J’étais au P.K 55, au nord de Nouadhibou

 J'étais au P.K 55, au nord de Nouadhibou

Ely O krombelé – 1/Du stage au conflit Sénégal-Mauritanie

A peine revenu de stage de l’Ecole d’Artillerie de Draguignan, dans le sud de la France, me voilà muté à la Direction de l’Artillerie encore embryonnaire; quelques petits bureaux à l’Etat-Major National, avec comme chefs les lieutenants Ely Ould Kleib, son adjoint Ahmed Ould Mouhamedou, actuellement colonel, attaché de défense au Maroc.

L’Artillerie qui est une « arme savante » en France, sans doute grâce à l’apport du jeune lieutenant artilleur Napoléon Bonaparte, futur créateur de l’Ecole de Saint-Cyr, un génie militaire, demeure le parent pauvre de l’Armée mauritanienne de nos jours.Toujours est-il qu’il faut former au centre d’Akjoujt des canonniers sur les calibres de 100 mm MT12 livrés par l’Algérie.

Le centre était commandé alors par le capitaine Mohamed Ould Maazouz secondé par Mohamed Cheikh dit Bourour, actuel général chef d’Etat-Major de l’Armée de terre. J’avais deux jeunes lieutenants formateurs feu Mahfoud Ould Navéa et Mohamed Abdeljelil; les recrues étaient toutes des hassanophones. Car à la fin de l’année 1987, la tension était à son comble entre les négro-mauritaniens accusés de vouloir fomenter un coup d’Etat et le pouvoir deMaawiya Ould Taya. En ces moments, le recrutement était discriminatoire à l’égard d’abord des « gens du fleuve » et ensuite, des ressortissants de l’Est jugés« ambitieux, hargneux » donc incontrôlables. La création du BASEP en 1989-1990 en est l’illustre démonstration quant au recrutement.

Il fallait être originaire de Toungad, Ain Ehel Taya ou Terwen pour prétendre appartenir à l’unité de protection présidentielle. C’est aussi en 1987 qu’on a passé par les armes les officiers Sarr Amadou, Sy Seydou et Ba Saidy. J’ai connu Sarr Amadou à Kaédi en novembre 1980, j’ai été quelques mois son adjoint au 413ème escadron de combat avant qu’il ne parte en stage en Algériese spécialiser dans le matériel. Il avait toujours cru que j’étais un des « leurs »sans doute à cause de mon ouverture d’esprit.

Le jour où je lui ai dit que mon père était venu me rendre visite, feu Sarr Amadous’est précipité pour le saluer. Comme mon feu père ne parlant un mot peul ni bambara, ni Soninké encore moins Wolof, j’ai cru lire une pincée de déception sur le visage de mon chef. Après tout le patronyme « krombelé » pourrait être la corruption des noms très courants dans l’ouest-africain tel « koulibaly » ou enMauritanie tel « kourbaly ». Je reviendrai sur cet épisode dans mes prochaines livraisons inchallah.

En 1988 à Akjoujt, Ould Maazouz faisait la pluie et le beau temps. Officier rustique, à la vision linéaire cependant limitée, peu prompt au compromis plutôt penchant pour la compromission à tort ou à raison , l’actuel colonel attaché de défense à Dakar vous cherchera la petite bête jusqu’à obtenir « auto-satisfaction ».Maawiya ou plutôt ses laudateurs avaient mis en avant des officiers proches de l’ancien président, à l’incompétence notoire. On peut citer justement Ould Maazouz et le commandant Abdou Ould Limam parmi la demi-douzaine repertoriée. Maazouz était le contraire de son adjoint, le capitaine Bourour un officier ouvert et que j’ai vu soutenir les victimes ou « colmater » les agissements scrupuleux de son chef, lors de mon séjour au « sultanat » d’Akjoujt

C’est avec du recul que j’ai compris pourquoi Maazouz a tenu à me sanctionner coûte que coûte. Un jour de janvier 1989, je roulais sur l’artère principale d’Akjoujtlorsque mon sovamag heurta une « 504 » SR appartenant au feu commandantMohamed Ould Bouhedé de la garde nationale, ancien directeur de la Sonelec, alors en résidence surveillée dans sa propre maison. Ould Bouhedé dit qu’il n’ y aura pas de constat si ce n’est pas l’Armée qui devrait réparer. Depuis cet instant, je rendais visite tous les jours à l’officier « baathiste » (vrai ou faux), ce qui ne plaisait sans doute pas à Maazouz, le cousin du président de l’époque? Je ne savais pas que j’étais moi-même surveillé car ma fréquentation d’un officier supérieur en disgrâce de Maawiya suscitait des interrogations.

A la recherche d’un alibi pour me sanctionner, Maazouz se pointa tôt un matin devant le centre. Me voyant arrivé, il m’interpella et me demanda pourquoi je n’ai pas fait le sport matinal avec mes canonniers? Je devrais lui poser la même question, mais en Afrique il est rare qu’un chef puisse donner le bon exemple à suivre. « Fais-moi un compte rendu » me dit-il, ce qui est un prélude à la punition. On était au début de l’année 1989 et le stage était fini. Je suis parti à la direction de l’Artillerie à Nouakchott désormais commandée par le cdt Hadi Ould Sedighpour l’informer que notre stage est terminé et que Ould Maazouz nous retient rien que pour gonfler ses effectifs afin de mieux profiter de la prime de l’alimentation des soldats.

Moi je resterai à Nouakchott et je n’irai plus rejoindre un centre commandé par un homme qui ne mérite pas son grade car il est injuste doublé d’une autorité cassante, incompatible avec la bonne marche du service. Alors où est l’autorité de Mazouz depuis que Maawiya n’est plus président? Une autorité de fait ou de droit doit s’exercer quelles que soient les circonstances favorables ou défavorables chez le militaire, surtout l’officier.

Au mois d’avril 1989 éclatent les événements entre le Sénégal et la Mauritanie et il fallait acheminer des troupes à la frontière. C’est ainsi que le colonel Mohamed Ould Lekhal alors chef d’Etat-Major Adjoint me convoqua et ordonna à la direction du matériel d’acheminer les canons à la 6ème région en même temps que le 1er BCP venant d’Atar. Le cdt de la 6ème région militaire, le colonel feu Sidi Mohamed Ould Sabar, ancien commando, était un homme sobre, familier avec ses hommes, jovial, tout l’opposé d’Ould Maazouz.

Au mois de mai 1989 je suis affecté avec ma batterie de tir à Rosso pour appuyer le bataillon commandé par le capitaine Mohamed Znagui Ould Sid’Ahmed Ely, actuellement général à la retraite. Sincèrement, le colonel Sabar en « commando »ne savait que faire de ma batterie, et c’est moi qui lui ai suggéré l’objectif de l’usine de sucre de Richard Toll, face au village de Bagdad, côté mauritanien. A la veille du discours du président sénégalais Abdou Diouf sur le conflit Sénégal-Mauritanie, le colonel Ould Lekhal est venu nous rejoindre à Rosso, à Nkik, près de l’élevage pour nous galvaniser, afin que nous nous tenions prêts à passer à l’offensive au cas où le président sénégalais tiendrait des propos belliqueux.

« Nous n’accepterons pas que les sénégalais nous snobent, il faut leur montrer ce qu’est la guerre, quand ils la voudront »Ould Lekhal est un guerrier pragmatique, détestant la lourdeur administrative et ses contraintes, les discours diplomatiques. Il va droit au but.

Un exemple parmi des centaines: le jour où je devrais récupérer les canons àAkjoujt, Ould Lekhal a demandé si j’ai un chauffeur, je lui dis que non; « est-ce que tu peux conduire? » oui comme un militaire, lui répondis-je; alors prends le volant en attendant de te muter un conducteur. Avec lui tout va vite; le secteur autonome du Guidimakha monté en quelques jours, futur 4ème région militaire, c’est lui. Susciter le respect, chasser la peur, cultiver le sens du devoir patriotique sur le terrain lors de la marche à l’ennemi, c’est encore lui.

A la veille du discours d’Abdou Diouf toutes les unités de combat mauritaniennes de Ndiago dans le Trarza, à Gouraye dans le Guidimakha étaient en ordre de bataille prêtes à passer à l’offensive. Je me souviens cet après-midi avoir eu beaucoup de difficulté, après avoir traversé le pont de Tounguen à l’Est deRosso,de pouvoir me positionner. Mes VLRA tiraient des canons de 100 mm de trois tonnes chacun et le terrain était boueux, mais il me fallait choisir une position de tir à moins de trois km de mon objectif principal qu’est l’usine de sucre de Richard Toll.

Ce qui fit dire au feu colonel Sabar en visite d’inspection: « mon lieutenant j’apprécie ta témérité car tu es devant l’infanterie dont le rôle est pourtant de te protéger quand tu es en action ». « Allez le dire au capitaine mon colonel car il faut que la batterie soit à un endroit où elle pourrait remplir sa mission » lui rétorquais-je. Abdou Diouf devrait prononcer son discours à 20 heures, selon les observateurs , ce discours devrait également être musclé. Non seulement le discours a pris du retard mais aussi il a été modéré, apaisé. Sans doute cela était dû à la dissuasion des armes car Diouf a lancé lui même une confidence à ses généraux « je sais que militairement je ne peux pas gagner contre laMauritanie« .

Donc sa réunion tenue à Dakar en Mars 1989 avec « tous les ressortissants du Fouta » pour sans doute adopter une stratégie face à la Mauritanie « beidane »n’aura servi à rien. Son successeur Abdoulaye Wade n’est pas entré dans ce jeu voulant faire de la Mauritanie l’éternelle l’arrière-cour du Sénégal. Diouf est manipulable et faible. Souvenez-vous de ses larmes de crocodile devant les blessés venus de Nouakchott, attitude à l’origine du massacre et de la spoliation de beaucoup de nos compatriotes résidents au Sénégal. En tout cas depuis queDiouf a quitté le pouvoir les relations Sénégalo-mauritaniennes se sont normalisées.

Nous sommes restés face à Richard Toll de juin-juillet 1989 à juin 1990 avant de regagner notre ancienne position à Nkik, près de l’ancien élevage de Rosso. A la place d’Ould Sabar souffrant d’une maladie qui devrait l’emporter, est arrivé le fameux colonel Alioune Ould Hweichy, comme adjoint car il n’y avait pas de chef titulaire encore pour la 6ème région militaire.

2/ En route pour le PK 55

Le colonel Alioune Ould Mohamed Ould Hweichy venait, parait-il de changer de statut social: de tributaire terrouzi, le voilà catapulté guerrier intrépide Oulad Ahmed de Chegar. Cependant le guerrier « anobli » ne portait pas les gens de l’Est-mauritanien dans son cœur surtout des individus comme moi qui ne se laissent pas tondre. Mon premier contact avec lui était froid, très froid d’ailleurs.

Certes l’homme était meurtri car de commandant de la 5ème région militaire deNéma, il est muté adjoint à la 6ème avec comme consignes de ne pas bouger du pc tactique. Depuis son arrivée, je ne pouvais régler aucune situation administrative ni pour mes sous-officiers ni pour mes canonniers. On sentait la provocation pour ne pas dire le mépris. Un jour du mois d’août 1990, je viens lui dire que je ne peux plus travailler avec un malhonnête comme lui et que je rentre à la base arrière de la 6ème région.

Alioune n’attendait que ça pour enfoncer le clou, en prenant contact avec l’Etat-Major et en se vengeant sur moi, ne pouvant rien contre Maawiya qui lui a infligé une punition sans doute proportionnelle à la faute commise par un commandant de région de moralité douteuse. Je suis convoqué au 1er bureau par le cdt Abderrahmane Ould Boubakar futur chef d’Etat-Major National, sans savoir de quoi il s’agit, il commence à défendre son « nouveau cousin ».
Encore Ould Boubakar: c’est cet officier qui, en1989 m’a refusé une bourse d’artillerie aux USA alors que j’étais le seul à remplir toutes les conditions requises, en la donnant à son parent, moins ancien que moi, arabisant de surcroît et ne parlant pas un mot d’anglais. Un cas flagrant d’injustice qui avait fait beaucoup de remue-ménage au sein de l’Etat-Major National en général et du 3ème bureau en particulier.

C’est pendant que j’étais dans la chambre d’arrêts qu’on est venu me chercher afin de me préparer pour la 1ère région militaire, ma batterie et moi sommes mutés au PK 55 au nord de Nouadhibou face à l’artillerie marocaine. Il paraît que le colonel Sid’Ahmed Ould Boilil avait besoin de moyens « anti-chars pour contrer les incursions marocaines ».

3/Le PK 55 ou la demeure de Satan:

A suivre inchallah
Capitaine Ely Ould Krombelé
Source : Ely Ould Krombele