Le 22 juin prochain, les Mauritaniens se rendront aux urnes afin de choisir un successeur au Président Mohamed Ould Abdel Aziz.
Ce dernier compte néanmoins peser dans cette élection, affichant son soutien à son ami et candidat Ould Ghazouani. Sputnik France a demandé à Sneiba Mohamed, analyste de la politique mauritanienne, de décrypter son bilan.
Après des années de régime autoritaire, la Mauritanie connaîtra-t-elle une deuxième alternance démocratique lors du scrutin présidentiel du 22 juin? C’est l’un des principaux enjeux de cette élection qui se veut ouverte.
Arrivé au pouvoir par un coup d’État en 2008, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz s’est maintenu sans discontinuer au sommet de l’État depuis sa réélection en 2009. Or, depuis un an, il martèle qu’il n’ira pas à l’encontre de la Constitution et ne briguera pas, en conséquence, un troisième mandat.
Dans ce grand pays désertique d’Afrique de l’Ouest, peuplé seulement de 4,5 millions d’habitants, l’alternance en politique depuis 40 ans n’a souvent été que le fruit de coups d’État. Depuis 1978, il n’y a eu qu’une seule brève expérience d’alternance démocratique, de 2007 à 2008, au cours de laquelle le Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, élu démocratiquement en 2007, a été renversé par le général Abdel Aziz, à l’époque chef de la garde présidentielle.
Parmi les six candidats en lice pour l’élection du 22 juin, le Président sortant a publiquement choisi d’apporter son soutien à Mohamed Ould Ghazouani. Formés ensemble à l’école militaire, les deux hommes ont en effet gravi tous les échelons au sein de l’armée, avant d’entrer en politique.
Si le dauphin de Oulad Aziz venait à remporter la magistrature suprême, il hériterait d’un bilan mitigé, estime Sneiba Mohamed, analyste et auteur de nombreux ouvrages sur la politique mauritanienne, dans un entretien avec Sputnik France.
«Même si le Président Mohamed Ould Abdel Aziz a réussi le miracle de sécuriser le pays contre les attaques terroristes et d’être l’initiateur d’un G5 Sahel dont l’efficacité doit encore être prouvée, cette même opposition, qu’il a marginalisée, n’a eu de cesse de dénoncer les dérives économiques et politiques aux conséquences fâcheuses dont il se serait rendu coupable», a déclaré au micro de Sputnik le politologue Sneiba Mohamed basé à Nouakchott.
Durant son décennat à la tête de l’État mauritanien, le Président sortant a tout fait pour rétablir la légitimité de la Mauritanie à l’international, notamment au plan sécuritaire. Président temporaire de l’Union Africaine (UA) de 2014 à 2015, il s’est donné pour mission –avec succès– de sécuriser le territoire national du péril djihadiste. Cela lui a entre autres valu les louanges d’Emmanuel Macron:
«Je sais toute la détermination du Président Aziz à lutter contre le terrorisme. Il l’a montré dans son pays, avec beaucoup d’efficacité», avait déclaré le Président Emmanuel Macron à l’égard de son homologue mauritanien, sur le tarmac de l’aéroport de Nouakchott, pendant une visite effectuée à l’été 2018 à l’occasion du sommet de l’Union africaine.
De surcroît, l’actuel Président s’est vu remettre pour son action sécuritaire le prix Mandela 2018, en considération «de l’excellence africaine et de sa vision stratégique en matière de sécurité et en reconnaissance de son mérite et de son génie personnel». De fait, la sécurisation du territoire lui a permis de remplir un double objectif : polir son image à l’international et accroître sa popularité dans son pays grâce, notamment au retour en 2018 des tours opérateurs français en Mauritanie.
Absents depuis près d’une décennie pour cause de menace djihadiste, ce retour des contingents de touristes français dans le désert mauritanien de l’Adrar (centre ouest de la Mauritanie) a signifié le redémarrage d’une activité vitale pour les populations locales.
Si le Président Mohamed Ould Abdel Aziz a réussi son pari sécuritaire, il espère maintenant voir son fidèle ami Mohamed Ould Ghazouani gagner les élections afin de poursuivre son œuvre et consolider le travail déjà effectué.
Un travail qui reste toutefois «inabouti, puisque certains secteurs ont été privilégiés par rapport à d’autres», selon Mohamed Sneiba. Durant ses deux mandats, le Président Abdel Aziz a choisi de délaisser les domaines économiques et sociaux au profit de la sécurité intérieure et extérieure, jugés prioritaires:
«Si la majorité évoque la nécessaire préservation des acquis, Aziz, lui, cherche sans doute à s’assurer que sa gestion économique qui constitue, selon bon nombre d’observateurs son talon d’Achille, ne fasse l’objet d’une inquisition post-mandat, si un autre que le dauphin qu’il s’est choisi arrive au pouvoir. Sous couvert de la “préservation” des acquis, c’est là le principal enjeu de la présidentielle», souligne Mohamed Sneiba au micro de Sputnik.
Il a aussi été accusé à plusieurs reprises par ses opposants, une partie de la presse locale et différentes organisations de défense des droits de l’Homme de «tenir trop fermement les rênes du pouvoir». Dans son rapport publié en 2013 sur la Mauritanie, Amnesty International avait dénoncé 36 arrestations successives à la suite de manifestations pacifiques, des dizaines de prisonniers politiques et autres cas de tortures ou de maltraitance.
Mohamed Sneiba note toutefois qu’à l’approche des élections, le Président sortant a multiplié les mesures de clémence, comme la libération des deux blogueurs, Ould Weddady et Ould Jeddou, emprisonnés en mars 2019 pour une enquête qu’ils menaient sur le possible gel d’un compte bancaire appartenant au Chef de l’État aux Émirats arabes unis.
«Cette libération a été favorisée par une forte mobilisation à l’étranger et la crainte que cette carte ne soit exploitée contre lui par les candidats de l’opposition, alors qu’il a toujours dit et répété qu’il n’y avait pas de prisonniers d’opinion en Mauritanie», affirme l’analyste politique mauritanien. «Dans un climat de forte suspicion, le Président Abdel Aziz se devait donc de prendre des mesures lui permettant de redorer son image vis-à-vis de la communauté internationale. C’est pour cela qu’il a notamment permis le vote des militaires avec les civils le même jour et l’ouverture des médias publics à l’opposition.»
Ces mesures sont d’autant plus importantes en termes d’image que la présidence d’Abdel Aziz est caractérisée, selon ses détracteurs, par «un exercice solitaire et vertical du pouvoir». Le Chef de l’État mauritanien a en effet pour habitude de faire remonter les décisions importantes jusqu’à son bureau, ses ministères faisant office de simples «coquilles vides».
Pour les Mauritaniens qui dénoncent un régime fort incarné par la seule personne du Président Abdel Aziz, la possibilité d’une réelle alternance au sommet de l’État est donc peu probable. Dans ce cas, sa relation avec Ould Ghazouani pourrait s’apparenter à un scénario à la Poutine-Medvedev et l’actuel Chef de l’État continuera à influencer la vie politique de Mauritanie.
«Ce qui est sûr, c’est qu’Aziz ne quittera pas la vie politique. Il restera dans le système qu’il a mis dix longues années à faire –et à parfaire. À quel niveau de la sphère du pouvoir? Tout indique qu’il prendra la direction de l’Union pour la République (UPR), le parti au pouvoir qu’il a pris soin de déstructurer, juste à la veille de la présidentielle, pour le doter d’une commission de gestion provisoire (donc sans réel pouvoir)», prédit Mohamed Sneiba.
Selon des informations publiées par la Lettre du Continent dans son édition du 12 juin, le président Abdel Aziz préparerait «sa retraite sous le soleil des Émirats». Information aussitôt démentie par Jemal M. Taleb, avocat au Bureau de Paris et conseiller personnel du Président Abdel Aziz. Selon des propos recueillis par le mensuel panafricain Financial Afrik, celui-ci a été catégorique: «le Président Mohamed Abdel Aziz restera à Nouakchott et n’a nullement l’intention de quitter son pays!»
Hakim Saleck
Source : Sputnik News (France)