La justice mauritanienne a requis cinq ans de prison contre dix militants antiesclavagistes. Parmi eux figure le rival du président Aziz. Il s’appelle Biram Ould Dah Ould Abeid mais il est plus connu sous le surnom de «Spartacus mauritanien».
Lauréat en 2013 du prix des Nations unies pour les droits de l’homme pour son combat à la tête de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), une ONG qui vise à rendre leur liberté aux quelque 150 000 Mauritaniens encore assujettis à un «maître» malgré l’interdiction officielle de l’esclavage en 1981, il risque aujourd’hui cinq ans de prison ferme pour avoir fait trop de bruit autour d’une question encore très sensible.
Les victimes sont des Négro-Mauritaniens
Mardi, le parquet de la cour correctionnelle de Rosso, dans le sud du pays, a requis cinq ans de prison ferme contre dix militants de l’IRA pour « appartenance à une organisation non reconnue, rassemblement non autorisé, appel à rassemblement non autorisé et violence contre la force publique ». Ils risquent aussi des amendes et la confiscation de leurs biens.
Huit des accusés, dont Biram Ould Dah Ould Abeid, sont en détention préventive depuis novembre. Ils ont été arrêtés alors qu’ils participaient à une « caravane contre l’esclavage en Mauritanie » avec d’autres associations.
La défense a pourtant démontré « l’inexistence de troubles à l’ordre public et de rassemblement non autorisé par ses clients, car la caravane objet de l’accusation était bien autorisée par l’administration et a pu circuler librement quelques jours dans la vallée du fleuve Sénégal avant son arrivée à Rosso où les militants ont été interpellés et écroués », a affirmé l’avocat Yarba Ould Ahmed Saleh.
Les autorités ont reproché à cette initiative de servir de tribune à une« propagande raciste ». La question de l’esclavage en Mauritanie est un sujet complexe car elle touche aux équilibres politiques du pays. Les esclavagistes appartiennent aux élites minoritaires Maures blancs, des Arabo-Berbères qui représentent 30 % de la population et dirigent le pays.
Ce sont des propriétaires fonciers qui tirent leurs privilèges du maintien de pratiques pourtant interdites et dont les victimes sont des Négro-Mauritaniens (30 %). « Les lois contre l’esclavage sont faites pour la communauté internationale.
Les autorités assurent des titres de propriété aux esclavagistes qui leur assurent en retour le vote de ceux qu’ils oppriment », expliquait récemment sur France InterBalla Touré, un responsable de l’IRA.
La candidature de Biram Ould Dah Ould Abeid à l’élection présidentielle de juin 2014, où il est arrivé en deuxième position avec 8,6 % des voix, loin derrière les 81 % de l’actuel président, Mohamed Ould Abdel Aziz, n’est sans doute pas étrangère aux ennuis du président de l’IRA.
Déjà en 2013, Aziz avait emprisonné son rival parce qu’il avait brûlé en public des ouvrages religieux légitimant l’esclavage. Mais il avait dû le libérer au bout de quatre mois sous la pression des Haratins, cette communauté de descendants d’esclaves dont fait partie Biram Ould Dah Ould Abeid et qui appartient aux Maures noirs (40 % des habitants).
L’histoire va-t-elle se répéter ? Le 19 décembre, la France a indiqué suivre « avec attention » la situation. La veille, le Parlement européen avait adopté une résolution condamnant l’arrestation des militants antiesclavagistes et réclamant leur libération. En vain, pour l’instant.
Source : L’Humanité (France)