Trente deux heures au bureau de vote (suite et fin)

Reportage : Trente deux heures au bureau de vote (suite et fin) Après le fatiguant et difficile dépouillement de l’urne de la liste nationale mixte, on passe à celle des femmes. Nous en sommes aux alentours de dix heures, en ce dimanche 2 Septembre. Cette urne-là, c’est la plus compliquée du scrutin.

Les bulletins de vote sont constitués de longs morceaux de papier où sont imprimés, en très petit caractères, presque invisibles à l’œil nu, les sigles et noms des partis candidats. Nous procédons au décompte des voix comme précédemment et, à l’arrivée, c’est toujours le même podium : bulletins nuls en tête, suivi de Tawassoul puis l’UPR. Les autres partis n’ont obtenu que des miettes.

Vers midi, le dépouillage est terminé. Nouvelle petite pause, avant de passer à la rédaction des cinq procès-verbaux, un pour chaque scrutin, chacun d’une dizaine de pages, et des cinq extraits de procès-verbaux, à remettre à chaque représentant de liste. Sur la première page, les noms, numéros nationaux d’identité et de téléphone des tenants du bureau et des représentants des listes, ainsi que leurs émargements.

La deuxième page contient les résultats globaux de chaque scrutin : le nombre de votants, de bulletins nuls, de neutres et de suffrages exprimés. Les pages suivantes relatent en détail les résultats.

Devant le nom et le sigle de chaque parti, on mentionne son score, en chiffres et en lettres. La dernière page est réservée aux observations et propositions des responsables de bureau, ainsi qu’aux éventuelles remarques et contestations des représentants de partis.

Présidents incompétents

Vers treize heures, tout est terminé. Je fais signer les PV par tous les représentants qui se disent satisfaits et n’ont point d’observations à mentionner. Je leurs remets, à chacun, cinq extraits de PV dûment signés, avec tous les résultats détaillés. Nous replaçons chaque bulletin de vote à l’intérieur de l’urne qui l’avait initialement reçu.

Puis nous fermons celle-ci, par trois scellés dont les numéros sont déjà mentionnés sur les PV. Quant aux bulletins nuls, ils sont emballés dans la cinquième urne contenant le reste du matériel électoral, comme nous en avons reçu l’ordre. Il ne reste plus donc, aux représentants de parti, qu’à prendre congé, après nous avoir remerciés. Je dis aussi au revoir aux deux assesseurs, en les congratulant pour le bon travail accompli, louant leur esprit de responsabilité et de sacrifice. Je leur donne rendez-vous pour le second tour.

J’embarque ensuite les urnes et les gardes, pour les ramener au siège local de la CENI où j’arrive vers quatorze heures. Une dizaine de bureaux sont déjà sur place. Les autres commenceront à défiler à partir de dix-huit heures.

Certains n’achèveront leur dépouillement que le lundi 3. Beaucoup de PV et extraits sont mal rédigés : chiffres contrariés, erreurs de calcul, ratures… ; ce qui oblige les coordinateurs locaux de la commission à désigner les plus compétents présidents et membres de bureaux pour revoir ce mauvais travail.

Cela prendra plusieurs jours. Certains présidents et assesseurs qui avaient été nommés n’importe comment ne savaient même pas comment dépouiller ! Il leur avait fallu demander l’avis des bureaux voisins.

Le président et les assesseurs du bureau de vote de l’ISERI avaient fui, après avoir mis le contenu des cinq urnes au bric-à-brac. Les assesseurs ont éteint leur téléphone et pris le large mais leur président a été conduit à la police, sur ordre du procureur venu établir le constat, sur place, de cette déroute, avant de désigner une commission pour le dépouillement dudit bureau. Fatigué, un autre président avait cadenassé son bureau et fui. Il n’a été retrouvé que le lendemain soir…

Je confie les urnes et les gardes au fonctionnaire chargé de leur réception. Il me dirige vers la commission chargée de recevoir les PV. Le coordinateur local est débordé par les présidents exténués : chacun veut être libéré en premier.

On enregistre alors le numéro de mon bureau, mon nom et me demande d’attendre qu’on me contacte par téléphone. Je repars donc chez moi, avec les vingt-cinq PV, pour m’endormir aussitôt, sans même déjeuner. Je me réveille vers vingt-heures, consulte mon téléphone et remarque que je n’ai reçu aucun appel de la CENI. Je décide donc de poursuivre ma pause, puisque les PV ne sont apparemment pas le souci majeur de la commission. Je m’endors très tôt, cette nuit-là. Cela compense ma longue veillée de la précédente.

Toujours sans avis de la CENI, je décide, le lendemain, vers onze heures, d’aller y jeter un coup d’œil. Elle est encore prise d’assaut par des dizaines de présidents et membres de bureau. Un poste de police garde toujours l’entrée. « Je suis président de bureau », dis-je, « je viens remettre les PV que je détiens depuis hier. – Ils ont ordonné de ne laisser entrer personne », répondit le policier. Vexé, je repars chez moi. M’y voilà coincé, avec les PV, alors que j’avais l’intention d’aller à la campagne ce jour même.

Vers seize heures, je reviens à la charge et demande au policier de me laisser entrer remettre les PV. Rebelote : « J’ai ordre de ne laisser entrer personne entrer ». Mais, au moment où, ne sachant quoi faire, je m’apprête à remonter dans mon véhicule, j’aperçois le directeur régional de la CENI qui descend du sien. Je l’interpelle aussitôt : « Il semble bien que les PV des votes ne comptent pas pour vous.

– Comment ça ? Mais non, évidement que oui », répond-il. Je l’informe de ce qui s’est passé. Et le voilà à savonner les policiers, avant de me prier d’entrer. Il demande des explications au coordinateur local qui nie farouchement avoir ordonné aux policiers de nous interdire l’accès à son bureau. Je remets enfin mes PV et les responsables de la commission me félicitent pour le bon travail accompli.

Rebelote

Deux semaines plus tard, à deux jours du second tour, nous sommes convoqués à une réunion avec le président de la CENI. Cette fois, on nous remet très tôt – au crépuscule du vendredi – le matériel électoral et les agents de sécurité. L’averse de ce jour va cependant retarder notre arrivée au bureau car toutes les rues sont en mare.

Mais tout est fin prêt, vers vingt-une-heures, et c’est à six heures trente, le lendemain samedi 15 Septembre, que je retrouve mes deux assesseurs. La nouvelle représentante de l’UPR arrive à six heures quarante-cinq.

Tout comme celui de Tawassoul, le même qu’au premier tour. J’ai l’énorme surprise de constater la présence d’un autre jeune homme, lui aussi porteur d’une attestation de la CENI en tant que représentant du parti islamiste. Je téléphone aussitôt au coordinateur qui m’assure que Tawassoul a bel et bien deux représentants, contrairement à l’UPR. Un rang se forme, avant de s’épuiser, vers neuf heures. Puis les votants n’arrivent qu’au compte-gouttes.

On passe un quart d’heure sans en recevoir, puis deux ou trois viennent, séparément, et le vote se poursuit ainsi à ce rythme, jusqu’à la fin de la journée. À dix-huit heures, on ne recevra plus personne. La liste électorale a été, cette fois-ci, bien actualisée et rares sont les rejets.

Entre temps, j’ai reçu, vers treize heures, la visite de tous les dirigeants du FNDU. Il ne manquait qu’Ahmed Ould Daddah. Je me suis levé pour les accueillir, content de voir des leaders politiques de mon pays m’honorer de leur visite pour s’enquérir du vote. Mais pourquoi ces visages crispés ? « On nous a dit qu’il y a eu de la fraude et que des personnes ont pu voter à plusieurs reprises en ce bureau », lance Mohamed Ould Maouloud.« Celui-là en est-il membre ? », demande, visiblement très fâché, Ould Lemat, en désignant le garde assis à la porte.

Tout à la fois déçu et surpris, je leur affirme, d’abord, que je ne crains ni le président Aziz ni eux-mêmes. Avant de regretter que de si éminentes personnalités s’abaissent à de telles accusations gratuites. Pour ce qui est du garde, je leur rétorque que j’ai droit de permettre à qui je veux d’accéder au bureau.

L’un des représentants de Tawassoul intervient aussitôt, pour les rassurer : « Je suis avec lui depuis le premier tour et il est sans problèmes ». Le coordinateur de l’UPR au niveau de la zone prend maintenant la parole pour fustiger les nouveaux venus. Ould Lemat lui réplique aussitôt.

Ça sent la poudre, cette histoire, et j’intime alors l’ordre, à tout le monde, de sortir illico… J’apprendrai, bientôt, que des « farceurs » en faction devant l’école s’étaient employés à déclarer, à tout passant, qu’ils avaient pu voter à plusieurs reprises. Une intox prise au sérieux par nos vaillants politiciens.

Le vote prend fin en temps normal et le dépouillage des deux urnes commence sans tarder. C’est alors que s’élèvent des clameurs en provenance de deux bureaux voisins. Dans l’un, c’est la présidente qui se chamaille, nous apprend-on, avec ses assesseurs. Dans l’autre, le président a eu une chaude conversation avec le représentant de l’UPR qu’il a fini par mettre dehors. Vers vingt heures trente, le dépouillage de nos deux urnes est terminé, PV et extraits établis.

Après avoir pris congé de tout le monde, j’embarque les gardes et les urnes que je remets aux soins de la CENI. Sous bonne garde, le coordinateur ne veut pas recevoir les PV. Après une longue attente, je rentre chez moi pour dormir et revenir à sept heures du matin.

Cette fois, les policiers me laissent entrer sans problèmes. Seul et détendu, le coordinateur commence à me taquiner, en me demandant ce que j’avais répondu à mes illustres visiteurs. Je le lui rapporte volontiers et lui remets mes dix PV. « Tout-à-fait conformes et même modèles », me félicite-t-il, après les avoir soigneusement examinés.

Mosy

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Source : Le Calame (Mauritanie)