Un simple petit tour en ville permet de voir combien ce cosmopolitisme ambiant raffermit, dans une extraordinaire symbiose, les rapports entre gens issus de toute l’Afrique de l’Ouest et mauritaniens. Les accoutrements des nationaux tranchent avec ceux des subsahariens dont beaucoup ne sont qu’en transit vers l’Eldorado européen, via l’incontournable escale du Maroc voisin.
Comme l’a évoqué l’inénarrable député-maire de la ville, El Qassem Ould Bellali, dans sa récente intervention devant le Premier ministre, la ville vit beaucoup de difficultés : insalubrité, gestion de son espace, entretien de ses infrastructures de santé, enseignement et pêche.
C’est en urgence que l’Etat doit intervenir pour sauver cette belle cité de 120.000 habitants et permettre aux Mauritaniens de profiter de ses immenses potentialités.
Du nom d’un ancien puits, au Nord de la ville en allant vers la Guerra, Port-Etienne, comme l’appelaient les colons, était un havre de quiétude et de ressourcement pour ses habitants, les Stéphanois, qui cohabitaient paisiblement avec quelques communautés dahoméennes et canariennes essentiellement occupées à la pêche côtière.
Un nostalgique de la belle époque en revisite l’histoire, rappelant l’arrivée des premiers colons, vers 1902, puis les intenses activités des bateaux de pêche, russes, grecs ou italiens, et la forte desserte qu’assuraient, presque quotidiennement, diverses compagnies aériennes, à l’instar d’Air Afrique, Iberia ou UTA.
Quelques vestiges, comme la « Maison blanche » qui abrite encore le logement du wali, succédant en cela au commandant de cercle, ou le « Poste de la Garde », rappellent le passé glorieux de la vielle cité portuaire.
Les bâtiments de la SIGP, première société de pêche fondée en 1922 et le hangar de Peyrissac, la grande épicerie qui assurait l’approvisionnement de la ville, narguent encore majestueusement les aléas du temps et de la nature.
L’architecture des anciens quartiers de Leareiguib, Charka et El Ghirane, à quelques encablures du port artisanal, tranche avec celle des quartiers modernes, au bord du boulevard médian ou, un peu plus loin, vers la remarquable Dubaï où loge une relative « high class » composée d’hommes d’affaires opérant dans le secteur de la pêche, hauts fonctionnaires civils et militaires.
Les fonctionnaires de la SNIM (cadres, agents de maîtrise et même simples travailleurs) vivent, pour l’essentiel, à Cansado, quartier construit par la SOFRA, vers le début des années 60, au temps de la MIFERMA.
Mairie de Nouadhibou : « Nous revenons de loin ! »
Elu maire en 1995, pour la première fois, El Qassem ould Bellali rempile, l’année passée, pour un deuxième mandat de cinq ans, comptant bien continuer une œuvre inachevée. Le voici confortablement installé dans un sobre bureau. Ce mercredi est jour d’audience. Son secrétaire fait entrer un à un les visiteurs. Visiblement, le maire est expéditif.
Juste quelques minutes pour chacun. Quand vient mon tour, c’est avec courtoisie qu’il me reçoit et la discussion commence aussitôt. « La municipalité revient de loin ! », annonce-t-il d’emblée, preuves à l’appui.
En 2018, elle traînait une dette de 600 millions. Les fournisseurs, la SOMELEC, la SNDE et les travailleurs municipaux réclamaient respectivement 330, 57, 32 et 128 millions. Toutes choses qui signalaient une mauvaise gestion de ses deux prédécesseurs dont un a fait l’objet de poursuites judiciaires, pour malversations financières.
A défaut d’une conséquente prise en charge par la SNIM, les malades évacués mouraient généralement sur la route de Nouakchott. Aujourd’hui, la ville dispose de trois centres hospitaliers dont un chargé des opérations chirurgicales où l’ablation de l’appendice ne coûte que 1000 N-UM, contre 40.000 N-UM à l’hôpital des spécialités médicales, communément appelé Hôpital Cuba.
Un second centre pour la médecine générale où les consultations coûtent 30 N-UM et un troisième pour la pédiatrie et la gynécologie. Alors que l’ambulance faisait payer, aux citoyens, 10.000 N-UM pour une évacuation, la mairie de Nouadhibou transfère gratuitement les patients à bord de ses ambulances, avec prise en charge du carburant et frais de mission du chauffeur.
Les services des pompes funèbres sont fonctionnels et gratuits. Les travaux de réhabilitation de 26 écoles sur les 32 de la ville sont en cours, ainsi qu’une étude visant à réduire les effectifs pléthoriques dans les classes sont en cours. Mais le maire ne jubile pas et énumère, avec beaucoup d’amertume, les nombreux problèmes dont souffre encore sa ville.
La salubrité et la gestion des espaces, une affaire d’aménagement et de développement confiée, dit-il, à des structures qui n’en connaissent rien. Les soucis de la pêche, un secteur qui peut faire travailler beaucoup de personnes, si l’Etat pense à son industrialisation, visant à augmenter sensiblement de la valeur ajoutée. La Mauritanie a besoin d’une véritable politique de pêche.
1980, le Maroc s’est inspiré de notre politique nationale. Aujourd’hui, il fait profiter un million de ses citoyens des activités liées à ce secteur. Le Sénégal en fait profiter 650.000. Avec ses importantes côtes et la qualité de ses produits, la Mauritanie se vante d’en faire profiter à peine une soixantaine de mille.
Avec le manque de financements de la pêche artisanale, les carences en eau potable et les délestages intempestifs d’électricité, l’insalubrité, la pollution des plages, l’absence d’aires de jeu et de récréation…Nouadhibou souffre.
La Zone franche : Pour quoi faire ?
Fondée le 2 Janvier 2013, la Zone franche devait faire, de la Mauritanie, une destination privilégiée des investisseurs. Six ans plus tard, ses promoteurs et ceux qui y croyaient commencent à douter de la capacité de cette institution à jouer ce rôle, dans un environnement où deux autres zones franches, celles de Tanger et de Las Palmas, opèrent déjà, respectivement depuis vingt et trente ans.
Il est clair que la concurrence avec ces deux espaces commerciaux est et sera rude ; pour au moins deux raisons. La première est que les investisseurs dans la région se sont déjà implantés. La seconde est que la zone franche de Nouadhibou ne dispose pas des fondamentaux nécessaire à sa promotion.
Les déficits en infrastructures routières, hôtelières ; le manque d’électricité, d’eau et de connexion Internet ; ont fini par décourager définitivement les potentiels postulants aux investissements en Mauritanie.
Selon un responsable du port de Nouadhibou, la Zone franche aurait dû être fondée depuis, au moins, trente à quarante ans. Aujourd’hui, c’est, dit-il, véritablement un « machin inutile ». Avec la Zone franche, les prix devraient, en principe, très sensiblement baisser à Nouadhibou, puisque les produits commerciaux sont exonérés.
Or, paradoxalement, ils ont rageusement monté : les commerçants ont voulu le beurre et l’argent du beurre, sans qu’aucune autorité, ni de l’Etat ni de la Zone franche, ne bouge le petit doigt. Dans les autres zones franches à travers le monde, ce sont peu d’espaces qui sont, généralement, concernés, comme les aéroports ou les ports.
A Nouadhibou, la zone s’étend sur plus de 10.000 kilomètres carrés, c’est-à-dire sur l’étendue de toute la ville, avec des conséquences commerciales catastrophiques sur la vie des citoyens. Les anecdotes les plus croustillantes circulent à ce sujet. Selon l’une d’elle, un homme venant de Boulenwar est interpelé par les douaniers qui lui demandent de dédouaner son téléviseur : pour toute réponse, il le fracasse tout simplement au sol.
Un autre se serait débarrassé de sa caisse de cuisses de poulet, pour ne pas avoir à la dédouaner. Pour gonfler mes pneus, j’ai payé cinq cents anciennes ouguiyas, alors qu’à Nouakchott, deux cents y suffisent…
Port artisanal de Nouadhibou : Vers la modernisation
Sur une aire de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés – quais et alentours du port artisanal de Nouadhibou dit port de la Baie du Repos – des hommes, des femmes et des enfants de tous âges et de toutes provenances bravent la chaleur, inhabituelle en ce début de Septembre.
Un espace vital où se démènent, bon an, mal an, quelques milliers de pêcheurs artisanaux, petits commerçants, chauffeurs, artisans et autres activistes de petits métiers gravitant autour de la pêche artisanale qui fait vivre, selon l’un des grands responsables du secteur, plus de 10% de la population nationale.
En 2017, l’Agence japonaise pour la coopération internationale a financé, à hauteur de 8,5 millions de dollars (3,1 milliards d’ouguiyas), plusieurs travaux sur le port, notamment la construction de quatre quais d’amarrage de pirogues, un autre pour l’accostage de navire de pêche côtière, et la réhabilitation de digues d’évacuation des voies d’accès aux quais.
Pour un autre financement de 10 millions d’euros, la coopération allemande compte contribuer à la modernisation dudit port, via la réalisation de diverses infrastructures, comme l’aménagement d’un terre-plein dont le directeur général de l’EPRB a fait préalable à toute attribution de terre, malgré des pressions de tous ordres.
Puis encore la construction de 700 magasins et entrepôts, ainsi qu’une aile à criées, sur un grand marché capable d’alimenter tout Nouadhibou, les villes de l’intérieur et pays voisins, en poissons et produits dérivés.
Le projet prévoit aussi la construction de 7 kilomètres de voieries bitumées et d’un réseau d’assainissement connecté à celui de la ville, afin de permettre l’évacuation des ordures et un environnement sain dans l’établissement.
Plusieurs documents ont été signés dans ce cadre, dont le contrat de financement, paraphé entre le ministère de l’Economie et des finances, la Direction générale du port et le bailleur, et la Convention séparée, entre l’EPBR, maître d’œuvre, et le bailleur. Puis il ya eu la sélection de l’ingénierie-conseil, dont les experts chargés de procéder aux études de faisabilité et de lancer l’adjudication du marché seront en Mauritanie avant le 15 Septembre.
Sur exigence de la Direction générale du port, c’est une entreprise nationale qui exécutera les travaux, avec possibilité de sous-traitance, mais sous condition d’un avis de non-objection, délivré par la Direction générale du port.
Dans une de ses recommandations aux bailleurs, le directeur général a souhaité que le public vulnérable que composent les opérateurs du secteur de la pêche artisanale (pêcheurs artisanaux, petits transporteurs, artisans, confectionneurs de paniers, artisans et autres) bénéficient de petits financements, dans le cadre de ce projet, pour leur permettre de booster leurs petites activités dont profitent, indirectement, des centaines de milliers de mauritaniens de toutes les wilayas du pays.
Sneiba El Kory
Envoyé spécial
Source : Le Calame (Mauritanie)