Résumé
En réaction à notre Mise au Point du 1er octobre relatif au dossier de Corruption ouvert contre l’ancien Chef d’Etat, Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz, « Me Rajjou et Me Brigant », sans aucune adresse que « Brest-Paris-Marseille », ont publié une « lettre ouverte » insolite, adressée à son excellence, monsieur le Président de la République.
Directement interpellé et spécialement ciblé dans cette lettre, notre Collectif voudrait ici éclairer l’opinion publique nationale et internationale et rétablir la vérité sur les questions liées à la situation juridique de l’ancien Chef de l’Etat, en faveur duquel ces avocats réclament une totale impunité pour les graves crimes économiques, qu’il est suspecté d’avoir commis durant son double mandat de Président de la République.
1. Sur certains aspects formels attachés à la lettre
Outre une rédaction déplorable, cette « Lettre ouverte » confirme, en tous points la volonté délibérée de ses auteurs de s’affranchir des règles élémentaires, légales et déontologiques, qui gouvernent l’exercice du ministère d’avocat par des étrangers en Mauritanie : refus d’élire domicile auprès du Cabinet d’un confrère mauritanien, absence délibérée de visite du Procureur de la République et du Bâtonnier de l’Ordre des Avocats etc.
Persistant dans leur ligne de conduite condescendante et méprisante, ils s’en prennent ouvertement à toutes les autorités et institutions publiques (Président de la République, Parlement, Ministre de l’Intérieur, Procureur de la République…) ainsi qu’à tous les confrères qui ne partagent pas leurs opinions subjectives.
Se considérant en pays conquis, MM. Rajjou et Brigant, n’hésitent pas à donner des leçons à tous et à chacun, interpellant les uns et les autres et sommant tout le monde d’agir suivant leurs propres vues et interprétations déformées des faits et du droit applicable, aussi bien en Mauritanie qu’en France, qu’ils citent avec surabondance.
Sans oublier les accusations « d’antisémitisme » et de « néocolonialisme » qu’ils tentent d’imputer aux adversaires de leur client, sans la moindre preuve, dans une tentative désespérée de mobiliser certains milieux internationaux, créer la confusion et se présenter en victimes expiatoires.
C’est donc, dans sa forme, d’une « lettre ouverte » politicienne qu’il s’agit ici et qui nous donne également une idée de la légèreté avec laquelle y sont traitées les questions juridiques liées au statut de l’ancien Chef de l’Etat face aux graves soupçons de corruption qui pèsent sur lui, questions qui nous retiendrons plus longuement.
2. Sur les principales questions juridiques soulevées par la lettre
2-1 A propos de l’immunité alléguée de l’ancien Chef d’Etat sur la base de l’article 93 de la constitution (ancien article 68 de la constitution française) Les avocats français de l’ancien Président soutiennent qu’au terme de l’article 93 de la constitution, leur client bénéficierait d’une immunité absolue qui « interdirait toute mesure pénale de quelque ordre qu’elle soit à son encontre en dehors de la procédure de mise en accusation pour Haute Trahison.. ».
Ce faisant, ils confondent l’inviolabilité, qui est inhérente à la qualité de Président de la République et dont ne bénéficie qu’un Chef d’Etat en exercice, pendant la durée de son mandat et l’immunité fonctionnelle qui, certes, survit à la cessation des fonctions, mais ne couvre que les actes qui ont été accomplis dans l’exercice de la fonction présidentielle, sous réserve du cas de Haute Trahison.
Alors que l’inviolabilité interdit de manière absolue toute mesure de contrainte judiciaire à l’encontre d’un Président en cours de mandat, quel que soit l’acte accompli, l’immunité fonctionnelle de l’article 93 ne protège un ancien Chef d’Etat que pour les actes qu’il a accomplis dans le cadre de la fonction présidentielle.
Strictement cantonnée à ces actes, elle n’empêche pas les Autorités de Poursuite qui retiennent, à la charge d’un ancien Chef d’Etat, des infractions détachables de la fonction présidentielle, de prendre à son encontre toute mesure de contrainte autorisée par la loi.
Le problème est, dès lors, de faire la part entre les actes qui ont été accomplis dans le cadre de la fonction présidentielle, qui sont couverts par l’immunité fonctionnelle et les actes détachables, pour lesquels l’ancien Président peut être poursuivi, comme n’importe quel citoyen.
Or, cet exercice passe, souvent, comme le montre la jurisprudence dans divers pays, dont la France, par un examen du fond du litige par le juge saisi. C’est lui qui, au cas par cas, peut dire en cas de doute, au terme de la qualification des faits qu’il aura opérée, si les actes, objet de poursuites pénales sont des actes de fonction, c’est à dire, « des actes ayant un rapport direct avec la conduite des affaires de l’Etat » ou seulement » des actes accomplis à l’occasion de l’exercice de la fonction présidentielle » mais qui ont plus à voir avec les affaires privées.
Ainsi, lorsqu’un Chef d’Etat se fait réaliser par une société d’Etat une adduction d’eau et une piscine dans son ranch privé, qu’il mène directement ou par personnes interposées des activités commerciales parallèles à celle de Président de la République et qu’il commet des délits dans ce cadre, ou encore, lorsqu’il ouvre des comptes bancaires à l’étranger qu’il ne déclare pas en violation de la réglementation des changes ou qu’il utilise une fondation privée comme moyen de blanchiment, pour nous limiter à ces exemples, l’immunité fonctionnelle de l’article 93 n’a pas vocation à jouer pour la bonne raison que ces actes n’ont pas de rapport direct avec la conduite des affaires de l’Etat.
2-2- Sur la compétence des juridictions ordinaires pour connaitre des actes détachables des fonctions présidentielles de l’ancien Chef de l’Etat
Les avocats français de monsieur Mohamed ould Abdel Aziz soutiennent que pour un ancien Chef d’Etat, les poursuites pénales, même pour les actes détachables, n’étaient pas possibles en France sur le fondement de l’article 68 de la constitution (article 93 de notre Constitution) avant la révision constitutionnelle de 2007 et qu’une telle révision n’ayant pas eu lieu en Mauritanie, ces poursuites ne seraient pas possibles dans notre pays.
Ces affirmations qui feront de leurs auteurs la risée des constitutionnalistes et des pénalistes français qui s’intéressent au Statut Pénal du Président de la République sont tout simplement incroyables car s’il y a une question sur laquelle il y’a toujours eu unanimité en France, depuis la promulgation de la constitution de 1958, c’est bien celle de la compétence des tribunaux ordinaires pour connaitre des actes détachables d’un ancien Chef d’Etat. La seule question qui a fait débat en France, c’est celle de la mise en jeu de la responsabilité pénale d’un Président de la République en cours de mandat pour ses actes détachables devant les mêmes tribunaux, question tranchée dans des termes différents par le Conseil Constitutionnel et par la Cour de Cassation mais avec une conclusion commune de ces deux juridictions pour le point qui nous occupe: dés la cessation de ses fonctions, un Président peut faire l’objet de poursuites pénales devant les tribunaux de droit commun.
Quant à la révision constitutionnelle de 2007, elle n’avait pas pour objet de résoudre un problème qu’aucun juriste sérieux n’a jamais soulevé. Elle vise à clarifier le statut pénal d’un Président en exercice et le délai de décence républicaine d’un mois qu’elle prévoit désormais pour exercer ou reprendre les poursuites contre un ancien Président constitue un recul par rapport à l’ancien article 68 (article 93 de notre constitution) tel qu’interprété respectivement par le Conseil Constitutionnel et la Cour de Cassation, qui , tous deux, considéraient sur la base de ce texte que les poursuites pénales peuvent reprendre, sans délai, dés l’expiration du mandat présidentiel.
2-3- Sur la prétendue illégalité de la Commission d’Enquête Parlementaire
Les avocats français de monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz soutiennent que la Commission Parlementaire qui a enquêté sur quelques uns des dossiers révélateurs du pillage des ressources du pays, au cours du double mandat de leur client, serait illégale du fait « de l’absence d’encadrement constitutionnel et ce fait rendrait d’autant plus illégale l’ensemble de la procédure » (dixit).
L’argument utilisé est, lui aussi, consternant de légèreté car si tout ce qui ne figure pas dans le corps du texte constitutionnel était nécessairement illégal, la quasi-totalité des activités de l’Etat basculerait dans l’illégalité.
Plus sérieusement, Les commissions d’Enquête Parlementaires sont régies par le Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale que la constitution exhausse au niveau des lois organiques et qui est obligatoirement soumis avant sa mise en application au conseil Constitutionnel qui en vérifie la conformité avec la Constitution.
Dans la mesure où cette prescription a été satisfaite et que les décisions du Conseil Constitutionnel ont l’autorité de la Chose jugée, qu’elles sont insusceptibles de recours et qu’elles s’imposent à toutes les autorités judiciaires et administratives, le débat sur l’inconstitutionnalité de la commission d’Enquête Parlementaire n’a aucun sens.
Il a d’autant moins de sens que le dossier, étant désormais du ressort de la justice, celle-ci n’est pas liée, en vertu de la séparation des pouvoirs, par les Conclusions de la Commission. La mise en mouvement éventuelle de l’action publie s’appuie principalement sur les procèsverbaux de l’Enquête Préliminaire de Police Judiciaire.
Réponse à la lettre de Me Rajjou et Me Brigant, datée du 03 octobre
En réaction à notre Mise au Point du 1er octobre relative au dossier de Corruption ouvert contre l’ancien Président, Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz, deux individus se présentant comme avocats français, signant « Me Rajjou et Me Brigant » et sans aucune adresse que « Brest-Paris-Marseille » ont commis une « lettre ouverte» adressée à son excellence, monsieur le Président de la République.
Après leur randonnée cavalière, du mois d’Aout, à Nouakchott où ils étaient venus s’essayer au forcing, à l’intimidation et aux menaces contre les plus hautes autorités de l’Etat au nom de leur « client », Me Rajjou et Me Brigant reviennent donc à la charge avec la même légèreté, la même irresponsabilité et le même style brouillon et arrogant.
Ayant été directement interpellé et spécifiquement ciblé par les auteurs de cette lettre et pour éclairer l’opinion sur la réalité des faits qu’ils évoquent à demi-mots tout en les déformant systématiquement ainsi que sur l’état du droit applicable en Mauritanie et même en France -qu’ils ignorent manifestement ou feignent grossièrement de ne pas savoir- notre Collectif voudrait, d’abord, revenir sur les aspects formels attachés à leur lettre avant d’aborder les principales questions juridiques qui y sont soulevées, qui nous retiendront plus longuement.
I. Sur les aspects formels attachés à la lettre
Nous ne reviendrons pas ici sur la rédaction d’une « lettre ouverte » en français, adressée à la plus Haute Autorité d’un pays étranger, par des avocats françaissupposément grassement payés pour représenter dans les meilleures formes possibles, un client, de son propre aveu, particulièrement fortuné.
Une simple relecture par eux-mêmes ou par d’autres aurait largement suffi à épargner au lecteur cette pénible tâche de correction formelle de base. Y compris pour les numéros des lois citées (exemple : loi 2016-014 relative à la lutte contre la Corruption au lieu de la loi 2016-074 relative à …autre chose !).
Nous ne reviendrons pas non plus sur le fait que ces deux avocats internationaux ne se donnent même pas la peine de signer leur « Lettre ouverte » avec leurs noms et prénoms ni de donner l’adresse exacte où il pourrait leur être répondu…Ce serait trop leur demander que de respecter les règles de bienséance en matière de simple correspondance épistolaire même ouverte !
Force est de constater également que ces deux avocats, qui préfèrent s’identifier comme un « Collectif » français de « Brest-Paris-Marseille », soigneusement distinct du Collectif des confrères mauritaniens qui défendent avec eux le même client, ne comprennent toujours pas qu’en Mauritanie, Etat souverain depuis 1960, ils sont soumis à la législation et à la réglementation du pays. Peut-être s’imaginent –ils que la Mauritanie est une simple sous–préfecture française ; ce qui les dispenserait d’élire
domicile auprès du cabinet de l’un de leurs confrères mauritanien comme le prévoit la loi… et de rendre une visite de courtoisie au Bâtonnier de l’Ordre des Avocats et au Procureur de la République conformément aux usages.
Sur le même registre du savoir-vivre, Messieurs les prétendus conseils juridiques français de l’ancien Président persistent dans cette lettre à maintenir le même ton méprisant et condescendant à l’égard des Institutions de la République et à l’égard de tous ceux qui osent réclamer justice à leur illustre client dont la fortune colossale, sans doute tombée du ciel pour eux, en allèche plus d’un et les pousse à perdre toute retenue, tout sens de la mesure, toute dignité dans l’exercice de leur ministère d’avocat.
Ainsi, le ton est comminatoire vis-à-vis du Président de la République, sommé de se soumettre à leurs lubies juridiques et à leur volonté de ne pas perdre du temps pour aller devant un prétoire, pressés de blanchir leur client et plier bagage sans coup férir… Pour cela, il est demandé au Président de la République, ni plus ni moins, de donner « la possibilité de débattre avec l’ensemble des avocats français et mauritaniens de l’ancien Président de toutes ces questions dans le cadre d’un grand débat public en présence de l’ensemble des médias mauritaniens (télévisions privées, télévisions nationales, blogueurs…) et d’en finir ainsi.
Croyant sans doute avoir affaire à une République bananière, ces « avocats » sortis d’on ne sait où, pensent résoudre les Affaires de corruption dont les montants se chiffrent probablement en plusieurs centaines de milliards d’ouguiyas, en un duel médiatique du 19ème siècle, comme dans un western-spaghetti judiciaire, ou bien même, peut- être, par pile ou face, devant « l’ensemble des médias mauritaniens ( télévisions privées, télévisions nationales, blogueurs…) ».
Et pourtant, « A titre liminaire », ces messieurs nous avaient certifié être « parfaitement informés de l’indépendance de la justice et de la séparation des pouvoirs prévue par la constitution de la République Islamique de Mauritanie, au terme de l’article 24 de cette Constitution ».
Ils ont dû croire sur cette base, qu’en tant que « premier magistrat de (son) pays et le garant de ce texte ainsi que des libertés fondamentales du peuple Mauritanien », le Président de la République est aussi un organisateur en chef des Grands Débats Publics, le Grand Maître des Joutes médiatiques. Mais, ce n’est pas le cas dans le texte fondamental mauritanien. Ici, les débats entre avocats sont tranchés devant les tribunaux et non hors des prétoires.
Se trompant de pays ou n’ayant jamais lu la constitution mauritanienne ni d’ailleurs celle de leur propre pays, la France, ces donneurs de leçons invétérés ne se gênent pas d’interpeller le Président de la République en ces termes étoilés : « Vous avez la possibilité d’intervenir en qualité de garant de la Constitution, en concertation avec Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel auquel nous adressons une copie de ce courrier (sic), afin que les infractions commises sous le couvert de la Justice mauritanienne cessent immédiatement. ». Peu importe l’inexistence de tout fondement
juridique à cette « concertation » entre le Président de la République et le Président du Conseil Constitutionnel : ces messieurs l’ont imaginée et donc elle existe, tout comme doit exister leur fameux débat télévisé entre avocats…
On retrouve cette même légèreté, cette absence de considération à l’égard des autorités publiques du pays comme le Ministre de l’Intérieur, accusé mensongèrement d’avoir interdit un parti politique, le PUDS, le Procureur de la République en charge du dossier, accusé d’initier « des comportements incompréhensibles et illégaux », et d’être sans doute le responsable principal « des enquêtes diligentées et qui ont consistées (la faute de conjugaison française est de MM Rajjou et Brigant !) notamment à cibler de manière unilatérale la personne de l’ex-Président »…
C’est finalement le pays lui-même qui est incompréhensible pour ces deux illustres prétendus confrères car, disent-ils avec consternation, « nous ne pouvons que nous étonner qu’une République dotée d’une Constitution et d’institutions juridiques sensément indépendantes et représentantes (sic) de l’ordre juridique ressente la nécessité impérieuse de recourir à l’intermédiaire ( ?) d’une soixantaine de conseils pour la représenter ».
C’est un mystère qui échappe à l’entendement rationnel d’avocats formés sans doute à la bonne école de voir un Etat engager des avocats en grand nombre pour des dossiers aussi nombreux, complexes et aux enjeux aussi colossaux que ceux pour lesquels leur client est interpellé
Quant aux avocats mauritaniens « représentant la partie civile », ils ne sont évidemment pas en reste dans le courroux de MM Rajjou et Brigant qui relèvent que « la plupart des conseils choisis semblent avoir fait par le passé fait (encore une faute…d’inattention sans doute !) la démonstration de leur partialité à l’égard de notre client… », comme si l’engagement et la loyauté étaient des vices rédhibitoires chez un avocat et la soumission aveugle, une qualité suprême.
Tous les avocats du Collectif qui, dans le passé, n’ont pas fait la démonstration contraire de soumission à monsieur Mohamed ould Abdel Aziz ne peuvent être que mus par la volonté « de protéger les exactions » dont celui-ci est supposément victime.
A leur égard, les avocats français n’ont que mépris et condescendance car « il est particulièrement consternant de faire constater que ces soixante avocats pourtant a priori munis des outils juridiques de réflexion optimum compte tenu de leur nombre, ne peuvent pas interpréter de manière stricte et intelligente la Constitution de la Mauritanie…pourtant particulièrement claire ».
Pour finir, on ne peut que relever l’apothéose dans l’art de l’amalgame et de l’intoxication dans laquelle tombe cette lettre ouverte, avec les graves accusations « d’antisémitisme » et de « néocolonialisme » qu’elle tente d’imputer aux adversaires de leur client, sans la moindre preuve, dans une tentative désespérée de mobiliser certains milieux internationaux, créer la confusion et se présenter en victimes expiatoires.
C’est donc, dans sa forme, d’une « lettre ouverte » politicienne qu’il s’agit ici et qui, dès l’entame, nous donne une idée sur la manière dont y sont traitées les questions juridiques proprement dites.
II. Sur les principales questions juridiques relevées par la lettre
Les avocats français de M. Ould Abdel Aziz invoquent à tout bout de champ, l’autorité du droit français aussi bien dans ses textes que dans sa jurisprudence, pour en imposer et pour abuser l’opinion peu au fait des subtilités du droit, spécialement du droit constitutionnel.
Mais, outre le fait qu’un texte écrit dans les mêmes termes puisse faire l’objet d’interprétations différentes dans deux pays distincts, que la France n’est pas la Mauritanie et vice et versa, il faut souligner que rien n’est plus fumeuse que l’interprétation faite par MM Rajjou et Brigant à propos des règles qui gouvernent l’immunité du Chef de l’Etat ayant agi « dans l’exercice de ses fonctions présidentielles » aussi bien en droit français, dans le cadre de l’ancien article 68 qu’en droit mauritanien actuel, sur la base de l’article 93 de la constitution (II-1) et de celles qui définissent, au contraire, la compétence des juridictions ordinaires pour les actes détachables des dites fonctions (II-2). Pour finir, nous nous prononcerons sur la subite et singulière contestation de la constitutionnalité de la création par le Parlement, de la Commission d’enquête parlementaire, par la défense de l’ex Président, toutes nationalités confondues (II-3).
II-1. A propos de l’immunité alléguée de l’ancien Chef de l’Etat sur la base de l’article 93 de la Constitution (ancien article 68 de la constitution française).
Les avocats français de l’ancien Président soutiennent qu’au terme de l’article 93 de la Constitution, leur client bénéficierait d’une immunité absolue « qui interdirait toute mesure pénale, de quelque ordre qu’elle soit à son encontre en dehors de la procédure de mise en accusation pour Haute Trahison… ». Ce faisant, ils confondent immunité personnelle et immunité fonctionnelle.
En droit,, on distingue entre les deux sortes d’immunités car elles n’ont pas la même portée juridique. Les immunités dites personnelles- quoique l’expression puisse prêter à confusion puisqu’il s’agit de protéger un organe de l’Etat et non une personne en particulier- sont accordées en raison de la qualité officielle de leurs bénéficiaires : les Chefs d’Etat en exercice, les parlementaires, les diplomates dans les pays d’accréditation, les Chefs de gouvernement et les ministres des affaires étrangères quand ils voyagent à l’étranger.
Inhérentes à la qualité officielle d’une personne, on peut aisément déterminer leur commencement et leur fin. Ces immunités se traduisent en en outre, par une inviolabilité absolue pour les Chefs d’Etat en exercice, puisqu’elle les protège pendant toute la durée de leur mandat, quelle que soit la nature de l’acte accompli, en interdisant toute mesure de contrainte à leur égard.
Mais elles prennent fin avec la cessation du mandat présidentiel car » elles n’ont pas ce caractère viager propre à la monarchie » comme le rappelle un auteur français (O Beaud, La controverse doctrinale autour de la Responsabilité Politique du Président de la République, RFDA, 2001, p.1187).
Dès que son mandat expire, un Président perd le bénéfice de l’inviolabilité et redevient un citoyen, comme les autres, soumis à la loi dans les mêmes conditions qu’eux. Aussi, la qualité d’ancien Chef d’Etat n’emporte par elle-même, aucune inviolabilité ni aucun privilège.
Les immunités fonctionnelles sont accordées en fonction de la nature des actes concernés.
Plus précisément, elles couvrent les actes accomplis dans l’exercice d’une fonction. Elles impliquent en particulier pour un Président de la République une irresponsabilité pour ces actes là mais uniquement pour ceux-là, sous réserve du cas de Haute Trahison.
Et c’est parce qu’elles couvrent des actes qui ont pu être accomplis durant et dans le cadre de l’exercice d’une fonction qu’elles survivent à la cessation de celle-ci et peuvent être éventuellement invoquées par un ancien Chef d’Etat. Mais alors que l’inviolabilité inhérente à la qualité officielle de Chef d’Etat est automatique et absolue, l’immunité fonctionnelle est conditionnelle et relative et peut dépendre d’une appréciation a posteriori du juge saisi.
Cantonnée aux seuls actes accomplis dans l’exercice d’une fonction, son bénéfice est tributaire de la qualification juridique des actes litigieux.
Il faut, dans certaines circonstances , procéder au cas par cas pour pouvoir déterminer si les actes, objet de poursuites pénales, peuvent être considérés comme des actes de fonction couverts par l’immunité ou des actes détachables non couverts par celle-ci.
L’article 93, comme son ancien modèle français (l’article 68), n’est pas ici, en soi et directement, d’un grand secours car il ne définit pas ce qu’on entend par « actes accomplis dans l’exercice de la fonction présidentielle » et toute la question est donc de faire la part entre ce qui relève de tels actes et rentre dans le domaine de l’immunité fonctionnelle et ce qui ne peut être couvert par celle-ci.
Pour rester dans l’univers de la culture juridique de MM Rajjou et Brigant, et à titre d’illustration de cette opération de qualification préalable à laquelle peut être conduit un juge saisi, on peut citer l’affaire de l’ancien ministre français Michel Noir, dans laquelle la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a rendu, en 1997, un arrêt rejetant le pourvoi formé par celui-ci, lequel, condamné pour recel d’abus de biens sociaux pour un repas organisé avec les membres de son Cabinet du ministère du Commerce extérieur et ses collaborateurs lyonnais, avait soutenu qu’il s’agissait d’un acte rentrant dans la catégorie « d’actes accomplis dans l’exercice des fonctions de ministre » car ayant pour objet « l’organisation et la programmation de (son) ministère en région Rhône Alpes » et que, dès lors, en application de l’article 68-1 de la Constitution « cette prévention relève de la compétence non de la juridiction répressive de droit commun, mais de la Cour de Justice de la République ».
La Cour de Cassation française a approuvé la Cour d’appel de Lyon qui avait considéré dans un attendu remarqué que « l’immunité ministérielle à la différence des immunités parlementaires et diplomatiques ne résulte pas de la seule qualité de la personne concernée mais commande qu’il soit constaté que les actes incriminés ont été commis dans l’exercice des fonctions ministérielles ; qu’elles nécessitent pour la juridiction saisie à qui il appartient l’examen des circonstances dans lesquelles les faits reprochés à un ministre ont été commis, cette appréciation exigeant obligatoirement, pour la juridiction, un examen sur le fond des faits; que, dans ces
conditions, la Cour est dans l’impossibilité de se prononcer sur l’immunité ministérielle relative au recel du repas incriminé sans procéder à un examen au fond des faits de cette prévention; qu’en conséquence la demande tendant à voir la Cour, juridiction répressive de droit commun, se déclarer incompétente, sera jointe au fond;… »
L’intérêt de ce passage de la cour d’appel de Lyon cité et approuvé par la cour de cassation française est de montrer que l’appréciation du bien-fondé de l’exception tirée de l’immunité fonctionnelle n’est pas automatique mais peut dépendre d’une appréciation du fond de l’affaire.
La Cour de Cassation justifie sa décision par la considération que « les actes commis par un ministre dans l’exercice de ses fonctions sont ceux qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l’Etat relevant de ses attributions… » et qu’il faut donc vérifier, à partir de l’examen du fond du dossier si les faits permettent de rattacher l’acte litigieux à la conduite des affaires de l’Etat ou au contraire à des affaires privées. Elle distingue à cet égard entre les actes accomplis dans le cadre de l’exercice des fonctions et ceux simplement « accomplis à l’occasion de l’exercice de ces fonctions », qui sont des actes extérieurs ou détachables.
Et la doctrine considère « qu’il n’est pas douteux, ici encore qu’une telle méthode d’analyse a entière vocation à être transposée aux actes délictueux du Président de la République : la juridiction ou l’organe de poursuite saisis devraient se livrer à un examen, non seulement du contexte mais aussi de la nature de l’acte litigieux, pour vérifier s’il s’inscrit dans le cadre de l’exercice des pouvoirs ou attributions dont la Constitution investit le Chef de l’Etat… » (V. par exemple, E. Dezeuze, Un éclairage nouveau sur le statut pénal du Président de la République, Revue de Sciences Criminelles, 1999, p. 497 et dans le même sens, TH Ablard, Le Statut Pénal du chef de l’Etat, RFDC, 2002/3 n°51).
Si l’immunité fonctionnelle se justifie par la nécessité de préserver la liberté d’action d’un Président de la République pour mener, comme il l’entend, les politiques pour lesquelles il a été élu en lui garantissant qu’il ne pourra pas être inquiété à l’avenir pour les actes accomplis en sa qualité de Président, c’est à la condition qu’il reste dans le cadre des attributions qui lui sont reconnues par la constitution.
Lorsque le Président sort de ses attributions, s’immisce dans la gestion des entreprises publiques en attribuant lui-même les marchés de ces entreprises à des proches, lorsqu’il se fait réaliser par une société d’Etat une adduction d’eau et une piscine dans son ranch privé ou lorsqu’il mène directement ou par personnes interposées des activités commerciales parallèles à celles de Président, et qu’il commet des délits dans ce cadre ou encore, lorsqu’il ouvre des comptes bancaires à l’étranger en violation de la réglementation des changes ou qu’il utilise une fondation privée comme paravent pour le blanchiment de son argent ou enfin, pour nous limiter à ces quelques exemples , lorsqu’il refuse de s’expliquer sur l’origine de la fortune colossale dont il ne fait pas mystère alors que la Loi sur la Corruption lui fait obligation, comme à tout agent public, de justifier l’origine de son patrimoine lorsqu’il excède ses revenus licites, l’immunité n’a pas vocation à
jouer pour la simple raison que l’on ne peut pas considérer ces infractions comme des actes ayant un rapport direct avec la conduite des affaires de l’Etat.. Bien entendu, lorsque le dossier sera transmis à un juge et que les charges éventuelles contre l’ancien Chef d’Etat seront toutes connues, si celui-ci invoque l’immunité fonctionnelle de l’article 93, il reviendra à la justice de trancher ce point. Elle devra dire si les actes, objet des poursuites rentrent ou non dans la catégorie des actes accomplis dans l’exercice des fonctions ou s’ils sont totalement ou partiellement des actes détachables. Et pour cela, comme les juridictions nationales d’autres pays, avant elle, elle devra préciser le critère de distinction adopté.
Mais assimiler, comme le font les présumés avocats français de Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz, l’immunité de l’article 93 de la Constitution à l’inviolabilité, c’est confondre l’immunité personnelle et l’immunité fonctionnelle et aligner un ancien Chef d’Etat, c’est à dire un Président redevenu un simple citoyen, sur un Chef d’Etat en exercice, lequel représente l’Etat dont il assure la continuité.
Or ni le droit constitutionnel comme indiqué ci-dessus, ni le droit international ne font une telle confusion comme en témoigne, pour ce dernier, la jurisprudence internationale sur les immunités des anciens Chefs d’Etat étrangers.
C’est ainsi que lorsque le 16 Octobre 1998, l’ancien Chef d’Etat du Chili, le Général
A. Pinochet est arrêté dans une clinique à Londres, suite à une procédure d’extradition engagée par le juge espagnol B. Garzon pour des faits de torture sur des ressortissants d’origine espagnole pendant le règne du dictateur, les deux formations de la chambre des Lords saisies successivement pour statuer sur la validité du mandat d’arrêt et sur la procédure d’extradition ont toutes les deux souligné que si A Pinochet avait encore été Chef d’Etat, il n’aurait pas pu être arrêté en raison de son inviolabilité.
Le débat s’est alors engagé sur l’étendue de l’immunité fonctionnelle résiduelle que le droit international coutumier mais aussi le droit anglais reconnaissent aux anciens Chefs d’Etat étrangers pour les actes commis dans le cadre de leurs fonctions. Il s’agissait de savoir si les actes de torture résultant des instructions qu’A.
Pinochet aurait données en ce sens, en tant que Chef d’Etat, pouvaient être considérés comme des actes couverts par l’immunité fonctionnelle dont celui-ci bénéficie en tant qu’ancien Président.
La première formation de la Chambre des Lords, saisie de l’appel contre la décision de la High Court invalidant l’un des mandats d’arrêt lancé contre le Général Pinochet, avait rejeté l’immunité invoquée au motif «qu’il n’entre pas dans la fonction du Chef de l’Etat de torturer.
La seconde formation constituée à la suite de l’annulation de la première a confirmé le rejet de l’immunité, en fondant sa décision sur la considération qu’en raison de leur gravité, les actes de torture ne peuvent pas être couverts par l’immunité.
D’autres juridictions nationales sont allées dans le même sens en décidant que certains crimes, comme le crime de torture, les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide ou les crimes de guerre ne peuvent pas être considérés comme ayant été accomplis dans le cadre des attributions officielles d’un Chef d’Etat.
La Cour Suprême d’Amsterdam s’est prononcée en ce sens, en 2000, en décidant que les actes de torture reprochés à l’ancien Président du Surinam ne rentrent pas dans la catégorie des actes de fonction protégés par l’immunité fonctionnelle.
Un raisonnement similaire a été utilisé par le Tribunal Fédéral qui avait jugé pour corruption l’ancien Chef d’Etat du Pérou, A Fujimorri, en retenant que pour déterminer si un acte a été ou non accompli dans l’exercice des fonctions et donc couvert par l’immunité, il faut prendre en compte le contexte et le but de l’acte.
En résumé, l’immunité de l’article 93 de la constitution, sans cesse brandie par la défense de Mr Mohamed Ould Abdel Aziz est une immunité conditionnelle, laquelle ne peut pas conférer une inviolabilité absolue.
Cantonnée aux seuls actes accomplis dans l’exercice de la fonction présidentielle, elle n’empêche pas notamment les Autorités de Poursuite qui relèvent, à la charge de l’ancien Chef d’Etat des infractions détachables, de prendre à son encontre les mesures restrictives autorisées par la loi. En matière répressive, l’immunité, étant une exception au principe de l’égalité devant la loi pénale, est toujours d’interprétation stricte.
En l’absence d’un texte exprès conférant à un ancien Président une immunité pour les actes détachables, c’est la loi commune qui s’applique. Mais si l’ancien Chef d’Etat considère que les actes litigieux rentrent dans la catégorie des actes de fonction couverts par l’immunité, il lui appartient de le soulever devant la juridiction saisie, qui tranchera, le moment venu, ce point.
II-2- Sur la compétence des juridictions ordinaires pour connaitre des actes détachables des fonctions présidentielles de l’ancien Chef d’Etat
Les avocats français de Mr Mohamed Ould Abdel Aziz soutiennent que pour un ancien Chef d’Etat, les poursuites pénales même pour les actes détachables n’étaient pas possibles en France sur le fondement de l’article 68 de la Constitution (article 93 de notre constitution), avant la révision constitutionnelle de 2007, et qu’une telle révision n’étant pas applicable en Mauritanie, de telles poursuites ne seraient pas possibles dans notre pays.
Et pour appuyer leur propos, ils citent le dernier alinéa du nouvel article 67 de la Constitution française au terme duquel » Les instances et procédures auxquelles il a été fait obstacle peuvent être repris ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions »; ajoutant, en s’adressant avec suffisance à l’actuel Président de la République, » cette immunité temporaire dont se prévalent vos conseils existe désormais en France mais absolument pas en Mauritanie, puisqu’aucune réforme de la Constitution équivalente en France n’a été adoptée. »
Ces affirmations qui feront de leurs auteurs la risée de tous les constitutionnalistes et de tous les pénalistes français qui se sont intéressés au statut pénal du Président de la République sont tout simplement incroyables. Nous ne savons s’il faut incriminer l’incompétence, la légèreté ou la mauvaise foi des confrères français car s’il y a une question sur laquelle, il y a toujours eu unanimité en France, depuis la
promulgation de la constitution de 1958, c’est bien celle de la compétence des tribunaux ordinaires pour connaitre de la responsabilité pénale d’un ancien Chef d’Etat pour ses actes détachables.
La doctrine dans sa totalité a toujours considéré qu’en cantonnant l’irresponsabilité d’un Chef d’Etat aux actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, l’article 68 de la Constitution impliquait nécessairement sa responsabilité pour les autres types d’actes, position qui, comme on le verra ci-dessous, a été confirmée par les deux plus grandes juridictions françaises, interprétant l’article 68 de la Constitution.
La seule question qui pouvait alors se poser et qui s’est posée, en 1998, en pleine cohabitation (Chirac/Jospin) était celle de savoir si un Président en exercice, en l’occurrence J. Chirac, normalement protégé par la règle de l’inviolabilité, pouvait être convoqué par un juge d’instruction comme témoin assisté ou faire l’objet de poursuites pénales devant les juges ordinaires, pour des faits antérieurs ou détachables.
Il s’agissait en l’espèce de faits se rapportant à sa gestion de la Mairie de Paris. Et c’est sur cette seule question de la mise en jeu de la responsabilité pénale d’un Président en exercice que la doctrine s’est divisée.
Certains ont considéré que dans la mesure où l’article 68 ne prévoit pas d’exception pour un Président en cours de mandat pour les actes détachables de ses fonctions, le principe cardinal de l’égalité devant la loi pénale devait reprendre son empire et le Président de la République doit, comme tout citoyen, répondre de ses actes délictueux, sans attendre la fin de son mandat. Représentatif de cette doctrine, le professeur D. Chagnollaud écrivait dans une tribune au Journal Libération du 18 septembre 1998 que » Le Chef de l’Etat répond pénalement des infractions détachables de sa fonction, sans bénéficier d’un privilège de juridiction. Si tel n’était pas le cas, il serait à l’image du monarque inviolable (…). »
D’autres auteurs ont cependant contesté cette position en mettant en avant la règle non écrite de l’inviolabilité d’un Président en exercice, laquelle se rattache à d’autres principes qui figurent dans le corps même de la Constitution, et notamment le principe selon lequel le Président de la République représente l’Etat dont il assure la continuité, qu’il est garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, de la souveraineté nationale et de l’indépendance de la justice. Or ces principes seraient assurément compromis si, en cours de mandat, le Président pouvait faire l’objet d’une mesure quelconque de contrainte judiciaire.
Ces auteurs soulignent la nécessité de distinguer entre l’homme et la fonction. Dans un article publié au Journal Le Figaro du 06 Juin 1998, le professeur G. Carcassonne, représentatif de ce courant, écrivait ainsi : « le Président en tant qu’individu est pénalement responsable.
Mais la fonction est protégée. Aussi longtemps que le premier exerce la seconde, il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées donc par personne d’autre. Dès la fin de ses fonctions, tout juge peut reprendre les poursuites suspendues dans l’intervalle. ». Le professeur Rouvillois ne dit pas autre chose quand il écrit que « Tant que le Président est en place, aussi
longtemps que dure son mandat, il faut le soustraire aux procédures pénales. » (Intervention, in Revue de Droit public, 2003, s. p. 98).
On observera au passage que même les auteurs hostiles à la mise en jeu de la responsabilité pénale d’un Président en exercice ne défendent qu’un privilège de juridiction temporaire pour les actes détachables. Ils s’empressent, chaque fois, de préciser qu’il doit en être autrement « dès la fin des fonctions ». Il n’y a aucune opinion discordante sur ce point.
La controverse n’a concerné, une fois encore, que le statut pénal d’un Chef d’Etat en exercice car ce dernier est protégé par la règle de l’inviolabilité qui s’oppose à ce qu’il puisse être mis en cause devant les tribunaux judiciaires. Il a toujours été évident pour tous et donc non sujet à discussion qu’à la cessation de son mandat, le Président, redevenant un simple citoyen, était justiciable des juridictions ordinaires.
Cette vision des choses a été confortée par les deux plus grandes juridictions françaises, quoi que selon des voies différentes.
Il y a, tout d’abord, la décision du Conseil Constitutionnel du 22 Janvier 1999. Appelé à se prononcer sur la compatibilité du Traité de Rome du 18 Juillet 1998 portant création de la Cour pénale internationale (dont l’article 27 écarte les immunités et privilèges reconnus aux Chefs d’Etats et aux gouvernements de manière générale) avec la Constitution, le Conseil Constitutionnel en a profité pour évoquer la question de la responsabilité pénale d’un Président en exercice en ces termes : « Considérant qu’il résulte de l’article 68 de la Constitution que le Président de la République, pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions et hors le cas de Haute Trahison, bénéficie d’une immunité, qu’au surplus pendant la durée de ses fonctions sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice… ».
Cette décision est l’une de celles qui ont le plus été commentées. Elle a en particulier été critiquée pour l’extension opérée de la compétence de la Haute Cour de Justice à la responsabilité pénale d’un président en exercice pour les actes autres que la Haute Trahison
mais elle ne change rien à la situation d’un ancien Chef d’Etat, puisqu’elle prend le soin de souligner que c’est «pendant la durée de ses fonctions » que la responsabilité pénale d’un Président ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice. Il en résulte nécessairement que dès que le Président n’est plus en fonction, sa responsabilité pénale est mise en cause devant les juridictions ordinaires.
Pour lever tout quiproquo sur ce point, le Conseil Constitutionnel a lui-même publié, contrairement à son habitude, un communiqué en date du 10 Octobre 2000 , dans lequel il souligne que « la décision du 22 Janvier précise que le statut pénal du Président de la République, s’agissant d’actes antérieurs à ses fonctions ou détachables de celles-ci réserve, pendant la durée du mandat la possibilité de poursuites devant la seule Haute Cour de justice. Le statut pénal ne confère donc pas une immunité mais un privilège de juridiction pendant la durée du mandat.»
En fait, la controverse juridique a été clôturée par la décision de l’Assemblée de la Cour de Cassation en date du 10 octobre 2001, selon laquelle «L’article 68 doit être interprété en ce sens qu’étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat, Le Président ne peut pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun, qu’il n’est pas davantage soumis à l’obligation de comparaitre en tant que témoin dès lors que l’obligation est assortie d’une mesure de contrainte …
Que la Haute Cour de Justice n’étant compétente que pour connaitre des actes de Haute Trahison du Président de la République commis dans l’exercice de ses fonctions, les poursuites pour tous les autres actes devant les juridictions pénales ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de l’action publique étant alors suspendue. »
Comme on peut le constater, » l’immunité temporaire dont se prévalent les conseils juridiques » de l’Etat mauritanien, pour justifier la compétence des tribunaux ordinaires pour connaitre des actes détachables d’un ancien Chef d’Etat était, avant la révision constitutionnelle de 2007, déjà bien établie en droit français sur la base des enseignements de la doctrine unanime et de la jurisprudence interprétant l’article 68 de la constitution ( Article 93 de notre Constitution), sur le statut Pénal d’un Chef d’Etat en exercice, seule question qui pouvait prêter à discussion.
Quant à la loi constitutionnelle du 23 février 2007 qui a opéré la révision des articles 67 et 68 de la Constitution française, elle n’a pas pour objet de résoudre un problème qu’aucun juriste sérieux n’a jamais soulevé, à savoir, celui de la possibilité de poursuites pénales contre un ancien Chef d’Etat pour les actes détachables de ses fonctions, tant la réponse a toujours été évidente.
Son objet était d’honorer la promesse électorale faite par le Président J. Chirac, au cours de la campagne présidentielle de 2002, de clarifier le statut pénal du Président de la République car c’est la question qui a empoisonné avant l’arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation de 2001 une bonne partie de son mandat.
Dès qu’il a été réélu, il a nommé une Commission de sages présidée par le Professeur P. Avril dont les conclusions, remises dès le 12 décembre 2002, et reprises pour l’essentiel par la loi constitutionnelle du 23 février 2007, n’ont pas, en réalité modifié grand-chose au régime juridique des actes détachables, tel qu’il ressort de l’arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation interprétant l’article 68 de la Constitution.
Pour s’en convaincre, il suffit de comparer le nouvel article 67 tel qu’il résulte de la révision constitutionnelle avec le dispositif précité de l’arrêt de l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation. En effet selon le nouveau texte : » Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68. Il ne peut durant son mandat et devant aucune autorité ou juridiction administrative française, être requis de témoigner non plus que de faire l’objet d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.
Les instructions et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions. »
La lecture de ce texte appelle trois observations. En premier lieu, les nouvelles dispositions concernent uniquement le statut d’un Président en exercice. En second lieu, la parenté entre ce texte et l’arrêt de la cour de cassation de 2001, rendu sur le fondement de l’article 68 de la Constitution est patente. Enfin, le dernier alinéa sur lequel se fondent les avocats français de Monsieur Mohamed Ould Aziz qui prévoit que les poursuites ne peuvent reprendre contre un Président qu’après l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la fin de son mandat est la seule nouveauté par rapport à l’arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation.
Mais son invocation par ces avocats est piquante car cette seule nouveauté constitue précisément un recul par rapport à l’article 68 (article 93 de notre constitution) tel qu’interprété respectivement par le Conseil Constitutionnel et par la Cour de Cassation. En effet selon les décisions ci-dessus rapportées, rendues par ces deux juridictions, le privilège de juridiction pour la première et la suspension des poursuites pénales pour la seconde, prennent fin dès la cessation des fonctions.
Désormais avec le nouvel article 67 de la constitution, il faudra attendre en France un délai d’un mois avant la reprise des poursuites pénales contre un ancien Chef d’Etat. Si nous avons consacré de longs développements au droit français, quoique non applicable en Mauritanie, pays indépendant depuis 1960, et dont les textes sont interprétés et appliqués par ses propres juges et non par les avocats de Brest, de Marseille ou de Paris, c’est pour éclairer l’opinion publique nationale et internationale et les juristes honnêtes, en Mauritanie et en France, sur le caractère superficiel des arguments de nos confrères français, même lorsqu’ils s’appuient sur leur propre droit et convions ces derniers à parfaire leurs connaissances du droit français avant de nous donner des leçons sur la manière d’interpréter le nôtre.
II-3- Sur la prétendue illégalité de la Commission d’Enquête Parlementaire
Les avocats français de M. Ould Abdel Aziz reprennent, à la suite de leurs confrères mauritaniens, constitués à leurs côtés, la thèse de l’illégalité de la Commission d’Enquête Parlementaire, devenue, depuis quelques temps, le morceau de bravoure de la défense de Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz. L’argument utilisé, pour conclure à cette illégalité, est lui aussi consternant de légèreté.
Puisque la constitution ne comporte pas de dispositions encadrant les Commissions d’Enquête Parlementaire, celle qui a été constituée par consensus des Parlementaires pour enquêter sur quelques dossiers révélateurs du pillage des ressources du Peuple mauritanien, durant le double mandat de leur Client, serait nécessairement illégale et » ce fait rendrait d’autant plus illégale l’ensemble de la procédure » selon les mêmes avocats.
Si l’on généralisait ce raisonnement, selon lequel, tout ce qui n’est pas prévu dans le corps même du texte constitutionnel serait nécessairement illégal, la quasi-totalité des activités de l’Etat basculerait dans l’illégalité.
Plus sérieusement, les Commissions d’Enquête Parlementaire sont régies par le Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale que la Constitution mauritanienne exhausse au niveau des lois organiques qui sont, comme en droit français, des lois ayant pour objet de compléter les règles constitutionnelles relatives à l’organisation des divers pouvoirs publics et qui sont, pour cette raison, supérieures aux lois ordinaires.
Une dernière particularité de ces lois suffit à clore toute discussion juridique sur la légalité des Commissions Parlementaires en Mauritanie : elles sont préalablement et nécessairement soumises au Conseil Constitutionnel qui vérifie leur conformité avec la Constitution. En effet, au terme de l’article 86 de la constitution » Les lois organiques avant leur promulgation et les règlements des assemblées avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil Constitutionnel qui se prononce sur leur conformité avec la constitution. »
Comme le Règlement de l’Assemblée Nationale a été soumis au Conseil
Constitutionnel en application de l’article 86 de la Constitution et que cette juridiction l’a déclaré conforme à la Constitution, comment peut-on encore soulever l’inconstitutionnalité de Commissions d’Enquête Parlementaire constituées en application de ce Règlement ?
Nous rappelons à l’attention de nos confrères que selon l’article 87 de la Constitution : « Les décisions du Conseil Constitutionnel sont revêtues de l’autorité de la chose jugée. (Elles) ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. »
Aussi, sauf à contester la légitimité même de la constitution, cette question de l’illégalité de la commission d’enquête qui, curieusement n’a été soulevée ni au moment de la constitution de celleci, ni au cours de ses travaux, ni même au moment du dépôt de son rapport, n’a pas de sens. Elle a d’autant moins de sens que le dossier étant désormais du ressort de la justice, celle-ci n’est pas liée, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, par les conclusions de la Commission d’enquête parlementaire qui ne sont qu’un élément qu’elle peut considérer ou qu’elle peut rejeter totalement ou partiellement.
La mise en mouvement éventuelle de l’action publique s’appuiera principalement sur les conclusions de l’enquête préliminaire. Aussi, l’argument de l’illégalité de l’ensemble de la procédure au motif d’une prétendue illégalité de la Commission ne vaut pas plus que les autres.
Que dire en conclusion ? Nous avons, tout au long de cette réponse à la lettre ouverte du Collectif dit des avocats français de Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz, préféré situer le débat sur le terrain strictement juridique, en faisant référence aux textes , à la doctrine juridique qui en éclaire le contenu et les problématiques sous-jacentes et à la jurisprudence qui en fixe le sens, la valeur et la portée, en nous éloignant de toute polémique inutile. Nous avons noté que nos confrères français nous lançaient le défi d’accepter un débat public avec eux mais nous nous posons la question de l’intérêt
de débattre avec des avocats qui ne semblent pas prendre le droit, y compris celui de leur pays, au sérieux et qui de surcroit affichent beaucoup d’arrogance et de mépris à l’égard de leurs confrères mauritaniens. Nous pensons que faire du Buzz à moindres frais, en conjuguant insultes, quolibets et menaces à l’égard de l’Etat, de ses institutions et ses représentants n’est pas la fonction d’un avocat sérieux.
Et que les enjeux en cause pour notre peuple si longtemps dépouillé- et dont les valeurs religieuses et morales s’apposent à toute forme d’impunité pour les infractions graves touchant aux biens publics – sont si considérables que seuls ceux qui n’en mesurent ni l’ampleur ni la portée peuvent n’y entrevoir qu’un moyen d’obtenir une notoriété facile outre-mer ou, plus prosaïquement, un simple jeu de rôles pour aventuriers en goguette.
Nouakchott le 12 Octobre 2020
Par Brahim Ould Ebety
Source : Le Collectif Défense Etat de Mauritanie