Dr Mohamed Mahmoud Ould Mah, secrétaire général de l’UPSD : « Nous n’irons pas jusqu’à dire que Ould Abdel Aziz et les Salafistes ont coordonné leurs démarches »

Dr Mohamed Mahmoud Ould Mah, secrétaire général de l’UPSD : Le Calame à son départ de Nouakchott, Monsieur Macron a glissé à l’oreille de Ould Abdel Aziz les mots suivants : «sois courageux, tu en auras besoin. De toute façon, on sera là». Dans notre entretien passé (Le Calame n° 1112 du 11 avril 2018), vous affirmez que les préférences de Monsieur Ould Abdel Aziz vont vers un 3ème mandat (plutôt que de changer le régime de présidentiel en parlementaire), à condition que l’ancienne puissance coloniale lui donne le feu-vert.

Pensez-vous que ces mots de Monsieur Macron équivalent à un feu-vert de la part de la France à Monsieur Ould Abdel Aziz, pour contourner le bouclage de la Constitution qui lui interdit ce 3ème mandat ?

Dr Mohamed Mahmoud Ould Mah: La première chose qui frappe le lecteur est le style familier, le tutoiement. Le Général de Gaulle, le plus grand (dans toute l’acceptation du terme) des présidents français n’a jamais tutoyé les présidents africains ; même si, ce qui est communément appelé France-Afrique, avait été l’œuvre de l’un de ses proches collaborateurs, Monsieur Foccart.

Dans le même ordre d’idées, le Président François Mitterrand, à l’occasion de l’une de ses tournées à l’intérieur de la France, fut interpelé par l’un de ses amis, préfet de département : «Monsieur le Président ! Devrions-nous nous tutoyer ou nous vouvoyer ?». «Comme vous le voulez», lui répond Monsieur Mitterrand.

Ces mots de Monsieur Macron interpellent le lecteur également par le choix du moment et la manière pour les dire : au départ et à l’oreille de Monsieur Ould Abdel Aziz.

Monsieur Macron, oubliant à l’occasion, la sensibilité des micros. Les moments de départ et de séparation ont toujours été immortalisés. Pour le poète Apollinaire, «partir c’est mourir un peu». Monsieur Macron donc, avant de «mourir» a tenu à assurer Monsieur Ould Abdel Aziz du soutien de la France dans l’épreuve qui l’attend et qui demande du courage.

Qu’elle est donc cette épreuve qui attend Ould Abdel Aziz et qui demande de sa part du courage, même s’il est assuré d’avoir la France à ses côtés ? Elle ne peut être que le fameux 3ème mandat, derrière lequel courait Monsieur Ould Abdel Aziz, tout en se jouant de tout le monde, pour dire, même la veille du sommet de l’Union africaine et de l’arrivée de Monsieur Macron qu’il n’est pas candidat à un 3ème mandat.

Mais cette générosité de Monsieur Macron, cette évocation, n’est pas sans contrepartie. Monsieur Macron a hérité de son mentor, Monsieur Hollande (plus un homme de guerre qu’un homme de gauche), une situation sécuritaire catastrophique au Sahel, caractérisée par la présence accrue et agressive des Salafistes et la faiblesse des armées des pays du G5.

Devant la nonchalance de Monsieur Ould Abdel Aziz à intégrer ce G5, Monsieur Macon se demandait, il y a quelques mois : «à quel jeu joue le Président Mauritanien ?», pendant que son ambassadeur à Nouakchott commence à parler du «successeur de Ould Abdel Aziz», lui qui jusqu’ici se contentait seulement «de prendre acte des déclarations du Président Ould Abdel Aziz de ne pas briguer un 3ème mandat».

On raconte qu’Ould Abdel Aziz aurait contracté un modus vivendi avec les Salafistes, pour se mettre à l’abri des attentats, lui qui voyage souvent à l’Est du pays. Durant la guerre du Mali, il avait refusé de faire la guerre aux Salafistes en allant vers eux, préférant rester dans les frontières nationales.

Peu importe qu’il ait ou non signé avec eux un modus vivendi, cette attitude de sa part était suffisante pour épargner à la Mauritanie leurs opérations. C’est pourquoi, les Salafistes en attaquant le siège de l’Etat Major de G5 ont piétiné tous les drapeaux, sauf celui de la Mauritanie.

Nous n’irons pas jusqu’à dire que Ould Abdel Aziz et les Salafistes ont coordonné leurs différentes démarches : les premiers, en programmant leurs attaques la veille du sommet de l’Union Africaine et en faisant monter les enchères par le nombre des morts et des blessés ; le second, Ould Abdel Aziz, en choisissant ce moment précis, pour poser la question du 3ème mandat qui lui tient tant à cœur, à un Macron, encore sous le choc des attaques des Salafistes.

Mais les événements vont se précipiter : la veille du sommet de l’Union Africaine et de l’arrivée de Monsieur Macron à Nouakchott, les Salafistes commettent une série d’attaques meurtrières, en ciblant le siège de l’Etat Major du G5 et la force Barkhane, au Mali, faisant des morts et des blessés.

Comme nous l’avons dit, les Attaques des Salafistes ont servi, à n’en pas douter, les desseins de Ould Abdel Aziz et poussé Monsieur Macron à tout mettre en œuvre pour que ces attaques cessent et ne se renouvellent plus contre les troupes françaises au Sahel.

Une région sévère du Sahara où, à partir de 9 h du matin, les Africains eux-mêmes, ne mettent plus le nez dehors et une heure plus tard, les animaux à leur tour, cherchent à se mettre à l’ombre s’il y’en a, quitte à s’entasser les uns sur les autres.

Si la mort des Africains ne soulève aucun problème en France ou ailleurs en Europe, celle d’un blanc, par contre, fut-il un 2ème classe de la légion étrangère, remue tous les cendres et alimente les journaux qui en font souvent une exploitation politique.

Si Monsieur Ould Abdel Aziz court derrière un 3ème mandat que lui interdit la constitution, Monsieur Macron, quant à lui, court derrière un 2ème mandat, pas plus facile et que les attaques des Salafistes et l’affaire Alexandre Benalla ne facilitent pas.

La veille de l’arrivée de Monsieur Macron, Ould Abdel Aziz a invité les Chefs d’Etat du G5 à accélérer les opérations et il a nommé un commandant du G5 en la personne de son chef d’Etat Major Adjoint, déclarant au sujet des attaques des Salafistes : «nous avons été touchés dans nos cœurs», invitant par la même occasion les chefs d’Etat du G5, présents au sommet, à accélérer les opérations de démarrage du G5. Il ne fallait pas plus pour que Macron déclare: «Ould Abdel Aziz est incontournable» et lui glisser à l’oreille, au moment de son départ «sois courageux, tu en auras besoin. De toute façon, on sera là».

On comprend dès lors, que l’épreuve à laquelle Ould Abdel Aziz sera confrontée et qui nécessite de sa part d’avoir du courage, même s’il est assuré, en outre, que la France est derrière lui, n’est certainement pas une opération militaire, dirigée contre les Salafistes et commandée par Ould Abdel Aziz lui-même, mais plutôt une opération politique soutenue par la France et visant à faire sauter le bouclage de notre constitution à tout président qui aura fait 2 mandats et prêté serment en sa qualité de chef d’Etat musulman de ne pas tenter de modifier cette constitution dans le sens d’un 3ème mandat.

Pourquoi, selon vous Ould Abdel Aziz tient à un 3ème mandat ?

Nous avons toujours dit que Ould Abdel Aziz ne quittera pas le pouvoir de son propre gré et qu’il continuera toujours à le détenir tant qu’il peut, pour la simple raison qu’il ne fait confiance à personne, même si cette personne, qu’il prétendrait soutenir et présenter à sa place serait un proche et un homme de poigne, susceptible d’assurer sa sécurité et celle de ses biens, une fortune, dirions-nous, qui ne cesse de s’agrandir et que l’intéressé ne cache d’ailleurs pas ; elle couvre l’ensemble des secteurs de l’économie et des services. Pour Ould Abdel Aziz, l’essentiel n’est d’ailleurs pas tellement de détenir le pouvoir pour le pouvoir que le pouvoir pour préserver et fructifier la fortune qu’il a accumulée.

C’est en ce sens qu’il ne fait confiance à personne ; il a peut-être raison, parce que personne n’accepterait d’être président et laisser Ould Abdel Aziz dans l’impunité. Ailleurs, un président qui tenterait seulement de s’enrichir, même sous la table, serait vite jugé et destitué.

En l’absence du feu-vert français pour un 3ème mandat, il ne reste à Ould Abdel Aziz qu’à changer la forme du pouvoir, de présidentiel en parlementaire, avec tous les pouvoirs. Le régime parlementaire, s’il résout le problème de la fortune d’Ould Abdel Aziz, c’est-à-dire sa dépendance du pouvoir, ne convient pas à sa personne ; il ne s’accommodera pas d’un autre titre que celui de président.

En outre, la charge de Premier Ministre ne lui convient pas non plus, c’est une fonction exigeante et Ould Abdel Aziz n’est pas une personne à travailler beaucoup et elle ne lui laisse pas le temps de s’occuper de ses affaires. C’est pour toutes ces raisons qu’Ould Abdel Aziz tient à un 3ème mandat, en dépit du non respect de la Constitution, de celui du peuple mauritanien et du serment qu’il a prêté.

Ce serait le 4ème coup de force qu’il effectuerait, chaque fois qu’un obstacle se dresse devant lui ; cette fois c’est la Constitution. Il avait réalisé au préalable 3 coups de forces ; contre Ould Taya dont il était censé assurer la sécurité et auquel il est lié par des liens sociaux et humains auxquels il doit tout.

Le second coup concernait son propre cousin, feu le Président Ely Ould Mohamed Vall, qui était derrière sa formation d’officier et enfin le dernier coup de force était dirigé contre le Président élu, Sidi Ould Cheikh Abdellahi. La France a soutenu tous ces forfaits, ces coups de force ; va-t-elle encore le soutenir pour son 4ème coup de force contre la constitution : «Sois courageux, tu en auras besoin. De toute façon on sera là».

Les Mauritaniens, occupés par un antagonisme inter et intra tribal et ethnique dont le pouvoir en fait, d’ailleurs, un outil de gouvernement, semblent ne pas se soucier de la dépendance de cette fortune du pouvoir. Malheureusement, chez nous, les Mauritaniens continuent encore à se déterminer, en fonction de leur appartenance tribale, ethnique ou sur ordre du chef de la confrérie religieuse à laquelle ils appartiennent.

Le Pouvoir axe donc sa politique sur le communautarisme où la responsabilité sera plutôt collective (tribu, ethnie, groupement social) qu’individuelle. On comprend, sans peine, pourquoi les chefs de tribu, les fils des chefs, les cadres et les notables des communautés ethniques sont les principaux bénéficiaires du pouvoir : après avoir fait valoir leurs droits à la retraite, ils se sont vus nommés à la tête des Conseils d’Administration des Sociétés et des Entreprises de l’Etat pour quelques années encore, pendant que des milliers de cadres et de diplômés manifestent tous les jours devant la présidence en quête d’un emploi.

Le vote sera, essentiellement collectif (tribal, ethnique, groupement social ou confrérie religieuse) au lieu d’être la conséquence d’une appréciation citoyenne, personnelle et individuelle. N’est-ce pas le pouvoir lui-même qui a créé le Biram noir et le Biram blanc qui ont le privilège, eux et leurs compagnons, de s’affronter dans les télévisions qui sont toutes, d’ailleurs, favorables au pouvoir.

Vos lecteurs comprendront pourquoi les mouvements extrémistes et communautaristes ne sont pas très loin du pouvoir, tout en voulant se réclamer aussi de l’opposition. Quand une ethnie semble s’éloigner du pouvoir, une autre s’en rapproche, pour mettre à profit le vide créé par cet éloignement et ainsi de suite. Le pouvoir joue sur tout cela, il est même souvent à la base de ‘’l’éloignement’’ ou du ‘’rapprochement’’ de telle ou telle ethnie, groupe social ou tribu simplement.

En tout état de cause, le communautarisme biaise le combat politique, économique et social du peuple mauritanien contre le sous-développement, la précarité et l’ignorance.

Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh

Par Le Calame