Mondafrique dresse le bilan désastreux des dix années de présidence de Mohamed Ould Abdel Aziz, qui ne se représente pas, le 22 juin 2029, à sa propre succession, faute d’appuis suffisants au sein des élites mauritaniennes.
Pour peu que l’on emprunte « la route de l’espoir » à la sortie de Nouakchott, on comprend vite l’état de misère dans laquelle s’enfonce la majorité des Mauritaniens. Goudronnée après l’indépendance par le premier président Moktar Ould Daddah, cet axe permet de gagner les 1200 kilomètres de frontière que la Mauritanie possède avec le Mali.
Des deux cotés de la route, où d’innombrables barrages policiers ont été installés pour interpeller d’éventuels terroristes, de vastes dunes désertiques sont balayées par les vents mauvais qui ignorent les quelques groupes de prosopis, ces maigres arbustes qui retiennent le sable.
A perte de vue, se succèdent des baraquements en mauvaise tôle, sans eau ni électricité, où vivent surtout des femmes et d’innombrables enfants.
Plus loin, le dépôt de nourriture d’une ONG est fermé depuis des lustres, après la distribution par des intermédiaires douteux d’un mais frelaté. Ailleurs, quelques écoles coraniques, financées par les pays du Golfe, apparaissent flambant neuves. Plus loin, surgissent de nulle part de superbes villas qui appartiennent à sept frères qui se sont lancés dans le commerce de diamants avec le Congo. A moins qu’ils n’aient fait fortune, murmure-t-on, dans le trafic de stupéfiants, à l’origine en Mauritanie comme ailleurs dans le Sahel de fortunes aussi rapides qu’inexpliquées.
Le coup d’état permanent
Véritable angle mort sur le plan international, le régime mauritanien pille le pays et enrichit ses proches, avec l’appui de l’appareil sécuritaire qui est son véritable point d’appui. Or personne ne s’alarme de cette prédation éhontée, pas plus les Français que le FMI, alors que cette corruption générale prépare des lendemains qui déchantent. La Mauritanie sera-t-elle le Mali de demain?
Ce vaste pays, aux confins du Maroc et du Sénégal, illustre la collusion entre les potentats locaux et les anciennes puissances coloniales: un dictateur militaire qui en chasse un autre depuis 1978, un Etat qui ne tient que par la force d’une garnison militaire à la solde d’hommes forts successifs, une économie liée à des ressources premières abondantes entièrement vampirisée par le clan au pouvoir, une population qui ne sort ni de la misère ni de toutes les pénuries (éducation, santé…). Dans le même temps, le pays est loué pour son taux de croissance exemplaire et les institutions du système économique international vont même jusqu’à financer tous les projets du pays, même si les infrastructures ne voient jamais le jour.
Le paradoxe du régime mauritanien est qu’il donne les apparences de la démocratie (pseudo élections, multipartisme de façade, presse pluraliste mais non distribuée), mais qu’il règne par la peur. La lutte contre l’intégrisme est le prétexte invoqué pour les mesures attentatoires aux libertés. Les fringants communicants du ministère de l’Information justifient les petits arrangements du pouvoir mauritanien avec l’état de droit : « Nous sommes certes tous des démocrates, mais il faut repenser l’action démocratique, compte tenu du danger que représente l’islam radical[1] ».
L’islam a bon dos. En fait, chacun en Mauritanie se sent en liberté provisoire. Les postes à responsabilité donnent lieu à une forme d’allégeance, car la justice est instrumentalisée et le chantage permanent. En juillet 2013, le maire de Nouakchott, Hamed Hamza, a dû s’engager à ne plus aller, y compris dans ses déclarations publiques, à l’encontre des intérêts du Chef de l’Etat et de ses amis.
Sous le règne de Nicolas Sarkozy, le péché originel de la France fut de « blanchir » la prise du pouvoir du président Mohamed Ould Abdel Aziz en 2008. Un coup d’Etat, un de plus, débarquait Sidi Ould Cheikh Abdallah, surnommé « Sidioka », élu dans des conditions parfaitement démocratiques. Entre Aziz et Sidioka, le bon choix était pourtant évident. D’un coté, un militaire qui n’a brillé dans sa carrière qu’à la tête du sinistre bataillon présidentiel du palais présidentiel mauritanien, le Basep, la garde prétorienne des « voyous de sous préfecture » qui se sont succédés au pouvoir[2]. De l’autre, un civil qui, en moins de deux ans, avait jeté les bases d’un véritable pluralisme, autorisé les frères Musulmans à créer leur mouvement, fait voter la loi criminalisant l’esclavage.
« Le président des pauvres »
Fort opportunément, des attentats attribués aux djihadistes ont lieu dans les semaines qui précèdent le coup de force d’Aziz. Le 24 décembre 2007, quatre français sont tués en sortant d’une boite de nuit. . Le 9 juillet 2009, Aziz est élu à la Présidence de la république avec 52% des voix et l’apparence d’une élection démocratique.
Lors de sa prise de pouvoir, le général Mohamed Ould Abdel Aziz se voulait « le président des pauvres ». Une certitude, le président mauritanien n’est pas un pauvre président, loin de là. Les projets sociaux des premiers mois du règne du président Aziz se sont perdus dans les sables. Or, dans ce pays de quatre millions d’habitants riche en ressources naturelles, la corruption le dispute au népotisme. Quatre cent cinquante et un hectares de terrains constructibles sont abandonnés des proches du régime sans aucune qualification dans le BTP, en vue de l’hypothétique construction d’un aéroport surdimensionné. Le projet qui aurait du être inscrit au budget ne l’a naturellement pas été. Lorsqu’il s’agit, dès 2009, d’attribuer à une société anglaise inconnue, « Tulow Oil », l’essentiel de la commercialisation du gaz et du pétrole, c’est un cousin d’Aziz, Kemal Ould Mohamedou, qui représente l’Etat mauritanien. Le propre beau fils du Président est envoyé à Paris, tous frais payés, pour le compte de la première entreprise minière du pays, la SNIM, véritable caisse noire du régime. Deux nouvelles institutions financières sont créées sur mesure pour être immédiatement confiées à des financiers amis dans un pays de quatre millions d’habitants, dont 97% ( !) n’ont pas encore de compte en banque.
Dans l’affaire dite du « Ghanagate », le président mauritanien, alors chef de la garde présidentielle en 2006, participe à une curieuse négociation commerciale avec un homme d’affaires irakien portant sur des transferts de fausse monnaie. Sur la bande enregistrée rendue publique, Aziz explique à cet inconnu : « Il n’ont qu’à falsifier des dollars, de quoi te payer.»[4]. Le premier avril 2013, le principal parti d’opposition, le RFD devait demander l’ouverture d’une enquête internationale, en déplorant ce niveau record de « déchéance morale » de la part d’un chef d’Etat». Lors de la grand messe actuelle où il s’explique face au peuple mauritanien, le 13 août 2013, Aziz devait reconnaître la véracité de l’affaire des faux billets, tout en prétendant que les enregistrements qui avaient circulé étaient « des montages ».
Des Chinois courtisés
Mise au banc de la communauté internationale après le coup d’Etat du 6 août 2008, le nouveau président Aziz a joué un joli coup en se tournant vers la Chine, toute prête à s’engouffrer dans la brèche. Très rapidement, une convention est signée entre le gouvernement de Nouakchott et un certain Haijun Zhang, à la tête à Pékin de « la commission de l’industrie alimentaire et de la haute science technique ». Dans le même temps, « un bureau de Promotion des investissements sino mauritaniens » est créé qui promet la lune : des villas haut standing sur 50 hectares, un hôpital d’excellence, cinq hectares de grandes surfaces, des transports par bus, un projet d’éclairage public, à énergie solaire et l’enlèvement des épaves de bateau à Nouadhibou, le premier port du pays.
Autant de mirages qui ne verront jamais le jour[5].
En revanche, le secteur de la pêche (10% du PIB, la moitié des recettes d’exportation, 40% des emplois) est bradé à une obscure entreprise chinoise connue pour des faits de vente illégale d’armes chinoises à l’étranger. Le 7 juin 2010, un colonel mauritanien et intime de la Présidence a négocié cet accord extravagant pour une durée de vingt cinq ans. Aucune loi ne peut pendant ce quart de siècle remettre en cause des conditions fiscales et commerciales exorbitantes prévues. Les Chinois s’étaient engagés à investir pour cent millions de dollars dans des usines de transformation des produits de pêche. Autant d’engagements qui ne seront pas tenus et obligeront le pouvoir mauritanien à demander une révision du contrat.
La corruption, un secteur d’avenir
Créée en France par l’avocat français William Bourdon, qui fut à l’origine de la procédure dite des biens mal acquis contre la Gabon, le Congo et la Guinée, après dix ans de combats judiciaires héroïques, l’ONG « Sherpa » a pondu un rapport sévère sur la gestion du pouvoir mauritanien. « La Mauritanie, écrivent ces militants et experts, n’échappe donc pas au phénomène de la malédiction des ressources – également appelé le « paradoxe de l’abondance » qui postule que l’abondance de richesses naturelles accroit paradoxalement la pauvreté et les inégalités.
Aux yeux de bon nombre d’observateurs, la corruption constitue la principale dynamique de cette malédiction des ressources qui freine le développement de la Mauritanie. Observons que, selon l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) que l’organisation « Transparency International » publie chaque année, la Mauritanie figure de façon constante parmi les plus mauvais élèves en ce domaine». Un rapport du FMI d’août 2012, note que ce pays est l’un des rares à avoir enregistré « une détérioration de la gouvernance », notamment au regard de l’indicateur qui mesure le niveau de corruption reçu ». Encore aujourd’hui, la Mauritanie figure parmi les pays en développement « les moins avancés » et bénéficie, à ce titre, du dispositif en faveur des pays pauvres très endettés. Selon le dernier rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), un tiers de la population vit avec moins de 1.25 USD par jour ; l’espérance de vie à la naissance ne dépasse pas 59 ans. Seule la moitié des adultes sont alphabétisés.
L’hommage du vice à la vertu
Le plus extravagant est la posture vertueuse affichée par le pouvoir mauritanien. Des stratégies nationales de lutte contre la corruption, hommage du vice à la vertu, sont annoncées urbi et orbi. Obligation est faite à tout haut fonctionnaire de déclarer l’état de ses biens mais personne ne se plie à cette règle. Les réformes du code de passation des marchés publics se multiplient. « La Mauritanie, s’interrogent les experts de « Sherpa », ne serait-elle pas l’illustration caricaturale d’une instrumentalisation par voie d’affichage et de déclarations publiques de la lutte contre la corruption avec comme seule ambition non pas de la réduire, mais (…) de délégitimer les critiques qui pourraient s’exercer sur la Mauritanie en se « protégeant » derrière ce « parapluie » de belles déclarations ? »
Toujours d’après Sherpa, la banque centrale mauritanienne (BCM) constitue un rouage important de ce système de corruption généralisée. La BCM est régulièrement mise en cause dans des opérations illégales: manipulations de taux de changes, blanchiment, création et rémunération d’emplois fictifs, achat de matériels d’écoute et d’armes, détournements de l’aide financière extérieure et dépenses extrabudgétaires gouvernementales ». Le Cabinet Ernest & Young a émis de sérieuses réserves concernant les états financiers de la Banque centrale de Mauritanie des années de 2007 à 2010.
Des permis à la pelle
La Mauritanie dispose d’importantes ressources naturelles avec des gisements d’or, de pétrole, de cuivre et surtout de minerai de fer. Les investissements ne cessent de croître dans un secteur pourvoyeur de devises. En 2010, environ 66 sociétés extractives figuraient sur les cadastres minier et pétrolier en Mauritanie dont 53 minières et 13 pétrolières, soit le double du nombre de sociétés extractives cinq ans auparavant.
Seulement depuis deux ans, l’expansion est devenue vertigineuse. Le nombre des permis attribués a augmenté de 540% au cours des trois dernières années. De janvier 2010 à juillet 2012, 65 permis ont été donnés dans le secteur du fer, 134 pour l’or, 49 pour l’uranium, 13 pour le quartz et trois pour le diamant. Durant la période de Janvier 2010 à Juillet 2012, la moyenne des attributions des permis de recherche par le gouvernement mauritanien aux sociétés privées a été de 2 permis de recherche par semaine.
Le secteur public a été pratiquement exclu des attributions des permis de recherche minière en Mauritanie. Seuls deux opérateurs publics en ont incidemment bénéficié, la SNIM qui a obtenu deux permis de recherche pour l’or et l’Office Mauritanien de Recherche Géologique qui a acquis deux permis de recherche pour le fer. Tout le reste des permis a été attribué au secteur privé. La majorité de ces permis ont été accordés à des hommes d’affaires proches du régime dont les sociétés ne répondent pas aux critères prévus par la réglementation.
Les défenseurs de l’écologie craignent que le rythme accéléré des attributions de permis de recherche et l’augmentation des superficies accordées ne conduisent, à brève échéance, à une sorte de privatisation du territoire mauritanien et à la création de « féodalités » au profit de sociétés privées soucieuses uniquement du profit tiré de l’exploitation des ressources naturelles. Toujours avec la volonté d’afficher une gestion transparente, le gouvernement mauritanien a adhéré à l’Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE), chargée d’attribuer un quitus aux Etats pour la gestion du secteur minier. Mais la Mauritanie n’a remis aucun rapport en 2010, en 2011 et en 2012. Seul a été remis un document truffé de chiffres faux par la direction de la mine d’or de Tasiazt, exploitée parle géant canadien Kinross, où 1500 travailleurs poursuivent une grève depuis des mois. En février 2013, la Mauritanie a été suspendue.
Un FMI à éclipses
Face à ces dérives, les gardes fous ne fonctionnent plus. Les bailleurs de fonds traditionnels ne contrôlent en rien les procédures opaques imposées par le pouvoir en place. La vigilance des grandes institutions financières devrait, en théorie, dissuader les pouvoirs en place de franchir les lignes jaunes. Pourtant force est de constater que le FMI, qui finance depuis 2010 la Mauritanie à coups de dizaines de millions de US$ dans le cadre de la « Facilité Élargie de Crédit », se rend complice d’une mise sous coupe réglée de l’économie au profit d’un clan. Main mise sur l’économie, corruption et dilapidation des ressources… Comment continuer à donner le change ? Pour satisfaire les « experts » du FMI et des autres grands bailleurs de fonds internationaux, le gouvernement mauritanien repousse à plus tard des régularisations urgentes sur des montants importants. L’exemple de la BCM est symptomatique à cet égard. Des opérations ont purement et simplement disparu des comptes : le prêt de 50 millions de US$ venu d’Arabie Saoudite, la « rançon » de 200 millions de US$ payée par le gouvernement née de la révolution libyenne contre l’extradition d’Abdallah Senoussi…. Pire encore, sans aucun besoin de dissimulation on repousse d’année en année les mêmes réserves des auditeurs de la BCM sur des montants faramineux de deniers publics engloutis soit dans des faillites (SONIMEX, BACIM), soit dans des prêts de la BCM à l’État qui ne sont jamais remboursés…
Côté FMI, c’est la fuite en avant… On loue les progrès de l’économie (fondée uniquement sur la hausse du cours des matières premières, minerais…) tout en réclamant d’une voix bien faible une croissance « plus inclusive ». En 2011, une sécheresse a malheureusement empêché le pays d’atteindre le niveau habituel de production agricole. En 2012, le programme étatique EMEL 2012 doté de 120 millions € (50 milliards ouguiyas) est lancé pour distribuer de la nourriture aux plus démunis et assister l’approvisionnement en semences et matériel agricole des paysans. Comme d’habitude c’est un désastre et les institutions internationales spécialisées dans la misère tirent la sonnette d’alarme. Un million de Mauritaniens risquent la famine pour 2013. Ils en profitent pour lancer un appel aux dons (sic !), après que 120 millions € ont été dépensés sur les 12 derniers mois dans un pays de 3 millions d’habitants en tout… On marche sur la tête. Du FMI au PNUD, la boucle est bouclée…
Par Nicolas Beau
Source : Mondafrique