Biram Dah Abeid : Mon salaire n’égale la souffrance du pays

Biram Dah Abeid : Mon salaire n'égale la souffrance du paysChers collègues députés, honorables élus du peuple.

Mon salaire n’égale la souffrance du pays.

Qu’ai-je, donc, appris?

Des députés et des responsables administratifs de l’Assemblée Nationale réfléchissent à entreprendre quelque démarche pour convaincre le pouvoir du moment, de bien vouloir surseoir à appliquer, contre moi, la directive de privation de salaire et d’indemnité. Elles et ils s’alarment ainsi de la violation de mes droits d’élu.

Je les remercie certes mais les invite en même temps, à abandonner l’entreprise, à cause de l’urgence et de la priorité au traitement de celle-ci. Des problèmes de fond et d’une tonalité bien plus tragique requièrent, ailleurs, l’expression de la solidarité parmi les législateurs. Je citerai, ici :

La dépréciation de la monnaie nationale

La hausse vertigineuse des prix

La banqueroute de l’école

Le chômage désespérant des jeunes

La faillite généralisée des établissements publics, en particulier du secteur de la santé

Le détournement des ressources monétaires, minières et halieutiques

La banalisation des mœurs néo-patrimoniales dans le rapport des dirigeants à l’Etat

L’impunité de la torture, du racisme, de son passif humanitaire et des discriminations liées à la naissance

Chers collègues

Je cède mon salaire et autres émoluments, au « Président des pauvres », afin qu’il s’en serve pour épaissir, davantage, la fortune de sa famille et de ses proches. Il y a 10 ans déjà, je renonçais à mon revenu de fonctionnaire de Greffier dont la suspension devait me dissuader de poursuivre la lutte pour l’égalité.

Huit ans après cette mesure d’un présupposé ô combien naïf, le chef de l’Etat Ould Abdel Aziz pourrait tenter de comprendre que l’argent n’est pas tout, ni même l’essentiel. Je sais combien l’idée lui paraîtrait improbable tant elle déroge à sa socialisation. Chez certaines humanités en dégénérescence, l’appât du lucre finit par embrumer la raison. Plus le sevrage est ancien moins vite se désaltère l’assoiffé.

Chers collègues, honorables députés

Si vous parvenez à relativiser l’intérêt pathologique que Ould Abdel Aziz porte à l’accumulation des biens ici-bas, vous auriez rempli l’essentiel de la mission à vous confiée dans les urnes : modérer le Prince, le guider dans les tourments de l’orgueil, enfin le rappeler à la vergogne quand il menace de n’en plus avoir.

Le 14 novembre 2018.

Biram Dah Abeid

Prison civile de Nouakchott.

Source : IRA-Mauritanie