Le docteur Richard Kojan, médecin anesthésiste congolais, est le président de l’ONG humanitaire médicale ALIMA (Alliance for International Medical Action), qui s’est imposée depuis sa création, il y a dix ans, comme un acteur incontournable de l’humanitaire médical en Afrique.
Dans un entretien avec Mondafrique, cet expert éminent craint que cette épidémie ne frappe le continent africain avec au moins la même violence que dans le reste du monde, même si on ne compte pour l’instant que 3000 cas de maladie.
L’originalité de l’ONG ALIMA est sa gouvernance, fondée sur le partenariat avec les acteurs humanitaires nationaux, les médecins locaux et la société civile sur place et son engagement très fort dans la recherche et l’innovation. En dix ans, ALIMA a traité plus de 5 millions de patients dans 14 pays et lancé environ 30 projets de recherche sur la malnutrition, le paludisme, le virus Ebola et la fièvre de Lassa.
Alors que le Coronavirus fait son arrivée en Afrique, Richard Kojan réclame l’ouverture de couloirs sanitaires pour permettre à l’aide humanitaire médicale de venir en aide aux populations
Nathalie Prevost
Mondafrique. : Quel va être, selon vous, l’impact de la pandémie du Coronavirus en Afrique ?
Richard. Kojan. : L’impact du coronavirus en Afrique va être le même qu’ailleurs. A la différence que l’Afrique compte moins de ressources en termes d’infrastructures à tous les niveaux, hospitalières ou de services de santé primaire. Quand je parle de ressources, je pense aux infrastructures, aux ressources humaines, à l’expertise qu’il faut.
Avec un nombre de lits d’hospitalisation – sans même parler de lits de réanimation – d’infirmiers et de médecins réduit, un ratio soignants/population très faible comparé aux pays développés, l’Afrique risque de subir un impact important, très important en termes de pertes en vies humaines.
Mondafrique. : Peut-on espérer que la jeunesse de la population africaine soit un facteur de moindre contagion ?
R. K. : La population en Afrique est beaucoup plus jeune, certes, mais les co-morbidités, du fait d’un moindre accès aux soins réguliers, sont présentes chez des personnes moins âgées qu’en Europe. Et en raison de ces co-morbidités, antécédents cardiovasculaires, diabète, je pense que la situation sera comparable en termes de vies humaines. La mortalité va se jouer sur le manque de lits d’hospitalisation et d’accès aux soins, faute de soignants en nombre suffisant. De nombreux patients risquent de mourir sans assistance.
« Comment les gens pourront-ils rester chez eux sans trouver de quoi manger ? »
Mondafrique. : Peut-on imaginer, dans le contexte africain, des mesures de confinement comparables à celles qu’on connait en Europe, en Chine ou aux Etats-Unis ?
R. K. : La culture, en Afrique, c’est d’être solidaire partout. Chez moi, à Kinshasa, la vie, elle se fait dans la rue ; tout le monde est avec tout le monde. Au-delà du fait culturel, l’économie étant faible, l’informel a beaucoup plus d’importance que le formel et les gens vivent au jour le jour pour gagner leur vie. Ils sont obligés de sortir faire du business et gagner de l’argent. Ce sera compliqué d’appliquer des mesures de quarantaine sans apport extérieur, sans un appui social aux mesures de restriction de mouvement.
Comment les gens pourront-ils rester chez eux sans trouver de quoi manger ? Cela ne va pas le faire. Je ne vois pas comment ce sera possible. Il faut craindre que le virus ne circule avec une grande intensité en Afrique.
Mondafrique : Quels conseils donneriez-vous aux gouvernements africains ?
R. K. : Ce qu’ils doivent faire, à l’image des Etats occidentaux, c’est de réajuster leur budget, trouver des moyens pour freiner, stopper la circulation du virus. Sinon, on croise les bras et on compte sur la saturation du phénomène. Mais alors, ce sera le chaos.
Pour stopper la circulation du virus, il faut limiter les mouvements, les contacts, prendre les mesures de quarantaine. Conseiller aux gens de rester chez eux, de ne pas bouger et faire appel à des agences qui peuvent financer, par exemple, les femmes pour qu’elles apportent à manger à ces gens-là. Il faut assurer les besoins de base de tous ceux qui sont en quarantaine, comme on le fait à l’hôpital. Il faut trouver des moyens pour ça. En soutenant ces mesures de quarantaine, on pourra stopper la circulation du virus et permettre, sur une longue période, à la recherche de progresser et d’aboutir. Il faut gagner du temps.
En Afrique, il y a moins de supermarchés approvisionnés et de cartes de crédit qu’en Europe.
Mondafrique. : Quel type de quarantaine faut-il imaginer ?
R. K. : Si c’est possible d’identifier les personnes à risque, il faut les protéger, les mettre en confinement. On peut mettre des quartiers en quarantaine, des villes en quarantaine, pour arriver à freiner la progression du virus. Il faut parler, expliquer, informer dans la transparence, faire de la pédagogie. Les populations adhéreront alors.
Pour que ça marche, il faudra ce volet social ; il faudra apporter à manger aux gens. Certains acteurs ont cette capacité et font déjà de la distribution à grande échelle, comme le Programme Alimentaire Mondial. Il faut ce type d’action. En Afrique, ce n’est pas comme en Europe : il y a moins de supermarchés approvisionnés, de cartes de crédit, d’économies à la banque. Faute de soutien social, les gens ne respecteront pas les mesures de confinement et le virus circulera intensément.
Mondafrique. : Quel est, pour le moment, le plus grand défi à relever pour vous ?
R.K. : Nous avons un besoin vital, dans ce confinement qui se généralise, de créer des accès sanitaires. Pour que les ressources humaines qui ne sont pas en quantité suffisante en Afrique puissent bouger d’une frontière à une autre, d’un pays à un autre. Pas seulement les ressources humaines, mais aussi les approvisionnements, les médicaments de base pour les traitements symptomatiques de tous ces malades, les tenues de protection pour les soignants.
Mondafrique. : Vous êtes bloqués actuellement ?
R.K. : Ca fonctionne encore un peu, parce qu’à Alima, on travaille avec des communautés, dans une approche d’intégration et de partenariat, avec des cadres et des soignants qui sont majoritairement issus du milieu où on mène les projets. Donc ça marche encore un peu, mais ce n’est pas suffisant. Les frontières se referment les unes après les autres et on risque de ne plus pouvoir déplacer ces personnels qui bougent d’un pays à un autre en fonction des besoins à l’intérieur de la région. Il faut qu’on laisse des couloirs sanitaires ouverts pour que les soignants, les experts, les logisticiens, les intrants, les bottes, les combinaisons, les gants circulent, pour assurer la sécurité des soignants et des soignés. A cause du confinement, du jour au lendemain, on ne peut plus accéder à notre centrale d’achat à Bruxelles. Mais il n’y a pas que Bruxelles.
Au-delà même du coronavirus, se pose la question générale de l’approvisionnement de l’Afrique en médicaments. Les médicaments consommés en Afrique viennent principalement de Chine et d’Inde. Avec les frontières fermées, comment va-t-on pouvoir fournir la chimio-prophylaxie pour le paludisme à l’approche, dans quelques semaines, de la saison des pluies ?
Si le confinement frappe l’accès sanitaire, il n’y aura plus rien. Plus rien pour soigner les enfants atteints de paludisme grave ou de malnutrition sévère après la soudure, la période qui précède le début des récoltes. Nous comptons sur les grandes agences internationales pour faire passer ce message. Et nous appelons les Etats africains à ne pas bloquer hermétiquement le mouvement des avions.
Il se pose la question de l’approvisionnement de l’Afrique en médicaments.
Mondafrique. : Pour faire face au coronavirus, pouvez-vous tirer parti des leçons apprises dans la lutte contre Ebola ?
R.K. : Les mesures d’hygiène de base vont rester les mêmes, même si les modes de transmission sont différents. Nous avons des personnels soignants, dans la région de République Démocratique du Congo – qui n’est pas encore officiellement sortie d’Ebola – qui sont au point avec les procédures d’habillage et de déshabillage. C’est un petit avantage.
Nous avons aussi dû gérer des difficultés culturelles : le fait de ne pas se toucher, les enterrements sécurisés isolant les corps de la famille. C’est la raison pour laquelle les autorités du Sénégal, du Cameroun ou du Burkina Faso sont très ouverts à notre collaboration : parce que nous avons fait bouger des lignes sur la prise en charge des patients Ebola en Afrique centrale. On a mis au point des outils qui sont certifiés aujourd’hui et qu’on va utiliser pour aborder le coronavirus.