Le 24 août 2021 – Seyré Sidibé | Initiatives News
Mon professeur de philosophie aimait le dire : la crise des valeurs est le mal de notre époque.
Mais cette crise des valeurs est souvent perçue et lue sous un prisme réducteur : celui de la déchéance morale, de la dépravation des mœurs, du culte du matériel au détriment « des choses de l’esprit » et bien sûr la banalisation de la vie humaine.
Mais à la suite de mon professeur, quelques années plus tard ayant acquis la maturité, j’ajoute à cette tentative de définition, comme pour le compléter, sans prétention, que la crise des valeurs c’est l’anéantissement de l’humain par l’inhumain.
C’est également la corruption de l’intellectuel, figure emblématique du savoir ; celui-là même qui est censé être au-dessus de la mêlée. Mais hélas.
La crise que traverse nos sociétés, aujourd’hui dans le monde, et plus vrai encore en Afrique au sud du Sahara, peut ainsi être nommée : la déchéance de l’intellectuel.
Une classe devenue maudite, indigne, aphone et atone notamment sur des sujets majeurs qui touchent la société.
Incompréhensible, Inacceptable. Ces avant-gardistes de la société sont « corrompus » jusque dans l’âme au point de devenir lâches, irresponsables et impertinents par leurs prises de positions ambiguës, indignes…
Les intellectuels africains. Pas tous. Heureusement !
Il en existe des perles rares en voie d’extinction, assurément les derniers survivants d’une autre époque.
Ceux-là sont discrets et vivent dans l’austérité mais honorent tout leur contrat avec la société et avec la Communauté scientifique.
Mais ils ne sont pas médiatisés, les cours qu’ils professent n’accrochent pas une société friande de sensationnel. Il y a maintenant, l’image la plus imposante de l’intellectuel africain.
Au plan du casting, l’intellectuel africain a un talent stratosphérique.
C’est souvent quelqu’un qui a fait de « bonnes études » et sortant des grandes universités de ce monde. Il est bardé de diplômes : la tête bien pleine mais loin d’être bien faite. Il est consultant international. Il occupe des chaires universitaires. Il fait la une des journaux et est l’invité favori des plateaux de télévisions.
Il a soutenu plus d’une thèse de doctorats. Il est souvent fonctionnaire international et se permet même de défendre les droits des minorités loin de chez lui, notamment lorsqu’il est avocat.
Mais malgré, ce background impressionnant, tous ces mérites et distinctions, l’intellectuel africain est décevant, par ce qu’investi pour défendre des causes injustes, tribales, claniques, discriminatoires ou despotiques.Son audience et sa notoriété restent cosmétiques, snobs et sans réel intérêt pour la société.
Sans transition, voilà qui m’amène à parler des « intellectuels » soninké qui sont incapables d’avoir de la hauteur et prendre une position honorable par rapport à la problématique de l’esclavage par ascendance qui mine leur société à travers plusieurs territoires de l’Afrique de l’Ouest.
Un intellectuel à quoi ça sert ?
C’est d’abord dénoncer les injustices, les abus.
C’est se mettre du côté des plus faibles et de la vérité.
C’est oser renoncer à ses propres avantages.
C’est s’attaquer aux tares sociales en vue de changer les mentalités et les comportements.
C’est tirer vers le haut la société. C’est adopter en tout temps et en toute circonstance des positions impartiales, courageuses et désintéressées.
C’est déconstruire les dogmes imposés par le poids du temps et de l’ignorance.
Ainsi défini, grâce à la constance et la fidélité à ces valeurs, conduite, attitude et aptitude, l’intellectuel en vient à construire, une légitimité gage de sa crédibilité, plaçant ainsi son art et son éthique au-dessus de tous.
L’intellectuel est partisan du mérite et du surpassement.Il appartient à une communauté élitiste et ouverte, pourvu qu’on fasse ses preuves pour y pénétrer. C’est la seule condition. C’est une espèce de panthéon qui restera fermé devant les apprentis intellectuels.
Les intellectuels, ce sont des hommes et des femmes décomplexés, critiques et débarrassés des dogmes de la pensée dominante.
L’observance de la société Soninké montre avec désolation des attitudes éhontées chez les « intellectuels », notamment du Guidimakha sur la question de l’esclavage coutumier.
Pour la plus part du temps, ils se cachent derrière un silence coupable et lâche. C’est peut-être les moins dangereux.
En revanche, certains se font remarquer tristement en s’affichent avec des propos provocateurs faisant l’apologie de la féodalité, s’ils n’appellent pas à la haine ou à la guerre.
En coulisse, ils participent même dans une certaine mesure, à des cotisations destinées au financement d’activités féodales ou controversées.
La troisième catégorie, optent pour la politique de l’autruche en soutenant honteusement que chez les Soninké, tout va bien. C’est « le meilleur des mondes » : ce sont les négationnistes.
Le quatrième groupe, très minoritaire est blessé dans son orgueilleux soninké, en raison de la bassesse du niveau des débats et essaient de rapprocher les positions en appelant les parties à la raison mais seulement dans des espaces clos et peu fréquentés. Ils ont peur de la sanction de l’opinion, d’être jugé.
Du coup, ils parlent peu. En effet, le contexte est délétère si bien que les propos sont souvent déformés, mal rapportés ou interprétés volontairement pour nuire.
Ces modérés sont souvent les victimes d’un procès d’intention : ils sont traités de « collabos » par les deux bords, notamment les partisans d’un Guidimakha éternellement féodal et ceux d’une rupture quel qu’en soit le prix à payer : la déconstruction à coup de marteau et de bulldozer.
Il y a également les « complexés ». Ces derniers prônent pour le renoncement à tout héritage soninké : la rupture totale. Il faut formater la mémoire sociale de la société par ce qu’à leurs yeux le passé est encombrant et trop gênant.
Ces gens-là n’hésitent pas à changer leur état civil, à opter pour les mariages mixtes afin de se dissoudre dans une autre société, peut-être plus accueillante.
Cette situation a beaucoup fait saigner la société soninké dans un contexte démocratique où la démographie reste un argument concurrentiel.
Une véritable hémorragie qui a affaibli la communauté soninké plus que jamais désunit, incapable de s’entendre même lorsqu’il est question de développement.
Ainsi, les bailleurs ou partenaires au développement préfèrent aller investir dans d’autres territoires où les contradictions sont moins marquées.
Au plan politique, ces adversités sont un atout pour les autres concurrents politiques qui en profitent pour se positionner : conséquence, les soninkés essuient souvent des revers politiques déconcertants dans leurs propres fiefs.
Les soninkés n’ont jamais cherché à évaluer ou à faire le bilan des dommages qu’engendre cette déchirure, une opération d’exsanguination qui fragilise davantage la communauté soninké dans un pays où les places sont marquées ethniquement autour de la mangeoire : le gâteau national.
Par ailleurs, la communauté soninké a souvent perdu des hommes et de femmes dotés de qualités exceptionnelles et de moyens incommensurables capables de tirer vers le haut la société, s’ils étaient acceptés avec plus de dignité et de respect.
La dernière catégorie d’intellectuels soninkés a mal dans son âme et dans sa chair car résignés au silence et au statut de spectateur par ce que tenus par le devoir de réserve. Ce sont-là les profils les plus marquants des intellectuels soninkés. Beaucoup se reconnaitront dans ces portraits.
L’intellectuel soninké est dès lors ambigu, insondable, perfide, sournois et irrationnel.
J’en ai connu admirateurs inconditionnels du leader abolitionniste Biram Dah Abeid tant qu’il dénonçait la condition de la composante Haratine et négro-mauritanienne.
Désormais rien ne va plus entre ces gens-là et le président d’IRA. Parce qu’il s’est intéressé à ce qui se passe chez les amis Soninkés. Crime de lèse-majesté.
Les Soninkés sont une catégorie intouchable. Eux, peuvent se permettre de parler des autres. Mais le contraire n’est pas toléré. Rire ! Mais on est dans une république.
Permettez-moi, les puristes, de tordre le coup à la définition classique de l’intellectuel, puisse qu’on parle du Guidimakha soninké, empêtré plus que jamais dans une mutation sociale imposée par le temps, pour y intégrer les hommes politiques, les leaders d’opinions, les détenteurs de la science religieuse etc.
Ils ont tous une grande part de responsabilité dans ce chaos, par ce qu’ils n’ont pas su mettre leur science, leur position et leur aura au service de l’intérêt général.
En effet, la science n’est pas complaisante, c’est « le désert des valeurs » disait le philosophe.
Pas besoin d’envoyer des observateurs au Guidimakha. Il y a dans cette société des inégalités et des injustices criantes liées à la naissance. Appelez-les comme vous voulez : esclavage coutumier, esclavage par ascendance, descendants d’esclaves, séquelles de l’esclavage etc. C’est une guerre sémantique sans intérêt.
Allons à l’essentiel ! Une chose est sûre. Ces différentes dénominations renvoient désormais à une stigmatisation : elles sont devenues blessantes, dévalorisantes et s’inscrivent dans une volonté de classification et d’hiérarchisation catégorielles basées sur la naissance.
Honte à ces faux intellectuels. Intellectuels d’une classe contre une autre. Intellectuels communautaires, intellectuel pyromane, intellectuel d’une idéologie et d’une tradition affreuse.
Intellectuel du conformisme et du statut quo éternel mais seulement au niveau de leur bled et villages. Alors qu’à l’échelle nationale, ils réclament la démocratie et le changement.
A ceux-là, j’ai envie de dire qu’ils sont pris en otage par les dogmes d’une société frileuse et grincheuse face au moindre changement.
Tout ce qui est obtenu par la voie de la facilité, la tricherie,la tromperie, la malhonnêteté, la force est contestable et finira toujours par être contesté.
C’est un « droit » controversé qui s’étiole avec le changement de contexte et de rapport de force.
Un intellectuel, appartient à l’humanité. Il défend des causes justes. Ils ne dénoncent pas à la carte l’arbitraire, ses humeurs ne sont pas à géométrie variable.
Comment comprendre qu’un « intellectuel » puisse dénoncer sans gêne et sans état d’âme la gestion de la Mauritanie depuis l’indépendance, en parlant d’apartheid et de racisme d’état alors que dans son village, il cautionne et soutien les pratiques esclavagistes sous couvert de respect des traditions ?
Dans ces villages soninkés, les descendants d’esclaves n’ont pas toujours droit à la terre. Désormais l’accès à la terre cristallise tous les différends entre anciens esclaves et anciens maitres, ces derniers continuent de s’accrochant inlassablement à un titre de noblesse évanescent.
L’accès à la propriété foncière, reste désormais l’unique moyen de pression de la classe féodale décadente et en décrépitude pour contraindre « les autres » à accepter le statu quo.
Mais la liberté est le meilleur des pains.
La nature humaine est d’une complexité hallucinante.
On a vu tous ces Noirs, parmi eux les disciples invétérés de l’ordre féodal terrifiés, abasourdis et révoltés par la violence policière aux Etats unis, avec la mort atroce de George FLOYD par un policier raciste blanc.
Ces mêmes « intellectuels » trouvaient insupportable, répugnant et épouvantable le marché aux esclaves en Libye avec les images de populations africaines dans un enclos et vendues comme du bétail.
Ces exemples sont à mon sens suffisants pour expliquer la malhonnêteté déroutante de nos « intellectuels » qui sont prompts à défendre des causes marchandables et vénales comme des tueurs à gage prêts à ouvrir le feu.
Ce n’est vraiment pas le portait de l’intellectuel que mon professeur m’a dressé, il y a trente ans.
Il disait avec éloquence, certitude et suffisance dans une salle de classe acquise et conquise avec sa rhétorique envoutante que l’intellectuel, c’est avant tout un rôle social.
Il n’a pas de passeport. Il n’a pas de nationalité. Il appartient à la terre : C’est un citoyen du monde.
Il ne compare pas les injustices en fonction de leur auteur.
Sa mission est de les combattre d’où qu’elles puissent venir.
Cher professeur, la déchéance que connait notre société est celle de nos élites.
Des élites débauchées, incapables d’anticiper et en mal d’inspiration.
Regardez partout sur le continent, ces « intellectuels » vendus qui tronquent, assassinent et prostituent la démocratie en faisant recours à des discours aux accents maléfiques et artificiels pour justifier le tripatouillage de la Constitution, la loi fondamentale dans nos Etats.
Ces mêmes universitaires s’empressent de défendre les coups d’état, se mettent du côté des militaires qu’ils pérennisent au pouvoir pour défendre des intérêts périssables.
Un intellectuel selon la définition de mon professeur, défend des valeurs et des principes qui sont par essence universels, non périssables et atemporels.
Le constat est sans appel : nos intellectuels ont échoué.
Dès lors, que dire des sages et des justes qui avaient pour cadre l’arbre à palabre : la sagesse africaine.
Pendant longtemps, dans nos cours de littérature orale, nos professeurs vantaient la société traditionnelle africaine qui était à l’écoute des sages. Tout y était rose.
Mensonge et nostalgie. C’était une pure construction théorique. Cher professeur ! Respect.
Je comprends, le contexte de la naissance de cette littérature d’opposition et de résistance à la table rase préconisée par la féodalité des suprématistes blancs.
Elle ne pouvait fonder sa thèse qu’en présentant l’Afrique précoloniale comme un paradis terrestre en minorant ses nombreuses tares.
Pour une fois, cher prof, vous nous avez transmis des recettes. Ce n’est pas grave.
En effet, dans d’autre cours, nous avons été initiés à la critique, à l’analyse scientifique pour ne pas tomber dans le culte et le conformisme : l’ennemi de la culture.
Revenons à notre sujet.
La société soninké est aujourd’hui menacée par son propre monstre qu’elle a enfanté. Un monstre rampant qui a pourtant averti mais personne ne l’a pris au sérieux.
J’ai longtemps compté sur la sagesse de la gérontocratie : dans nos villages, chaque vieillard est une bibliothèque, ne dit-on pas.
Où sont ces justes pour éteindre le feu ?
Ils sont pourtant-là. Mais la sagesse dont ils sont porteurs souffre d’absence de rationalité. C’est une sagesse arrimée à la société féodale : elle est trop légaliste, elle n’est pas discursive et encore moins critique. C’est une sagesse victime de son excès de paternalisme. Elle ne cherche pas à convaincre mais vous amène à accepter même au prix de la compromission.
C’est une sagesse qui n’a de moyens et d’ambitions que d’asseoir, justifier et légitimer l’autorité.
Ses limites sont connues : autoritaire, réfractaire à tout changement et trop idéaliste.
Elle ne peut intégrer, la flexibilité ou encore la tolérance du fait de sa nature et son caractère figée dus à la spécificité de son discours, incapable de s’adapter et de s’ouvrir. Elle se fonde sur des idées reçues et des recettes.
Au Guidimakha pendant que les Soninkés s’entredéchirent, pour « s’anoblir » d’autres acteurs se repositionnent : le territoire est par essence une arène.
La solution, croyez-moi ne viendra pas d’ailleurs.
Aucun élément extérieur ne vous sortira de cette mauvaise pente.
Un jour vous reviendrez honteusement à la raison lorsque vous aurez tout perdu : respectabilité, dignité, honneur, fortune et noblesse. Trop tard. Les blessures seront trop profondes et les plaies difficiles à panser.
Et puis, vos contradictions, adversités absurdes et orgueilleuses vous conduiront vers le chaos en révélant au grand jour vos faiblesses et vulnérabilités : le Talon d’Achille de toute une société.
Seyré SIDIBE, journaliste