Les membres de notre « Cercle » avaient surtout connu Messaoud lors des dernières municipales de 1990. Après un court séjour à la tête du ministère du développement rural, il connaitra une période pas très longue de traversée du désert. C’était probablement son unique pause dans le travail administratif avant son départ à la retraite. Afin de l’éliminer de la course pour la mairie centrale de Nouakchott, certains détracteurs poussèrent le président Taya jusqu’à lui créer des problèmes d’ordre judiciaire. Il était question de malversations dans la construction de sa maison à Nouakchott. Ce qui n’était nullement évident. Il fut arrêté à quelques semaines de la date du scrutin. On lui organisa à la hâte un procès. Il bénéficiera d’un élan spontané de solidarité.
Jusque-là, j’ai toujours refusé ses offres de collaboration politique. Depuis son début de chômage administratif, il entretenait un petit groupe politique, composé essentiellement d’amis à moi. Parmi eux, Mohamed Salem Merzoug et Cheikh Ahmed Zehaf, ainsi que feu Boubakar Ould Mohamed. Ces derniers n’avaient cessé de me demander de les rejoindre dans le groupe en question.
J’avais toujours refusé. Je leur expliquais que je ne pouvais pas croire ce Monsieur qui ne commença à s’intéresser à la politique qu’après son limogeage du gouvernement. Je rappelais que même ses amis de Elhor lui fermaient la porte de leur organisation. L’arrestation et le jugement de Messaoud me révoltèrent. Pour moi c’était un acte de discrimination et d’arbitraire délibéré. Après sa libération, sa liste sera retenue parmi quatre listes autorisées à compétir pour le premier tour. Plusieurs autres listes sont éliminées sans raison valable. La liste de Messaoud a manifestement profité de l’élan de solidarité dont ce dernier a bénéficié durant son arrestation.
Juste après je pris contact avec des amis du MND, notamment feu Bedreddine. Je leur ai conseillé de soutenir la liste de Messaoud, « considérant », selon moi, «qu’elle était la meilleure des quatre listes retenues ». Il restait à définir ce que j’entendais par « meilleur ». Je n’avais presque pas rencontré d’opposition. On me confia la présidence d’une délégation représentant la sensibilité du MND chargée de prendre contact avec Messaoud pour lui déclarer le soutien inconditionnel du MND à sa liste.
On le trouvera dans sa modeste maison du quartier SOCIM, seul avec sa pipe, posée devant lui, solitaire sur une petite table. On se présenta. Aussitôt j’étalai les termes de notre mission. Son caractère, policé par des décennies de responsabilité administrative, cachait à peine son enthousiasme pour ce probablement premier soutien d’envergure. Ensuite je me suis hasardé à lui poser des questions dont la pertinence ne manquera pas de déranger un tout petit peu la sérénité de notre honorable hôte.
« Peut-on avoir, monsieur le ministre, une idée plus ou moins précise des moyens financiers et humains dont vous disposez jusque-là pour faire face à cette campagne ? » Une question parmi d’autres. Sa réplique ne se fera pas attendre : Eh ! Cheddad, sache que toi tu n’es pas un policier et par conséquent tu n’as aucun droit de me soumettre à un interrogatoire ! ». Je répondis le plus poliment possible : « Monsieur le ministre, nous sommes ici, envoyés par des gens qui veulent tout simplement se renseigner sur vos possibilités électorales pour pouvoir évaluer le volume du soutien dont vous aurez besoin ».
Il afficha une bonne compréhension de mes explications. Puis il ajouta : « Au plan humain j’ai le soutien d’un groupe politique et de l’assemblée d’une mosquée. Au plan matériel je dispose uniquement de mon salaire qui dépasse à peine 25.000 Um ». « Voilà tout. Qu’est que tu veux de plus, monsieur Cheddad ?! ». Pour en finir j’exprimai ma satisfaction. Le soutien déclaré du MND à Messaoud ouvrira la voie à des vagues successives de soutiens de tous ordres et de toutes couleurs. La fracture causée par les événements raciaux récents demeurait béante. Son pansement et éventuellement sa guérison, demandaient une personnalité d’exception. Celle-ci, en aucune manière ne pouvait provenir en ce moment des deux camps antagonistes, parties prenantes du conflit d’hier. Un Haratine, du gabarit de Messaoud, ferait logiquement l’affaire de tous.
C’est ce qu’on avait tenté d’expliquer à celui-ci. Il semblait comprendre. Après moult concertations, ses amis d’Elhor finirent par le rejoindre. Certains parmi eux ne nous avaient pas facilité la tâche. Notre discours unitaire, ils l’orientaient vers un discours étroit et identitaire. Nous demandions à Messaoud de se positionner pour être le dirigeant de toute la Mauritanie. Certains de ses amis d’ElHor l’exhortaient à ne pas dépasser uniquement la prétention à la chefferie des Haratines. Depuis mon premier entretien avec lui, Messaoud me découvrit. Depuis lors il se confia à moi. Pour nos concertations ; on s’était servi du bureau de son ami, le sage Sidi Ould Messaoud, un transitaire originaire de Rosso dont le bureau se situait dans la zone du grand marché de la capitale. Ici on a confectionné de A à Z la liste Messaoud Ould Boulkheir pour les élections municipales. Je lui recommandais, afin de barrer la route à toute interprétation tendancieuse, d’y mettre le maximum possible et raisonnable d’éléments maures de souche blanche. Il me disait que la liste est la mienne est qu’il me revenait de la « blanchir » comme je l’entends.
Je me rappelle que j’y ai coché, parmi d’autres, le nom de Mint Idoumou, une sage-femme originaire de Maghtaa Lahjar, maintenant décédée. Son prénom Vatimetou, y sera ajouté parce que je ne l’avais pas en tête au moment de la confection de la liste. Feue Vatimetou Mint Idoumou était une ravissante belle jeune femme, proche parente de mon ami Mohamedou Naji. Elle ne cessait de partager son beau sourire avec les autres. Je me rappelle aussi que Messaoud a beaucoup insisté pour que je place mon nom à la tête de l’une des Moughataa de Nouakchott pour garantir mon succès. Ce que j’ai toujours refusé. J’étais déjà engagé dans la campagne de la commune de Tékane.
Là, j’étais retenu par les enjeux locaux sur lesquels planait encore le climat des événements raciaux de 1989-1991. Notre collectivité de Teychtayatt, la seule à se ranger massivement du côté de la liste représentant la communauté négro-africaine, a failli se faire expulser ou faire l’objet de nouveau de punition collective durant ces douloureux événements.
‘’L’initiative de Messaoud’’
Au premier tour du scrutin, deux listes dont celle de Messaoud seront admises pour un second tour. Malgré une énorme campagne de fraude à ciel ouvert, la liste de Messaoud arracha 11 conseillers sur 36. L’autre liste fut celle soutenue par l’administration. Nous avions fêté ce résultat comme une grande victoire. Nous pensions que Messaoud siégera sans doute au conseil municipal et mènera comme il se doit « le travail parlementaire » en son sein. Il n’en sera rien.
Messaoud se retira aussitôt avec les quelques conseillers de couleur « El Hor ». Il jura de ne jamais siéger dans un conseil dont il ne disposerait pas de la présidence. Son objectif presque déclaré fut de s’emparer de la direction d’ « Elhor » et d’en évincer les chefs de file qui la menaient auparavant. Ce qu’il va réussir en si peu de temps. A partir de cet instant, Messaoud Ould Boulkheir deviendra l’une des rares figures incontournables de la scène politique mauritanienne.
Revigoré par cette situation, il deviendra difficile d’amener Ould Boulkheir à entériner notre initiative politique. Il fallait user de l’astuce la plus subtile possible. On lui proposa d’assister à une discussion sur la situation générale dans le pays. Il faudra surtout éviter de lui présenter directement « un plat préparé d’avance », prêt pour la consommation. Ne vous en faites pas. Il n’y goûtera pas, craignant d’être « empoisonné », c’est-à-dire manipulé par des éléments du MND, comme il avait l’habitude de dire.
Avec lui, il faudra engager une discussion qui aboutira progressivement à notre proposition. Faire surtout en sorte que les principaux éléments de la proposition viennent en premier lieu de la bouche même de Messaoud. Il faudra lui donner l’impression, ou plus précisément la conviction, que c’était bien lui l’unique initiateur de l’initiative.
La réunion eut lieu au carrefour, chez notre ami, le doyen Mohamed Mahmoud Ould Moud. Nous avons franchi aisément les différentes phases du plan de la discussion. Messaoud prononcera la conclusion, c’est-à-dire les termes entiers de notre proposition. On la baptisera « l’initiative de Messaoud ».
Deux à trois jours après, l’assemblée générale des signataires des lettres ouvertes décida la création du Front Démocratique pour l’Unité et le Changement(FDUC). Surpris et pris de panique, le régime de Maouiya procéda immédiatement à l’arrestation des principaux dirigeants de la nouvelle organisation politique dont nos deux amis Messaoud et Bedredine. Ils seront tous aussitôt exilés pour un court moment à Tichitt. L’opposition reprit de nouveau l’initiative.