Selon un communiqué du mouvement antiesclavagiste (IRA) c’est au nom de la Loi 2018-023 portant incrimination de la discrimination du 18 juin 2018 que les autorités sécuritaires mauritaniennes auraient procédé, lundi 13 avril 2020 aux environs de 16 h, à l’arrestation de Marième Mint Cheikh, activiste de ce mouvement.
« Cette loi a été spécialement conçue pour bâillonner les activistes des droits de l’homme, notamment ceux du mouvement IRA, ainsi que la majorité haratine persécutée, pour les empêcher de dénoncer les injustices d’un système raciste et suprématiste » soutient-on au sein de ce mouvement.
Mais des sources proches de la justice affirment par contre qu’elle est poursuivie au nom de la loi de 2016 relative à la cybercriminalité. D’un autre côté, des pans de la communauté maure trouvent que Marième Cheikh est allée trop loin dans la stigmatisation des maures en implorant Allah que « s’abatte sur les maures blancs (bidhanes) une pandémie pire que le coronavirus ».
Certains estiment que « son combat contre l’esclavage et les disparités est juste mais peut bien se passer du discours haineux étant entendu que l’esclavage et les disparités affectent toutes les communautés nationales, même s’ils touchent de manière plus forte la communauté haratine ».
« Les gens sont fatigués. Celui qui ne tendait pas la main commence à la faire. Qu’Allah fasse que s’abatte sur les maures blancs (Bidhanes ) une pandémie pire que le coronavirus ».
Il s’agit là d’un des derniers postings de Marième Cheikh, membre fondatrice du mouvement abolitionniste IRA, bloggeuse de renommée et combattante chevronnée de la cause antiesclavagiste, qui lui aurait value d’être arrêtée le 13 avril 2020, « séparée de son bébé, et conduite dans une cellule de la Direction générale de la sûreté », selon des informations recueillies auprès de ses compagnons de lutte, après trois jours pendant lesquels, ils disent avoir ignoré l’endroit où elle était « séquestrée ».
Cette arrestation a été dénoncée par plusieurs partis et organisations des droits de l’homme, comme le Parti pour l’environnement (PMDE), le parti non encore reconnu RAG, bras politique du mouvement IRA, plusieurs associations en Europe, l’Association des femmes chefs de famille (AFCF), SOS Esclaves qui s’est insurgé dans un communiqué contre une arrestation « intervenue de manière provocatrice, inhumaine et dénuée de tout respect des dispositions des textes et conventions nationaux et internationaux garantissant à tout détenu tous ses droits humains, comme la permission aux siens de connaître son lieu de détention, d’avoir l’assistance d’un avocat et sa comparution devant les juges dans les délais légaux ».
Dans un communiqué publié le 17 avril 2020, la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) indique avoir rendu visite à Marième Mint Cheikh dans son lieu de détention, affirmant s’être informée de son état de détention et sur sa santé, avant de souligner avoir rencontré son époux et s’assurer que c’est elle-même qui a souhaité ne pas avoir son bébé avec elle.
La Commission s’est engagée à suivre son dossier pour s’assurer qu’elle jouira de l’ensemble de ses droits, droit à un procès équitable, droit à la visite de ses proches et de son avocat, ainsi que celui de jouir de l’ensemble des droits que lui garantit l’Etat de droit, y compris l’accès à des soins médicaux si elle le souhaite. (https://cndh.mr/fr/15-contenu-français/actualites-evenements/303-commission-nationale-des-droits-de-l-homme-communique).
Le Mécanisme national de prévention de la torture a également publié un communiqué le 17 avril 2020 dans lequel il déclare que son président a rendu visite à Marième Cheikh « afin de s’assurer des conditions de sa détention », soulignant plus loin que l’entretien privé entre le président du Mécanisme et la détenue, en présence de son mari, a permis de constater qu’elle « était bien portante et qu’elle avait reçu la visite de son mari et de son avocat » et qu’elle « tenait son bébé entre les bras ». (http://cridem.org/C_Info.php?article=735055)
Une arrestation à relent de déclaration de guerre
Pour les militants d’IRA, « l’arrestation de Marième Mint Cheikh, bête noire des esclavagistes et du pouvoir politique qui les soutient, est le signal d’une hostilité que le régime de Mohamed Cheikh Ghazwani compte ouvrir contre le mouvement IRA, sur la même lancée que son prédécesseur ».
Pour que cette arrestation soit facilement consommable auprès de l’opinion par le biais de la loi contre la discrimination, le nouveau pouvoir dans sa croisade contre IRA aurait usé de subterfuge, par le biais d’un nommé Bouceif Hmeiti, cadre à la SNIM de Zouerate qui a posté sur whatsap un vocal virulent faisant l’apologie de l’esclavage et s’attaquant aux haratines, selon les camarades de lutte de Marième Mint Cheikh.
Son arrestation sur la plainte de deux ONG jugées proches du pouvoir par les militants d’IRA, serait d’après eux le prétexte qui a été utilisé par le pouvoir mauritanien pour arrêter en même temps Marième Mint Cheikh, pourtant connue depuis longtemps pour ses postings dénonçant « le pouvoir des maures ».
« Seulement, si Bouceif Hmeiti a été relâché jeudi 16 avril, la militante antiesclavagiste reste toujours aux fers, les autorités lui refusant même de téter son bébé ou d’avoir la visite de ses parents, alors que les délais légaux de garde-à-vue (48 h) ont été largement dépassés », dénoncent ses proches.
Les sources à Zouerate affirment que Bouceif Hemeit avant sa remise en liberté conditionnelle a promis de ne plus récidiver et présenté ses excuses à tous ceux qui se sont sentis offensés par son vocal dans lequel il avait dit que les organisations et les syndicats ne s’occupent que de l’injustice touchant les Haratines et ne s’engagent pas pour celles commises à l’encontre des maures blancs.
L’arrestation de Mariem Cheikh a, en tout cas, galvanisé la jeunesse d’IRA dans ses différents démembrements à l’intérieur du pays et à Nouakchott, mais aussi à l’extérieur, eux qui, à travers communiqués et surchauffes sur la toile ainsi que les réseaux sociaux, se déclarent prêts à en découdre avec le pouvoir de Mohamed Cheikh Ghazwani.
« Nous sommes fidèles à notre rôle de résistants, comme au temps de Mohamed Abdel Aziz » ont-ils déclaré dans un posting (https://facebook.com/1320256252/posts /10217634828245419/?d=n)
Sur la même lancée, les démembrements du mouvement en Europe, notamment en France et en Belgique, ont publié des communiqués dénonçant cette arrestation.
Au nom de la résistance maure
L’arrestation de Marième Cheikh a suscité la levée de boucliers de certains mouvements naissants qui se veulent les portes-flambeaux de la communauté maure. Certains d’entre eux ont même salué la décision des autorités judiciaires d’arrêter la militante d’IRA, trouvant qu’il « faut stopper l’extrémisme du mouvement IRA par un extrémisme maure ».
Ces mouvements, accusés par les militants d’IRA « d’être la fabrication des Renseignements généraux et des milieux féodaux maures », accusent IRA et le mouvement négro-africain FLAM de vouloir diviser les Mauritaniens sur des bases raciales, tout en attisant les feux d’une confrontation intercommunautaire. Ils accusent Marième Mint Cheikh d’être le fer de lance de cette division raciale, à travers ses postings et ses provocations incessantes contre les « Bidhanes ».
Cette offensive des mouvements de jeunes maures contre les militants d’IRA et des FLAM est née du discours de Birame Dah Abeid à Genève, lorsqu’il a qualifié le pouvoir en Mauritanie d’apartheid. Depuis, « les attaques et les contre-attaques via les réseaux sociaux se sont multipliés entre ses différents camps, créant une atmosphère délétère qui risque d’empoisonner l’air de la cohabitation entre les différentes communautés » selon certains milieux maures dit « modérés ».
Whatsapp et Facebook, un groupe dénommé Front de défense des maures (FADDM) commence à diffuser des messages appelant à une confrontation armée avec les autres composantes, certains y traitant les haratines de « bâtards », soutenant que le pouvoir en Mauritanie ne peut être dirigé que par les Maures.
Sur d’autres plateformes, les maures sont également traités de tous les noms d’oiseaux par des jeunes activistes proches d’IRA.
Beaucoup d’observateurs s’étonnent d’ailleurs que leurs auteurs n’aient jamais été inquiétés, alors que certains parmi ceux-ci sont allés plus loin, en créant une carte de ce qu’ils appellent « l’Etat maure » qui englobe le sud de l’Algérie, du Maroc et le Nord du Mali (https://web.facebook.com/photo.php?fbid=664531747453675&set=a.129371750969680&type=3&theater).
La loi sur la discrimination
La Loi 2018-023 du 18 juin 2018 portant incrimination de la discrimination et du discours haineux sous l’aune de laquelle Marième Cheikh serait arrêtée, d’autres évoquant des charges sur la base de la Loi de 2016 sur la Cybercriminalité, a été pourtant dénoncée dès sa publication par toutes les organisations internationales des droits humains, les Nations Unies, Amnesty international et le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD).
Ces organisations reprochent à la loi de 2018 son absence de clarté juridique et une définition qu’elle donne de la discrimination non conforme à la Convention.
Ainsi, l’Etat mauritanien a été interpellé sur cette question par ces organisations qui ont perçu parmi certaines de ses dispositions des incohérences pouvant ouvrir la voie à des interprétations de nature à conduire à des restrictions dans l’exercice de certains droits humains.
Mieux, trois Rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont cosigné et adressé le 24 janvier 2018 une correspondance au gouvernement mauritanien, attirant l’attention sur les risques de bavure et les incohérences de cette loi pouvant conduire, notamment, au musellement des militants abolitionnistes ou autres promoteurs de l’égalité.
Le Gouvernement mauritanien avait réagi en 2018, à la communication conjointe des trois Rapporteurs spéciaux des Nations Unies, se rapportant à la loi relative à l’incrimination de la discrimination, indiquant que pour définir la notion de discrimination, les Rapporteurs ont demandé le recours au Pacte International Relatif aux droits civils et Politiques (PIDCP) ainsi qu’au Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et à la Convention Internationale pour l’élimination de toutes formes de discrimination raciale, au motif, qu’ils sont supérieurs aux lois dans la hiérarchie des normes et ce, conformément à l’article 80 de la Constitution mauritanienne de 1991.
Le Gouvernement avait souligné que comme pour le droit français dont la Mauritanie s’inspire, dans l’ordre juridique interne, la Constitution mauritanienne a une primauté sur les engagements internationaux et notamment les traités.
En France, cette suprématie a été d’ailleurs affirmée par le Conseil d’Etat dans un « arrêt Sarran » du 30 octobre 1998. Selon cet arrêt, la suprématie des engagements internationaux conférée par l’article 55 de la constitution de 1958 « ne s’applique pas, dans l’ordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle ».
En Mauritanie avec l’article 80 de la Constitution comme en France avec les articles 53 et 54 de la Constitution, la primauté de la Constitution sur l’ordre international est à tout point de vue sacralisée.
Il résulte que les engagements internationaux doivent être conformes à la Constitution et faire l’objet d’une ratification. Or la Loi de ratification peut être soumise à un contrôle, lorsqu’un engagement international est contraire à la Constitution.
Or, la Charia constitue un élément référentiel de premier ordre dans la Constitution mauritanienne dont la primauté sur les conventions internationales repose sur un principe de base constitutionnel.
En effet, la Constitution de 1991 dispose, non seulement, dans son préambule que la Charia est la seule source de droit en Mauritanie, mais aussi, respectivement dans ses articles 1 et 5, que la Mauritanie est une République Islamique et l’Islam, religion du Peuple et de l’Etat.
Dans un contexte national, où l’islam est l’unique source de droit et religion du peuple et de l’Etat, vouloir considérer la religion (articles 2 du PIDCP et du PIDESC) comme motif de discrimination prohibé, relèverait de l’impossible, avait répondu le gouvernement mauritanien aux Rapporteurs des Nations Unies
Cheikh Aïdara
Source : L’Authentique (Mauritanie)