Coronavirus : Pour une stratégie économique de survie en Mauritanie / Par Mohamed Ali OULD LEMRABOTT

 Coronavirus : Pour une stratégie économique de survie en Mauritanie / Par Mohamed Ali OULD LEMRABOTTFace à la pandémie du coronavIrus qui risque malheureusement de durer un certain temps, au niveau mondial la Mauritanie a jusqu’ici plutôt bien réagi malgré un contexte anthropologique et social peu propice à la diffusion des bonnes pratiques de prévention sanitaire et de changement de comportement au niveau des populations. Bien sûr toute oeuvre humaine est perfectible et le ministère de la santé qui a déjà beaucoup fait viendra à bout des quelques petites insuffisances qu’il a lui-même décelées.

Les autres ministères en feront de même. En particulier, nous devons avoir davantage le souci du détail car une guerre se gagne ou se perd sur des détails justement. Au plan économique, des efforts louables sont également faits.

Toutefois, en attendant que l’économie mondiale reparte, le Gouvernement doit opter clairement pour une stratégie de survie de moyen et de long terme qui mette le pays à l’abri de la dépendance vis-à-vis d’une économie mondiale susceptible de plonger dans une crise profonde et durable au cas où, à Dieu ne plaise, la pandémie devait perdurer.

Cette stratégie serait de nature défensive et consisterait en un repli sur soi, un peu à la manière d’un animal qui craignant pour sa vie ferait le gros dos face à une agression extérieure ou pour hiberner le temps que le mauvais temps passe.

Elle aurait pour vision d’assurer dans une perspective de durabilité la pérennisation de la nation mauritanienne en tant qu’ État moderne et souverain et la préservation de la santé des populations à travers la rationalisation des ressources et des processus de production et de consommation en vue de se rapprocher de l’autosuffisance alimentaire dans un horizon incertain en matière d’approvisionnemen extérieur subi ou volontaire de notre part et de garantir la continuité des services publics essentiels comme l’eau et l’énergie.

Elle doit reposer sur nos avantages comparatifs et sur la valorisation de nos modes de production et de consommation traditionnels millénaires.

Devant cette crise sanitaire sans précèdent, nous nous ferions donc forts de nous regrouper dans cette position foetale dans l’étage du bas de la construction de Fernand Braudel, laquelle fait de cet étage inférieur celui de la survie en cas de coup dur pour l’économie.

Le fait est que l’un des secteurs l’expose plus à la crise de l’offre au sens de René Courbis est celui des denrées alimentaires.

C’est pourquoi et pour nourrir la population, objectif prioritaire s’il en est , nous devons produire massivement du mil en irrigué sur le fleuve en faisant revivre la vocation de la Chemama comme grenier du pays.

Les cultures sous pluie continueront également. Le mil étant la céréale pour laquelle nous avons le meilleur rendement et que nous consommons depuis des millénaires . Le recours à l’irrigation s’explique par la nature capricieuse du ciel et par la rarete de la pluie à l’heure actuelle. La production de riz sera poursuivie. Celle du blé aussi en irrigué sur le fleuve et dans les oasis.

Afn de preserver l’économie de marché les denrées alimentaires de base seront vendues à des prix raisonnables et seront gratuites pour les familles figurant sur le registre des filets sociaux. Des cash transferts seront opérés en faveur de cette catégorie de population pour acquérir les denrées complémentaires.

Nous produirons sous serres des légumes à plus grande échelle sur le littoral toute l’année et à l’intérieur du pays durant la saison fraîche même si nos ancêtres ne connaissaient pas les légumes dits modernes comme la carotte ou la tomate et même si nous pouvons donc nous passer quelque temps de ces produits étrangers bourrés de pesticides.

En termes de proteines, nous mettrons le poisson séché et frais à la disposition du peuple.

Nous ferons sécher la viande qui sera distribuée à un prix tout aussi abordable Nous produirons beaucoup de haricots comme nous savons le faire et des graines de pastèque. Nous fournirons l’aliment de bétail au cheptel en ce temps de soudure pour maintenir la production de lait et de viande.

Nous stockerons chaque année le fourrage pour l’été. Nous ferons venir par bateau suffisamment de lait en poudre et d’huile végétale sans cholestérol pour consolider le stock en place.

Nous cueillerons les légumes sauvages traditionnels comme la feuille de baobab et les épinards. Pour les fruits nous devons favoriser la consommation des fruits locaux riches en vitamines et oligoéléments comme le pin de singe ou Tejmaght qui est six fois plus riche en vitamine c que l’orange et dont l’Europe même venait justement de découvrir les qualités nutritionnelles ces dernières années.

Consommer de l’orange quand on a du Tejmaght est aussi une forme d’aliénation culturelle…Ce n’est pas une fatalité de consommer suivant les standards de consommation dominants mondialement. Les dattes locales riches en magnésium et en sucres seront d’un apport certain.

Forts de tout cela, nous devons d’urgence stopper le flux de camions de légumes venant de l’étranger car ils risquent de nous apporter le virus avant toute chose.

Au plan de l’énergie nous consommerons d’abord de l’électricité solaire et éolienne ainsi que celle provenant du barrage de Manantali.

L’approvisionnement en hydrocarbures liquides et en gaz sera assuré en tant qu’autre priorité. Les stocs de médicaments seront renouvelés sans délai avec une marge de sécurité sous forme de surstock.

A court terme nous pouvons couvrir les besoins des populatons durant les six à neuf mois à venir au moyen des stocks existants et du recours prudent à l’importation ciblée et par bateau pour diminuer au maximum le risque d’importation du coronavirus. Je reviendrai sur cette première phase de transition plus tard.

Ce retour aux fondamentaux de notre société et cette combinaison secteur traditionnel-secteur moderne valorisant la nature duale de notre économe en en faisant un avantage plus qu’une contrainte et en enrolant le secteur traditionnel de l’économie dans le jeu du marché auront aussi pour avantage de préserver le secteur moderne de l’économie des déséquilibres macroéconomiques en attendant des jours meilleurs qui viendront à la grâce de Dieu.

Mohamed Ali OULD LEMRABOTT,
Expert international
Ancien Conseiller stratégique du PNUD (ONU),
Professeur d’universités
Consultant international

Source : Aqlame (Mauritanie)