La zone libérée : Au niveau du secondaire, cette situation, de grève de zèle de fait, va durer jusqu’au début janvier. Lundi 7 janvier 1972, les élèves, les jeunes en général, décidèrent de commémorer le second anniversaire de la mort de leur héros, feu Sidi Mohamed Ould Soumeydaa. Ils sortirent en masse dans la cour du Lycée National. Très tôt le matin, annonçant la fête, des banderoles furent affichées sur les façades et frontons des bâtiments. Les jeunes et les élèves des autres établissements scolaires vinrent nombreux pour participer aux festivités. L’administration voulut les en empêcher. Elle ferma la grande porte d’entrée devant eux. Le proviseur et son staff se pointèrent devant pour la surveiller. Certains jeunes visiteurs dont des filles comme la célèbre et belle Nnajia Mint Ahmed Salem se mirent à sauter par-dessus la grande porte. Nnajia Mint Ahmed Salem, sympathisante active du MND, est différente de Nnajia Mint Ahmed, cadre baathiste pure et dure, la sœur de l’ancienne ministre, feue Khadjetou Mint Ahmed. La première était noire d’ébène, d’où son surnom de « Nnajya la noire » par opposition à l’autre de teint très clair, d’où son surnom de «Nnajya la blanche ».
De l’intérieur de l’établissement, une grande masse d’élèves se précipita dans la direction de la porte. Les membres de la direction prirent la fuite. Quelques-uns d’entre eux se mirent à courir. Ils s’éclipsèrent le reste de la journée. Ce jour-là l’espace du Lycée National méritait bien son surnom de « zone libérée ». Nous restâmes maîtres de la situation jusqu’au crépuscule. Les gens discutaient, chantaient, dansaient. Des meetings furent organisés, des discours dits. Des poèmes lus, parfois improvisés sur place. Le jeune Sedoum Ould Sidati Ould Abba chanta pour la première fois le poème du poète Ahmedou Ould Abdelkader « vi eljemahri tekmounou elmouejizatou…les miracles résident dans les masses populaires… ». Il fit pleurer l’élève soninké Khalidou Djimmé, le frère de mon ami Khalidou Moussa de la SNIM Zouératt. Djimmé explique qu’il ne comprenait rien au contenu de ce poème, seulement il savait que « c’était vraiment joli ! ». Pratiquement les mêmes appréciations que le général de Gaulle après avoir assisté à une soirée animée par la chanteuse Oumou Koulthoum dans les jardins de l’Elysée.
L’apologie du rouge : Un recueil de poèmes révolutionnaires publié pour l’occasion fut largement diffusé. Il a précédé un autre recueil célèbre publié en 1974 intitulé « Soutouroune hamra (lignes rouges) ». Comme partout dans le monde de l’époque, la couleur rouge prend désormais toute sa place de couleur symbole de la gauche radicale et de la révolution. « Laheglamratefhemlahwaloudjihamraghowlènewaevaal” : il est temps que la femme prenne conscience et devienne toute rouge, en parole et en actes », dit-on dans l’une de nos chansons. À la manière de la Chine, une révolution culturelle se déroule aussi chez nous. Elle n’épargne aucun domaine du savoir.
Le soir, on clôtura le festival. Au même moment, les autorités décidèrent de fermer le Lycée National pour une durée indéterminée. La porte d’entrée fut coiffée d’une bande d’acier dentée afin d’empêcher toute tentative de l’escalader. Elle y demeure jusqu’à présent.
Le surveillant renifleur : Les élèves rentrèrent chez eux. Une semaine après, on ouvrit de nouveau le Lycée. Une liste fut affichée devant les bureaux de l’administration. Elle comportait plus d’une centaine de renvoyés dont une trentaine de renvoyés définitifs. Aucun élève susceptible d’être meneur ne fut épargné. J’y figurais bien entendu. Pourtant certains vinrent me féliciter pour n’avoir pas vu mon nom dans la liste. En fait ils cherchaient le nom Cheddad, alors que mon vrai nom qui figure sur la liste des renvoyés définitifs est Ahmed Salem Ould Elmoctar. Ils ne savaient pas que la liste des renvoyés fut établie par un célèbre surveillant, un instituteur arabe spécialisé dans la poursuite et la détection des élèves meneurs. Mon ami Abderrahmane Ould Boubou, fidèle à son humour légendaire, le rencontra une fois. Il lui demanda où il avait été ces derniers temps. Il lui expliqua qu’il était en formation au Maroc où il étudiait « Elaathar », littéralement les « traces : les vestiges historiques». Ould Boubou, afficha un air d’étonnement avant de lui demander à voix basse et prudente : « Quel genre de traces ? Des traces d’animaux ou de personnes ?! », s’interrogea le fils fidèle de Gweybina (Gweybina : le petit mont pierreux au milieu de la ville d’Aleg).
Citons parmi les renvoyés définitifs : en plus des membres du bureau exécutif du CPASS, les 11 membres du Comité Directeur dont son président Sidi Ould Ahmed Deya.
Allant au-devant des événements, le CPASS a tenu une conférence ayant force de congrès, durant la semaine de vacances quelque part dans une maison de l’ilot A, louée pour la circonstance. Au cours de cette réunion, l’organisation décida de se dissoudre et de se faire remplacer par une nouvelle organisation sous le nom de l’Association des Elèves et Stagiaires de Mauritanie (ADESM). Aucun de ses anciens membres n’y figurait.
(A suivre)