Depuis plusieurs mois, voire des années, des morts et des blessés viennent grossir le rang des victimes du terrorisme. Pourtant des forces massives ont été engagées pour combattre ces forces de la terreur sans pouvoir les éradiquer.
BARKHANE, G5 Sahel, MINUSMA autant de forces aussi diverses que complexes pour des résultats plus qu’insuffisants. La mise en œuvre de ces forces s’appuie sur une stratégie certainement bien conçue et bien planifiée.
Alors pourquoi nous en sommes arrivés à ces résultats peu probants ? C’est à cette question pertinente et complexe que nous devions nous atteler à répondre avec humilité et objectivité sans prétention d’y apporter la réponse mais d’esquisser des solutions possibles.
Je ne me permettrai pas de juger la stratégie militaire du G5 Sahel et de la force BARKHANE parce que tout simplement pensée et conçue par d’éminentes personnalités politiques et militaires, mais je m’autorise à jeter un regard ouvert sur ses résultats qui sont en deçà des espérances qu’elle a suscitées, au vu des forces engagées et des moyens mis en œuvre.
La stratégie est l’art de coordonner l’action des forces militaires, politiques, économiques et morales impliquées dans la conduite d’une guerre ou la préparation de la défense d’une Nation.
Influencée par des contraintes économiques et politiques, elle est par définition le résultat de réflexions globales tenant compte de plusieurs paramètres dont le premier est le contexte, le second, l’objectif à poursuivre et le troisième, les forces en présence. Tous ces aspects ont certainement été pris en compte.
Les failles ou insuffisances qui pourraient en découler résideraient peut-être dans sa mise en œuvre opérationnelle.
Guerre asymétrique
Après avoir défini les contours de ma réflexion, allons ensemble découvrir tous les aspects de cette guerre asymétrique qui met enjeu des forces de plusieurs Etats et celles d’obscurantistes de plusieurs nationalités.
Depuis les années 2000, la bande sahélo-sahélienne a connu plusieurs attaques de faible ampleur qui ont touché la Mauritanie et le Mali occasionnant parfois des morts et des blessés, jetant l’effroi et la consternation dans les états-majors de ces pays peu habitués à cette forme de guerre.
En ce qui concerne la Mauritanie, elle a su se réinventer en posant de nouveaux postulats stratégiques et opérationnels. A problème de souveraineté, solution de souveraineté.
Les décideurs politiques et militaires mauritaniens, malgré des contraintes économiques majeures, ont reconstruit l’Armée ; en l’équipant, en la formant avec l’aide de quelques partenaires (France, Etats-Unis) et surtout en l’entraînant selon des modes d’action alliant mobilité, légèreté, souplesse, réactivité, puissance-feu et appui aérien. La philosophie générale de ces modes d’action a été de parvenir à avoir, en toute circonstance, l’initiative opérationnelle et cela a été payant depuis lors.
La réorganisation de nos services de renseignement a été un atout déterminant dans la recherche, le recueil, l’analyse et l’exploitation des informations de manière humaine et électronique.
Je l’avais dit à l’époque de la campagne présidentielle, à l’occasion d’une émission télévisée de « l’Opinion » : « La responsabilité d’un Etat est d’assumer pleinement les obligations régaliennes en matière de défense et de sécurité de son territoire car personne ne le fera à sa place. ».
Il appartient donc à ces Etats de prendre les dispositions nécessaires pour reconstruire leurs armées, les former, les entrainer et c’est un préalable urgent et vital avant que l’aide internationale ne puisse les épauler et les accompagner dans leur combat pour la survie de leurs peuples. Si la Mauritanie l’a fait, les autres peuvent le faire, c’est une question de souveraineté, de volonté politique, de détermination et d’engagement national.
Ventre mou du Sahel
Mais revenons au Mali qui est le pays le plus durement touché par ces attaques terroristes et qui fait partie du ventre mou des pays du Sahel avec le Burkina et le Niger, nous risquons l’effondrement de ce pays grandiose et légendaire.
Une partition de facto est en train de s’établir à Gao, Tombouctou, Kidal où le MNLA vient de proclamer l’auto-détermination et même son indépendance. Déjà en 2013, si ce n’était SERVAL qui avait réussi à stopper in extremis l’avancée terroriste, le Mali serait aujourd’hui autre.
Le contexte était différent, les forces djihadistes moins armées et inexpérimentées, l’Armée malienne qui était dans le désarroi n’a pu opposer qu’une faible résistance. Il faut ajouter à cela une rupture de la cohésion sociale consécutive à des conflits intercommunautaires de nature à fragiliser davantage une situation sécuritaire gravement dégradée.
Le Burkina Faso avait une armée structurée et très politisée. A la disparition de Thomas Sankara, il a consacré ses efforts à la création et le renforcement d’une unité spéciale de parachutistes qui a attisé la jalousie des autres corps constitués.
A la chute de Blaise Compaoré et du général Gilbert Diendéré, les forces politiques ont détruit ce qui restait de cette unité d’élite sans pour autant s’atteler à la création d’une Armée républicaine. Cette armée-là, mal encadrée et démobilisée n’a pas eu les capacités nécessaires pour s’opposer à la déferlante terroriste et criminelle. C’est presque l’effondrement.
Le Niger a une bonne armée en construction mais elle est confrontée à un problème de sous-équipement dans un territoire très vaste. C’est une armée très politisée parce qu’ayant eu à occuper les devants de la scène politique des décennies durant. Elle abrite aussi la base aérienne française, ce qui focalise sur elle l’attention des terroristes et des éléments Boko Haram.
La Force Barkhane dont il faut saluer au passage l’engagement et les sacrifices consentis ne peut à elle seule éradiquer le fléau du terrorisme. Elle a l’équipement qu’il faut, des hommes déterminés évoluant dans des conditions inhabituelles parce que le désert n’est pas leur théâtre d’opérations privilégié et de ce fait, constitue pour eux un handicap même s’ils ne le reconnaissent pas.
Les drones armés qui viennent d’être introduits auraient un impact relatif parce que les forces terroristes évoluent sur un théâtre qu’ils connaissent bien et sont renseignées et fugaces.
Ils bénéficient actuellement de l’apport de djihadistes qui viennent de la Lybie, du Maghreb, de l’Asie, expérimentés et déterminés et, contrairement à ce que l’on semble croire, les armes Libyennes continuent de les alimenter. Ils ont su s’attirer la complicité des populations locales moyennant des aides et actions sociales fruits de leurs multiples trafics.
Désolation et insécurité au Mali
Les forces spéciales européennes qui seront certainement déployées réduiront peut-être le lourd fardeau des morts et des blessés de cette guerre atypique, asymétrique mais ne l’éradiqueront pas.
La MINUSMA a été créée, voilà 6 ans déjà par le conseil de sécurité des Nations Unies avec comme missions l’appui aux efforts de stabilisation du pays, la protection des civils et le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national.
D’un effectif de plus de 14000 hommes, elle coûte cher et n’a pas réussi, loin s’en fait, à remplir une de ses nombreuses missions. L’autorité de l’Etat Malien n’a pas été restaurée sur l’ensemble du territoire national ; elle n’est effective qu’au sud et plus particulièrement à Bamako. La protection des civils non plus, au vu des massacres des Peuls et des exactions à l’encontre des Touaregs.
Quant à l’appui aux efforts de stabilisation, c’est une vue de l’esprit, nous n’en sommes pas encore là ; le Mali vit une situation de désolation et d’insécurité flagrante.
Au forum de Dakar sur la paix et la sécurité, Les présidents de la Mauritanie et du Sénégal ont milité tous les deux, avec vigueur et passion, pour que le multilatéralisme devienne une réalité objective dans la prise en charge de ce conflit qui affecte la paix et la sécurité du Sahel voire du monde.
Entre autres, Ils ont demandé et plaidé pour des mandats robustes, des équipements et des règles d’engagements adaptés pour mettre fin à cette guerre terroriste. Mais cela apparait comme un vœu pieux quand on se réfère à la déclaration de Mme Bintou Keïta, sous-secrétaire de l’ONU pour l’Afrique.
Elle déclarait en substance : « que la lutte contre le terrorisme est un combat qui doit être mené par les armées nationales, elle ne rentre pas dans le cadre des missions de l’ONU. Les mandats déjà robustes des missions de maintien de la paix peuvent être adaptés mais ils sont indépendants de la lutte contre le Terrorisme ».
Compte tenu de ce qui a précédé dans ma réflexion ; je ne suis pas d’avis qu’il faille réviser la stratégie adoptée pour cette problématique de la sécurité au Sahel mais il y a certainement des réajustements politiques, économiques et militaires qu’il faudra opérer rapidement.
Politique : parce que ce n’est pas une guerre du Sahel pour les pays sahéliens ; elle dépassera largement ce cadre et s’étendra, au-delà du reste de l’Afrique, au monde occidental. Economique : une solidarité plus conséquente et plus rapide des pays nantis est indispensable dans l’immédiat pour soutenir cet effort de guerre dont les seuls pays africains englués qu’ils sont dans des problèmes de développement primaire ne peuvent faire.
Et militaire : parce qu’en dehors des équipements nécessaires et vitaux dont ont besoin les armées africaines, il faut inconditionnellement soutenir cet effort de guerre et mettre en place une doctrine d’emploi de ces forces peu préparées au combat en zone désertique (hormis le Tchad et la Mauritanie) et créer et entraîner ces forces dans des schémas tactiques alliant mobilité, légèreté, fugacité, puissance de feu et renseignements proactifs.
L’implication de la CEDEAO
Enfin, il faut intégrer certaines armées de la CEDEAO telles que celles du Sénégal et du Nigéria pour peu qu’elles s’acclimatent au combat en zone désertique car ce sont d’excellentes armées, structurées, aguerries et expérimentées. Sous quelle forme, je laisse à nos illustres stratèges politiques et militaires le soin d’y réfléchir et de proposer les solutions les plus adaptées.
Cette guerre se gagnera militairement ou ne se gagnera pas. Le sous-développement, la précarité, la pauvreté, le manque d’éducation, le déficit sanitaire peuvent être à l’origine de la guerre ou inversement ses conséquences. Il faut sécuriser, stabiliser avant de développer mais il faut le faire rapidement car le temps presse, il y va de notre existence.
La déradicalisation des djihadistes capturés et détenus comme les jeunes désœuvrés en quête d’aventure a été évoquée comme solution un peu partout où le terrorisme sévit (en Afrique comme en Europe). Faite ou par d’éminents d’érudits, elle reste tributaire d’autres actions que sont la judiciarisation intransigeante des crimes terroristes et l’application ferme des sanctions qui en résultent. Il s’agira aussi en complément de ce dispositif qu’il soit offert aux repentis des perspectives de vie plus attrayante et porteuse d’espoir.
C’est pourquoi et en conclusion, j’affirme que la Force conjointe du G5 Sahel doit bénéficier du soutien financier nécessaire et suffisant pour qu’elle puisse entrer enfin en action pour tenter de gagner cette guerre qui a trop duré.
La force Barkhane et les forces spéciales Européennes à venir devront, en coordination avec les armées africaines du G5 Sahel et celles éventuellement d’autre pays de la CEDEAO, interagir de manière à tirer profit de leurs différentes capacités dont les plus importantes sont assurément le renseignement qu’il faut mutualiser, l’appui feu aérien et la neutralisation des cibles déjà identifiées.
*Colonel à la retraite
-Ancien auditeur de la FURUNGSAKADEMIE et de l’école d’état-major de Compiègne
-Conférencier à la délégation aux affaires stratégiques, à l’IHEDN et à la Banque Mondiale, sur les problématiques de sécurité internationale
-Consultant en Géopolitique, en Géostratégique et en négociation