Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir notre loi fondamentale. Cela ne nécessite aucun effort, du fait même de son caractère squelettique, composée comme elle l’est, d’une centaine d’articles dont on peut prendre connaissance d’un trait.
Mais elle a le mérite d’être claire, en ce qui concerne le principe de séparation des pouvoirs, chacun des trois pouvoirs disposant d’attributions expressément énumérées, sans interférence ni empiètement, outre une bonne intelligence dans les rapports entre les pouvoir exécutif et législatif.
On s’apercevra alors que le pouvoir de contrôle de l’Assemblé Nationale ne concerne que l’action du gouvernement, alors que la responsabilité du Président de la République ne peut, et ne saurait être mise en mouvement que devant la Haute Cour de Justice comme le précise sans ambages, l’article 93 de la constitution libellé de la sorte « Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison.
Il ne peut être mis en accusation que par l’Assemblée Nationale statuant par un vote au scrutin public et à la majorité absolue de ses membres ; il est jugé par la Haute Cour de Justice ».
Ainsi donc, la responsabilité du Président de la République ne peut se concevoir qu’à travers une procédure judiciaire à caractère exceptionnel, et devant un organe constitué à cet effet, précisément la Haute Cour de Justice, présentée comme étant le juge naturel du Président de la République.
Il faudra bien que l’on se résigne à faire une distinction entre le gouvernement et le Président de la République dans un régime constitutionnel dont le caractère présidentiel est suffisamment mis en évidence par sa loi fondamentale, comme il faudra se résigner à l’idée que le mécanisme de la mise en mouvement de la responsabilité du gouvernement et celui de la mise en cause de celle du Président de la République ne sont ni identiques, ni comparables ; on ne devrait donc pas prendre l’un pour l’autre, ni confondre l’un avec l’autre ; tout cela est clairement exposé dans la constitution, pour qui veut prendre un peu de son temps, afin de la parcourir à travers une lecture posée.
Non seulement, le Président de la République bénéficie d’un privilège de juridiction, ce qui veut dire que sa responsabilité, faut-il le répéter encore et encore, ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice, mais en outre, pour être complet sur ce sujet, le seul motif susceptible de fonder cette responsabilité, c’est celui de la haute trahison.
La haute trahison a été envisagée à un certain moment de l’instruction initiée par la commission d’enquête parlementaire , quand on a enfin compris que c’était la seule hypothèse envisageable pour mettre en cause la responsabilité de l’ancien Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz, puis on s’est très vite ravisé, après avoir acquis la conviction que les faits rapportés à ce sujet relevaient de la fabulation, d’une intention manifeste de nuire, de soustraire l’ancien président à son juge naturel, plutôt que d’une volonté sincère de recherche de la vérité.
Notre texte fondateur, eu égard à la responsabilité du Président de la République est identique à celui de la constitution française de 1958, faut-il le préciser, dont il reproduit textuellement l’article 68, repris tel quel dans l’article 93 de la constitution mauritanienne ; puis lorsqu’en France, on a voulu en 2007, modifier le régime de la responsabilité du Président de la République, on y a procédé, en accord avec le respect du principe du parallélisme des formes, par la voie d’une révision constitutionnelle, en modifiant les dispositions du titre IX devenue « La Haute Cour » en lieu et place de la « Haute Cour de Justice », prévoyant au visa de l’article 67 que le Président de la République ne peut désormais faire l’objet d’une quelconque poursuite durant son mandat, sauf qu’à l’expiration de celui-ci, les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être engagées ou poursuivies à son encontre, à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation de ses fonctions, puis l’article 68 de préciser un autre mode de mise en cause de la responsabilité du Président qu’est la destitution, et qui donc s’opère lorsqu’il y a un manquement grave manifestement incompatible avec l’exercice du mandat présidentiel, et dans ce cas, la destitution est prononcée par le parlement constitué en Haute Cour ; il va de soi que cette dernière procédure n’est applicable que durant la mandature, car on ne peut destituer un président qui n’est plus en place.
En Mauritanie, il n’existe aucune trace d’une réforme identique dans la constitution, aucune trace également de l’article 24 alinéa 1 nouvellement introduit dans la révision française de 2017, qui prévoit que le parlement « contrôle l’action du gouvernement. Il évalue les politiques publiques », disposition dont le mécanisme de mise en application va cette fois-ci prévoir enfin, la création ardemment souhaitée, vivement recherchée, des commissions d’enquête, au visa de l’article 51-2 introduit dans la nouvelle constitution de France révisée, en ces termes : « Pour l’exercice des missions de contrôle et d’évaluation définies au premier alinéa de l’article 24, des commissions d’enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée pour recueillir dans les conditions prévues par la loi, des éléments d’information. La loi détermine leurs règles d’organisation et de fonctionnement. Leurs conditions de création sont fixées par le règlement de chaque assemblée ».
Ainsi donc, la réforme constitutionnelle de 2017 intervenue en France, à laquelle nous sommes restés sourds en Mauritanie, ne prévoit la création de commissions d’enquête parlementaires que s’il s’agit de contrôler l’action du gouvernement ou d’évaluer les politiques publiques, nullement lorsqu’il s’agit de mettre en jeu la responsabilité du Président de la République, qui s’opère par la voie de la destitution, ou par le biais des juridictions de droit commun, un mois après l’expiration de sa mandature, et à condition qu’il ait fait l’objet d’une plainte au cours de celle-ci.
En France, comme dans tous les pays où les institutions sont perçues avec déférence, on respecte le principe du parallélisme des formes, en veillant à ce qui a été créé par une disposition constitutionnelle ne puisse être modifié que par une révision constitutionnelle.
Or, aucune révision constitutionnelle n’est intervenue en Mauritanie, instituant une modification du régime juridique de la responsabilité du Président de la République ou des règles de la mise en cause de cette responsabilité.
On objectera vainement, argument dérisoire s’il en est, qu’en Mauritanie les commissions d’enquête parlementaires sont prévues par le règlement intérieur de l’assemblée nationale.
Que vaut un règlement intérieur face à une disposition constitutionnelle ? Peut-il la modifier, en paralyser l’application, l’abroger ? Dans quelle enseigne va-t-on alors loger le bloc de constitutionnalité, le corps de la constitution, les lois, les décrets, les arrêtés, les circulaires et tous les actes réglementaires qui ponctuent la vie publique ?
Que fait-on de cette règle prudentielle qu’est la hiérarchie des normes qui irrigue le cœur de l’Etat de droit et que l’on se doit d’observer avant de créer un texte quelconque, pour ne pas faire prévaloir un arrêté sur un décret, un décret sur une loi.
Il est donc évident qu’un règlement intérieur ne peut avoir une autorité ou préséance sur une disposition constitutionnelle!
Maître Takioullah Eidda, avocat
Nouakchott, Mauritanie.
Source : Kassataya (France)