Les travaux du Port de N’Diago, situé à 250 kilomètres au sud de Nouakchott et à 40 km de Keur Macène, département frontalier avec Saint-Louis du Sénégal, touchent à leur fin.
Alors que, dans la même zone, le consortium dirigé par BP maintient le cap sur 2022 pour mettre sur le marché le gaz extrait du projet GTA mis en commun par la Mauritanie et le Sénégal.
L’importance stratégique de l’arrondissement de N’Diago (sous préfecture) en tant que zone-frontière est en train de prendre une autre dimension avec la construction d’un port multifonctions (de pêche, commercial et militaire), mais surtout, l’exploitation en 2022, du méga gisement gazier Grand Tortue Ahmeyim découvert, en 2015, par Kosmos Energy sur la frontière maritime mauritano-sénégalaise.
Si les retombées économiques de cette exploitation sont plus qu’évidentes pour les deux pays (de nouvelles ressources budgétaires et l’approvisionnement en gaz devant servir à produire de l’électricité), l’on peut se demander quels bouleversements (positifs et négatifs) peuvent engendrer une telle situation ? Pour connaître la nature de ces changements, en termes de perspectives et surtout d’attentes, il suffit de voir comment les populations de la zone expriment, en termes de développement ce qui peut être l’une des zones de production les plus importantes de la Mauritanie.
Sous peu, N’Diago «ne sera plus N’Diago», affirme un cadre de cette commune composée de 28 villages comptant plus de 20.000 habitants, selon le plan de développement publié en septembre 2014 par l’équipe municipale de l’époque. Il fait sans doute allusion au Port multifonctions qui pourrait être livré aux autorités mauritaniennes avant la fin du premier semestre de 2020.
Le Port de N’Diago construit dans la zone de Mouli (Leksaïr) parachève les infrastructures maritimes sur une côte atlantique de près de 754 kilomètres (80ème rang sur 151 pays) : le port de Nouadhibou, à l’extrême nord, Tanit et Nouakchott, au milieu, et ce nouveau port multifonctions au sud-ouest, à l’embouchure du fleuve Sénégal. Il devrait accroitre les capacités de soutien logistique et de transport maritime du pays, renforcer les capacités opérationnelles des forces armées face aux défis sécuritaires et raffermir la souveraineté de l’État sur la zone économique exclusive (ZEE) mauritanienne.
La fiche de présentation de ce port en fait le plus important du pays : « l’infrastructure dont les travaux ont commencé en 2016 comptera un port militaire à quai accostable des deux bords, une base navale, un port de pêche d’une capacité de sept quais de débarquement, un chantier naval d’une capacité de 70 navires par an, un quai de commerce pouvant recevoir plusieurs bateaux de 180 mètres de long et un pont de débarquement pour la pêche artisanale. »
Le projet est jugé stratégique par le gouvernement Mauritanien, qui l’a financé à hauteur de 125,7 milliards d’ouguiyas (352 millions de dollars).
Une mission intergouvernementale a visité le port, mi-janvier, dans le cadre des études préalables à l’élaboration du plan d’aménagement du Pôle de développement de ce Port. Une orientation confirmée par le Premier ministre, Ismail Ould Bodde, dans le rapport-bilan qu’il a présenté, le 29 janvier 2020, devant l’Assemblée générale.
Effets d’entrainement
Avec le port et le gaz, tout le département verra se produire, à divers niveaux, des changements conséquents dans le mode de vie des populations. Déjà en concurrence avec Rosso au niveau de la production rizicole, avec près de 17.000 hectares offrant les meilleurs rendements (jusqu’à 7 tonnes à l’hectare), Keur Macène connaîtra probablement un afflux sans précédent de populations attirées par les nouvelles opportunités d’emplois et d’affaires. La réalisation du tronçon Keur Macène-N’Diago (80 km) annoncé également par le Premier ministre dans son rapport-bilan jouera le rôle de catalyseur dans une zone qui, malgré ses potentialités énormes, souffre d’un enclavement rudement senti par une population tournée vers les activités du secteur primaire (pêche, agriculture, élevage).
La zone a aussi un potentiel touristique évident, avec le parc de Diawling et 260 kilomètres de littoral atlantique dont le calme n’est troublé que par le bruit des vagues et les cris des oiseaux.
Le maire adjoint de N’Diago, Abdi Ntefi, espère que cette situation changera avec la mise en service du port de N’Diago et le début de l’exportation du gaz : « On espère que, grâce au port et au gaz, il y aura un rééquilibrage entre notre zone et nos voisins sénégalais qui, en termes d’infrastructures, sont très en avance. Il est inadmissible que les cadres de BP qui viennent nous voir passent leurs nuits dans les hôtels de Saint-Louis, pour des raisons de confort, alors que le projet qui justifie leur présence est commun » aux deux pays.
Beaucoup soulignent la nécessité de penser urgemment à des projets de développement du tourisme dans une région qui ne manque pas d’atouts : une position géographique privilégiée (le fleuve), l’océan atlantique avec un climat doux, le parc de Diawling, des animaux sauvages, les îles qu’entourent les défluents du fleuve Sénégal et qui peuvent être inscrites dans les circuits proposés, chaque année, aux touristes comme élément de la diversité culturelle de la Mauritanie.
Le fleuve et l’océan
La particularité de N’Diago est d’être pris en étau entre la mer et le fleuve. Une situation dont les habitants tirent incontestablement d’énormes avantages en s’adonnant, avec un égal bonheur à la pêche fluviale pratiquée traditionnellement par des populations possédant une expérience avérée dans le domaine, et une pêche artisanale dont les campements s’alignent, sur plus de 200 kilomètres, entre N’Diago et Nouakchott.
Choisie par les autorités comme site de débarquement des prises opérées par les pêcheurs sénégalais dans le cadre de l’accord conclu entre la Mauritanie et le Sénégal, le port de N’Diago pourrait donc mettre fin à ces débarquements anarchiques tout le long de la côte. Il permettrait aux pêcheurs de travailler dans les conditions sanitaires requises et aux gardes côtes mauritaniennes un meilleur contrôle des prises.
Menacé par la remontée de la mer, le village de N’Diago dont le statut de canton remonte à 1906, était à plusieurs centaines de mètres du rivage, raconte un habitant. En 2018, plusieurs maisons furent envahies par la montée des eaux de l’océan. Face à cette menace, les autorités ont choisi un nouveau site, comme cela a été fait pour la ville de Rosso, mais la décision rencontre une forte résistance de la part d’habitants dont l’océan et le fleuve sont devenus une partie d’eux-mêmes.
Plus que l’exploitation du gaz, la mise en service du port apportera de grands bouleversements (emplois, ouverture sur le monde, accroissement des activités de pêche, flux migratoires, etc.). Mais la commune de N’Diago est-elle prête à de tels changements ?
Par Mohamed Sneïba
Correspondant permanent – Nouakchott
Source : Afrimag (Maroc)