Pour de nombreuses raisons évoquées ci-dessous, le régime d’Ould Haidalla ne pouvait absolument pas durer longtemps au pouvoir. Son péché capital fut de ne pas convenir aux faiseurs de rois dans notre sous-région : les régimes occidentaux et leurs instruments d’action sur le terrain, les institutions financières internationales. Comme d’habitude, pour se débarrasser d’un chef d’Etat encombrant, ils se servaient de l’homme le plus proche de lui. Dans notre cas il s’agissait du colonel Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya. Ould Haidalla sera renversé par celui-ci le 12 décembre 1984. Le rôle de la France dans cette action n’est plus à démontrer. A visage découvert, les autorités françaises de l’époque ont tout préparé jusqu’au passage à l’acte. Le nouveau coup de force fut vivement applaudi par les nostalgiques de la sainte alliance de guerre derrière le Maroc.
Pourtant le nouveau pouvoir ne leur fera aucune concession. La Mauritanie ne dénoncera pas les accords de paix avec le Polisario. La Mauritanie ne s’engagera plus dans la guerre du Sahara Occidental. La nouvelle junte militaire observera une stricte neutralité dans le conflit saharien. Seules les institutions financières internationales seront entièrement satisfaites puisqu’elles vont dicter au nouveau pouvoir l’intégralité de leurs conditions de « coopération » économique. La France retrouva sa place habituelle dans les affaires de la Mauritanie, tout au moins pour un certain temps. Après tout, la guerre n’était pour elle qu’un moyen de ramener la Mauritanie, leur ex-colonie égarée, dans « le droit chemin ». Maintenant, comme dicté par le bon sens du pragmatisme, il faudra rétablir la paix pour laisser place aux affaires.
Personnellement, je ne savais pas grand-chose des détails des accords de coopération entre le nouveau régime de Ould Taya et les institutions financières internationales. Très probablement il devrait y avoir l’introduction de quelques mesures de démocratisation des institutions. De même que la privatisation du système d’enseignement et de la santé. En d’autres termes l’assassinat de l’école publique et des soins gratuits pour les plus pauvres, Deux ans à peine après le putsch du 12-12-1984, nous assisterons à l’organisation d’élections municipales au nombre de listes limitées d’avance au niveau des 13 capitales régionales du pays. Ce sera le début d’un long et douloureux accouchement d’un processus démocratique qui se prolongera jusqu’à nos jours.
Premier essai démocratique : C’était en 1986 que le régime de Maouiya Ould Sid Ahmed Taya organisa des élections municipales au niveau des capitales régionales des 12 régions du pays et au district de Nouakchott. En matière de pratique démocratique à caractère pluraliste, c’était une première dans notre pays. A Nouakchott, sur une dizaine de listes candidates à la candidature, quatre listes furent retenues et de façon arbitraire. Les listes éliminées le furent sans raison logique. Aucun critère ne fut arrêté sur la base duquel on admet ou on rejette une liste donnée. Parmi les listes éliminées celle de couleur jaune ayant à sa tête feu Mbarek Ould Maouloud, l’oncle maternel de mon ami feu Nourou Ould Lab. Elle était soutenue par un grand nombre de cadres qui se présentaient comme éclairés et progressistes. Ce qui n’était pas aussi évident. Je faisais partie de ses soutiens.
Une deuxième liste comptait parmi les listes retenues. Ce n’était pas n’importe quelle liste. Il s’agissait de celle confectionnée de A à Z par l’administration. Sa couleur était le bleu. A sa tête se trouvait le doyen feu Elhadrami Ould Khattri. Aux yeux d’une bonne partie de l’opinion, elle apparaissait comme une liste de notables et de personnalités conservatrices. Malgré une campagne dynamique, la liste jaune fut éliminée au premier tour du scrutin. Le deuxième tour opposera deux listes dont la liste bleue et une autre liste à la couleur blanche menée elle aussi par des cadres à la tête desquels se trouvait Mohamed Mahmoud Ould Mah, secondé par feu Mohamed Ould Haroune.
Mes amis de la liste jaune avaient beaucoup hésité avant d’apporter leur soutien à l’une des deux listes concurrentes au deuxième tour. Je décidai, (en dépit des dents du passé!), d’œuvrer en vue de casser leur hésitation et afin d’apporter leur ferme soutien à la liste blanche. J’avais sur moi une petite somme d’argent, juste de quoi payer un turban blanc au marché à côté. Au retour du marché, je m’introduisis dans une assemblée générale des soutiens de la liste jaune éliminée au premier tour. Je brandis mon turban au nez des participants à la réunion.
Par mon geste, j’avais enclenché un débat sur le sujet d’actualité : le choix de l’une des deux listes au second tour. A ma grande satisfaction, les partisans du soutien à la liste blanche l’avaient remporté. Par la suite, tous les soutiens à la liste jaune basculèrent du côté de la liste blanche. Au deuxième tour, la liste bleue gagnera le scrutin avec une courte avance sur la liste blanche. Après d’intelligentes tractations, Ould Mah réussit à conquérir la majorité au conseil municipal en sa faveur. Il passera un temps pas très long à la tête de la mairie centrale de Nouakchott avant d’en être brutalement éjecté et remplacé par son premier adjoint feu Mohamed OuldHarouneOuld Cheikh Sidia.
Début indécis d’un Processus démocratique : Le 15 avril 1991 était un jour pas comme les autres. C’était d’abord la fête d’Elfitr marquant la fin du mois du Ramadan. Il marquait aussi le début d’un tournant historique dans notre pays, la Mauritanie. Ce jour-là, je me suis levé un peu plutôt que d’habitude. Mon petit poste radio m’apprit, aux environs de 7 heures du matin que le chef de l’Etat mauritanien, à l’époque, Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya, venait juste de décider l’extraordinaire : ouvrir le pays à la démocratie intégrale.
Au niveau officiel, les semaines précédentes étaient marquées par un silence complet face à une dynamique montante, enclenchée depuis le début de l’année, pressant pour une démocratisation rapide et effective des institutions. Deux lettres ouvertes signées par plus d’une centaine de cadres politiques de tous horizons, brisèrent le respect d’un système militaire d’exception gouvernant le pays par ordonnances depuis le coup d’Etat du 10 juillet 1978. Depuis les événements raciaux de 1989, un climat politique lourd et opaque régnait dans le pays. De nouveau l’incertitude de l’avenir gagnait les esprits.
L’enclenchement du processus démocratique fut engendré par une crise, crise à la fois politique et socioéconomique sans précédent. Les observateurs les plus optimistes n’excluaient plus l’imminence d’une forme donnée de guerre civile, voire l’éclatement du pays ou d’un soulèvement généralisé contre le système en place, comme ça se passait le plus souvent ailleurs. Par miracle la proclamation d’un processus de démocratisation jugula la crise et fit renaître de nouveaux espoirs chez nos concitoyens.
Décolonisation inachevée : Depuis le début des années 1980, des signes de changements profonds commençaient à se faire voir dans la situation du monde d’après-guerre. Au cours de cette période, nous assistions à la fin des dernières guerres coloniales, notamment au Sud-est Asiatique et dans les colonies portugaises d’Afrique. Les peuples des anciennes colonies, après plus de deux décennies de la proclamation de l’indépendance politique de leurs pays, commençaient à déchanter.
Ils se rendirent compte qu’ils ont été leurrés. Ils finirent par comprendre que le système colonial, par des méthodes pernicieuses, a réussi à préserver ses intérêts fondamentaux. Dans de nombreux domaines, notamment économique et culturel. En réalité l’influence des anciennes puissances coloniales ne cesse d’augmenter.
Dans de nombreux nouveaux pays, anciennement colonisés, une bonne partie des nouvelles élites formées après l’accession à l’indépendance, octroyée dans la plupart des cas, se mirent à remettre en cause les règles du jeu établies depuis. Un peu partout, la grogne s’étendait. Désormais, s’ajoutaient aux revendications socioéconomiques et culturelles classiques une nouvelle revendication politique : le pluralisme politique et l’élection transparente et honnête des dirigeants et des institutions : une sorte de « printemps du Tiers Monde ».
L’UTM à l’avant-garde : Chez nous, le flambeau de l’enclenchement de la lutte pour la démocratie fut porté par l’Union des Travailleurs de Mauritanie(UTM). Sa direction, avait à sa tête en ce moment, mon ami, feu Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Radhi. Il était entouré par une avant-garde de militants syndicaux des plus chevronnés. A travers des lettres ouvertes, et à l’aide de leur persévérance et leur audace, les signataires des lettres ouvertes, dont je faisais partie, finissent par casser l’entêtement du régime de Maouiya Ould Taya. Ce dernier, en fin stratège militaire, se donna quelques semaines de réflexion et de méditation.
Ould Taya arrache l’initiative : Il finit par trouver la bonne solution : ouvrir le pays à la démocratie. Il fut encouragé par quelques pas timides et hésitants, expérimentés depuis le début de son règne. Il s’agissait des premières élections municipales au niveau des capitales régionales en 1986. Elles vont s’étendre après aux niveaux départemental et rural. Il faut rappeler, mais aussi reconnaître, que le courage de la dernière décision a surpris plus d’un mauritanien. Ce jour-là, comme signalé avant, le discours du président Maouiya, que je n’ai écouté qu’à 7 heures du matin, m’a coupé la grasse matinée. Habituellement je dors mal quand je n’ai pas en tête des perspectives claires pour mon pays. C’était à la capitale, à la Medina « 3 ». Une heure après, je pris mon premier verre de thé avec mon ami Khallihinna Ould Tolba dans un coin reculé du quartier de Toujounine. La situation se complique pour l’opposition. Comment lui trouver une issue de sortie?
(À suivre)