mairie d’en face – celle de Saint-Louis – en tirent un meilleur profit que nous, puisque l’État sénégalais les associe à tout ce qu’il fait, alors que notre gouvernement nous ignore complètement. Je vous donne un exemple simple. Les Sénégalais ont agrandi leur aéroport et profitent de l’accroissement du trafic aérien entre la plateforme, Dakar et l’étranger, tandis qu’ici, nous avons certes construit un port – une bonne chose, en soi – mais il n’est toujours pas opérationnel à ce jour, à cause d’une route de quarante-deux kilomètres qui a coûté les yeux de la tête et dont l’achèvement traîne depuis trois ans.
Propos recueillis pas Dalay Lam