D’abord les Émirats arabes unis, puis Bahreïn. Selon les experts du Moyen-Orient, d’autres pays du Golfe pourraient encore suivre la voie tracée par Abu Dhabi et Manama, qui ont annoncé, l’un à la mi-août, l’autre ce vendredi, un accord en vue de normaliser leurs relations avec Israël.
Décryptage avec Karim Sader, politologue et consultant spécialiste du Golfe. L’accord de normalisation entre les Émirats arabes unis et Israël, annoncé le 13 août par le président américain Donald Trump, a ouvert une nouvelle page au Moyen-Orient dans les relations avec l’État hébreu.
Alors que les premiers signes de ce rapprochement commencent à voir le jour, avec l’abrogation de la loi émiratie concernant le boycott d’Israël et le premier « vol commercial » qui a relié les deux pays fin août, Bahreïn a à son tour annoncé un accord « historique » de normalisation de ses relations avec Israël.
Les observateurs s’attendaient en effet à voir d’autres monarchies membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) suivre les pas du cheikh Mohammed ben Zayed (MBZ), prince héritier d’Abu Dhabi.
Le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, s’était même dit « optimiste » à l’idée de voir « d’autres pays arabes » suivre l’exemple des Émirats.
Contrer l’Iran et la Turquie
« Ça fait un moment que les États du Golfe, l’Arabie saoudite en tête, cherchent à normaliser leurs relations avec Israël, explique Karim Sader, politologue et consultant spécialiste du Golfe. Cet accord était un secret de polichinelle dans lequel ils sont tous impliqués à différents degrés, car il ne peut y avoir de cavalier seul sur une question aussi sensible, Riyad est de mèche avec Abu Dhabi sur ce dossier. »
Un virage stratégique coordonné, pris aux dépens des Palestiniens, et destiné à faire face à une nouvelle donne géostratégique régionale. Selon Karim Sader, l’objectif commun des monarchies du Golfe, qui craignent toujours un désengagement américain, est de contrer l’Iran et la Turquie, les deux puissances non-arabes qui menacent leurs intérêts dans la région. Et « cela passe, et c’est presque logique » par un rapprochement avec l’État hébreu, la puissance militaire dominante au Moyen-Orient.
« La cause palestinienne étant devenue secondaire aux yeux des pétromonarchies obnubilées par le rival iranien chiite, ce rapprochement est en effet principalement basé sur leur animosité commune avec Israël vis-à-vis de l’Iran », précise-t-il. De plus, « à l’instar d’Israël qui se méfie des ambitions de la Turquie en Méditerranée, les pétromonarchies du Golfe s’inquiètent des prétentions néo-ottomanes régionales du président turc Recep Tayyip Erdogan ».
Riyad temporise
Toutefois, l’Arabie saoudite, qui a autorisé, fin août, un Boeing 737 de la compagnie El Al à traverser son espace aérien alors qu’il se dirigeait vers les Émirats, semble temporiser. Le roi Salmane a récemment exprimé « le désir du royaume de parvenir à une solution durable et juste pour la cause palestinienne pour atteindre la paix ».
Pour Karim Sader, le roi saoudien est ainsi dans son rôle, car si l’Arabie saoudite, qui abrite les lieux saints de l’islam et qui compte une population plus importante que celle des Émirats, s’était lancée la première dans l’aventure, l’impact aurait provoqué un électrochoc dans le royaume et dans le monde arabe en général.
« Il fallait bien que l’une de ces monarchies lance le processus de rapprochement, or le pays le plus à même à le faire était les Émirats arabes unis, explique-t-il. Moderne et ouvert à la globalisation, tout en étant dirigé d’une main de fer, c’était le pays qui risquait le moins en amorçant la normalisation, l’opinion publique locale étant verrouillée, et les Émiratis étant rangés derrière les positions du pouvoir. »
Le prince héritier d’Abu Dhabi a été le premier à oser franchir le pas afin de permettre à son allié saoudien de le suivre ensuite, « en faisant accepter progressivement cette nouvelle réalité, sachant que la question palestinienne ne génère plus un sentiment aussi affectif qu’auparavant auprès des populations de la région », poursuit-il.
Les experts s’accordent pour dire que c’est une question de temps, et que le prince héritier Mohamed ben Salmane (MBS), qui est très lié à l’administration Trump et notamment à Jared Kushner, le gendre du président et chargé du dossier moyen-oriental, finira par suivre. « Cela va dépendre des évolutions dans la région et de l’issue des élections américaines, souligne Karim Sader. Si Donald Trump est réélu, il sera plus simple pour MBS, qui est sous l’influence de MBZ, de suivre les pas concertés d’Abu Dhabi et d’officialiser à son tour un rapprochement avec l’État hébreu. »
Le politologue indique que le prince héritier saoudien fait partie de cette nouvelle génération de dirigeants du Golfe qui est lasse de la question palestinienne et qui ne croit plus en la solution à deux États, estime le politologue spécialiste du Golfe. « MBS mise sur un fait accompli sur le terrain avec un rapport de force qui est incontestablement en faveur d’Israël et sur un avenir dans lequel les Palestiniens seraient dispersés à travers les pays du Moyen-Orient. En résumé, c’est une rupture totale avec l’initiative de paix arabe de 2002 défendue par le défunt roi Abdallah, et qui avait été rejetée par les Israéliens. »
L’initiative de 2002, qui impliquait à l’époque l’ensemble des États de la Ligue arabe proposait, à l’issue d’un sommet organisé à Beyrouth, une paix allant jusqu’à envisager des relations normalisées avec Israël dans le cadre d’une paix globale. Et ce, notamment en échange de la formation d’un État palestinien indépendant avec pour capitale Jérusalem-Est et d’une « solution juste » pour la question des réfugiés palestiniens.
« Le processus actuel est bien plus politique et géostratégique, il est le fruit d’un accord entre quelques acteurs régionaux, qui jouaient leurs propres partitions depuis un moment, en accord avec Israël et l’administration américaine », note Karim Sader.
Après Bahreïn, Oman ?
Si tous les regards sont tournés vers la monarchie wahhabite et MBS, les experts voyaient dans Bahreïn et le sultanat d’Oman les deux prochains États susceptibles de normaliser leurs relations avec l’État hébreu à brève échéance.
C’est désormais chose faite avec Bahreïn. L’accord qui doit être officiellement signé mardi prochain à la Maison Blanche laisse également penser que Riyad pourrait suivre car, rappelle Karim Sader, cette petite monarchie « est en quelque sorte une province saoudienne, tant le pouvoir est aligné sur Riyad en matière de politique étrangère.
Et pour ce spécialiste de la région, « Oman, qui a toujours cherché un équilibre diplomatique dans la région en cohérence avec sa position de médiateur, risque fort de suivre l’exemple émirati ».
« Une fois que ces deux États auront suivi, il paraîtra alors logique de voir les Saoudiens suivre, car c’est ce qui est prévu depuis le début », précise l’expert.
Reste en suspens le cas du Qatar, isolé par ses voisins du Golfe et mis au ban du CCG depuis juin 2017. Même si « l’émirat a été l’un des premiers États de la région à entretenir des relations avec Israël, et continue d’avoir des échanges avec des responsables israéliens », rappelle Karim Sader.
Le premier bureau de représentation israélien dans le Golfe avait ouvert ses portes à Doha en 1996, avant de fermer quatre ans plus tard à la demande de l’Organisation de la coopération islamique (OCI). En 2009, c’est le bureau commercial israélien qui était fermé par le Qatar pour protester contre une offensive militaire israélienne à Gaza.
« Par sa capacité à dialoguer à la fois avec les pays occidentaux et des mouvances islamistes comme le Hamas, le Qatar est un précieux atout pour les Israéliens. Pour l’instant, il n’est pas sur la même ligne que ses voisins, en raison de son isolement. Mais dès lors que les Saoudiens lèveront leur embargo, et que Doha sera réhabilité au sein du CCG, il y a fort à parier qu’il suivra cette tendance », conclut le spécialiste des pays du Golfe.
Texte par : Marc DAOU
Source : France24