Celle-ci exacerbe les clivages sur l’enseignement des langues nationales, et ravive la problématique plus globale de la cohabitation des communautés du pays. C’est dans une véritable cacophonie que le vieux débat sur la question des langue est relancé en Mauritanie, alors qu’il agite le pays à intervalles plus ou moins réguliers depuis plusieurs dizaines d’années.
Cette vieille querelle a ressurgi après un incident entre le président de l’Assemblée Nationale de Mauritanie, Cheikh ould Baya, issu de l’Union Pour la République (UPR), principal parti de la majorité, et Coumba Dada Kane, députée et militante de l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (une ONG anti-esclavagiste), a entraîné, ces derniers jours, un torrent de réactions et d’abondants commentaires sur la presse mauritanienne et internationale.
Un épisode documenté dans une vidéo dans laquelle on entend le président de l’Assemblée, Cheikh ould Baya, officier à la retraite et proche de l’ancien chef de l’Etat, Mohamed ould Abdel Aziz, s’adresser à l’élue de l’opposition en ces termes «un discours en français n’a pas de sens ici à l’assemblée nationale. Si vous parlez en français, sachez que, en tous les cas, que ceux qui vous ont élu ne comprendront pas».
Cette position affichée par le président du parlement a été contredite quelques jours plus tard, par une déclaration de cette même institution, affirmant «que le français, comme toute autre forme d’expression, n’a jamais fait l’objet d’une quelconque interdiction dans l’hémicycle et certains députés continuent à en faire usage. Pas plus tard que durant la dernière session plénière, des élus se sont éloquemment exprimés dans cette langue, qui reste en effet un moyen de communication incontournable, dans les documents, lois et correspondances de l’assemblée».
La querelle refait donc surface depuis quelques semaines, et la mouvance nationaliste négro-africaine réchauffe ses revendications de toujours, portant sur l’officialisation et l’introduction des langues nationales dans le système éducatif.
Réponse des milieux proches du nationalisme arabe: oui, mais la transcription doit se faire en caractères arabes.
Une perspective que les porteurs de cette revendication ne peuvent envisager, dans la mesure où ces langues nationales, parlées ailleurs dans le voisinage immédiat de la Mauritanie, sont déjà transcrites en caractères latins. D’où la boutade de ce Mauritanien: «et si quelqu’un demandait une nouvelle transcription de l’arabe en caractères latins?».
Du point de vue des grands principes, l’article 6 de la Constitution mauritanienne, promulguée le 20 juillet 1991, et qui a connu une série d’amendements depuis juin 2006, stipule que «les langues nationales sont: l’arabe, le peul, le soninké et le wolof. La langue officielle et l’arabe».
Dans la loi fondamentale du pays, aucune allusion n’est faite sur le français, qui, pour autant, ne saurait être exclu du champ juridique, du fait des usages et de la coutume, qui sont également sources de droit.
Colère de l’opposition
Réagissant aux propos du président du parlement, le l’ONG Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) a renvoyé cette affaire à une question de fond, «un substrat», qui sert de base à l’exclusion.
En effet, pour les militants de ce mouvement dirigé par le leader Biram Dah Abeid, «l’incident du 31 janvier dernier procède d’un processus de réécriture et de falsification du passé. La dynamique négationniste résulte, elle, de l’arabisation au rabais, conduite, depuis les années 1980, avec comme bilan la destruction du système éducatif, de la justice, de l’administration et l’abrogation de l’égalité des chances. Ce délire atteindra un paroxysme morbide, entre 1986 et 1991, avec des années de tortures, de déportations, d’assassinats, de spoliations foncières et d’humiliations, des crimes restés impunis jusqu’ici», dénonce l’IRA, qui déplore la loi d’amnistie qui avait été décrétée, que les rescapés, les ayant droits des victimes, ainsi que les organisations nationales et internationales des droits humains, qualifient de «scélérate».
De son côté, le Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD), un parti de l’opposition, rappelle, dans un souci d’apaisement, que «dans tout régime démocratique, il est une tradition incontournable concernant l’usage des langues nationales au parlement, pour une large diffusion des interventions des représentants de la nation. Une démarche pertinente qui permet aux citoyens d’appréhender les enjeux des lois qui leur seront appliqués, contribuant ainsi à relever la conscience démocratique nationale».
Ainsi, de ce point vue, l’introduction de la traduction en langues nationales des débats qui ont cours au sein du parlement apparaît, pour le RFD, comme un pas dans la bonne direction.
Les militants de ce parti, dirigé par Ahmed ould Daddah réitèrent «l’attachement {du RFD} au renforcement de l’unité nationale, dans la reconnaissance mutuelle, et le respect des différences, pour assurer à terme une réelle indépendance culturelle par un enseignement unifié, basé sur nos langues nationales, tout en maintenant la langue d’envergure internationale, notamment le français, comme un outil d’ouverture».
Quel statut juridique pour le français?
Devant ce déchaînement de passions, et ce réveil de vieilles rancœurs, un spécialiste du droit, pose cette série d’interrogations, pertinentes aussi bien d’un point de vue juridique, pratique voire relevant même du simple bon sens: y a-t-il un texte législatif et réglementaire qui mentionne que le français est une langue de travail en Mauritanie? Alors comment justifier le fait qu’un document officiel quelconque soit rédigé en Français?
Autrement dit, à ce jour, les activités du parlement le sont en toute illégalité. Pire encore, les textes en vigueur sont frappés de nullité. De plus, à simple titre d’exemple, les services bancaires, y compris le règlement de la Banque Centrale, sont rédigés en français.
Donc, de l’avis de ce juriste, l’ensemble de l’administration, dont son plus haut symbole, la présidence, travaillent dans l’illégalité, ou alors, déclare-t-il, ce sont «les propos du président du parlement qui sont prononcés en violation de la loi».
En effet, pour cet interlocuteur, il faut avant tout adopter une démarche consistant «interroger le droit, et la coutume établie est une source de droit. Une personne physique ne peut, quel que soit son titre, se lever un matin et dire que désormais on ne s’exprime plus dans une langue qui est d’usage depuis au moins 80 ou 100 ans. Il suffit que les députés en question refusent d’obtempérer, et ce serait une bonne occasion de clarifier le débat. {Il faut donc} s’y soumettre sans résister, pas seulement par des écrits, mais avec des actes, exprimant une attitude de rejet, car le contraire reviendrait à entériner une mesure illégale», explique encore ce juriste.
Par notre correspondant à Nouakchott
Cheikh Sidya
Source : Le360 Afrique (Maroc)