FNDU : Note d’information à l’intention des participants au 31ème Sommet de l’Union Africaine 1er-2 Juillet 2018

FNDU : Note d’information à l’intention des participants au 31ème Sommet de l’Union Africaine 1er-2 Juillet 2018Note d’information sur la situation en Mauritanie

I- Sur la nature du pouvoir en Mauritanie

Le régime issu du coup d’état du 6 aout 2008, qui fut condamné en son temps par l’Union Africaine, concentre tous les pouvoirs entre les mains du pouvoir exécutif. Ce faisant, il a réduit les autres Institutions à leur plus simple expression.

Ainsi, le parlement a été réduit à une simple chambre d’enregistrement. Le Sénat, créé pour veiller à l’autonomie des collectivités territoriales et atténuer les ardeurs de la chambre basse, en a d’ailleurs fait récemment les frais lorsqu’il a osé rejeter une révision constitutionnelle voulue par le Chef de l’Etat. Les institutions sont en effet tenues de manifester une infaillible docilité au chef de l’exécutif, autrement dit c’est la transposition de l’ordre prétorien dans le fonctionnement des institutions dites pourtant civiles.

Le système judiciaire, pierre angulaire s’il en est, de tout Etat de droit fiable est une des premières victimes de cette dérive autocratique.

Comme pour le parlement, la justice a été instrumentalisée à fond pour servir les desseins du régime, au mépris de toute règle de procédure et de bon sens. Les immixtions du parquet dans le fonctionnement de la justice sont devenues monnaie courante. Les honorables Sénateurs qui ont rejeté les amendements constitutionnels dénoncer l’imposture subissent les effets terribles de cette justice du « plus fort ». Les cas les plus illustratifs de cette justice à deux vitesses sont : celui du Sénateur Mohamed ould Ghadda qui croupit depuis plus de six mois en prison, sans jugement et avec, pour seul tort, d’avoir voté contre les amendements constitutionnels proposés ;la mise arbitraire sous contrôle judiciaire de sénateurs, de journalistes et de syndicalistes; l’émission de mandats d’arrêts internationaux à l’encontre d’hommes d’affaires en exil pour leurs opinions politiques.

Faisant fi du rejet par le Sénat des amendements constitutionnels, lequel rejet signifiait légalement l’arrêt définitif du processus, le pouvoir a décidé de contourner la Constitution en soumettant ces amendements à un référendum pour imposer sa volonté. L’organisation du scrutin référendaire a mis à nu de manière spectaculaire la dérive autocratique du régime. En effet, le pays n’a pas connu depuis près d’un quart de siècle pire scrutin en raison de :

– l’engagement sans précédent de l’administration territoriale qui, habituellement affiche une certaine réserve, alors que, pour l’occasion a usé de tous les moyens pour orienter et manipuler le vote des populations ;

– la pression exercée sur les fonctionnaires et employés de l’Etat et même ceux du secteur privé pour s’engager dans la campagne du régime en faveur du « oui » ;

– l’utilisation des deniers publics pour financer la campagne du « oui ».

– les multiples obstructions dressées devant le seul parti politique ayant fait campagne pour le « non »: interdiction de réunions et manifestations ; entraves pour l’affichage des slogans et pour le placement des banderoles qui prônent le vote pour le « non » ;

– l’utilisation des médias d’Etat au profit exclusif de la campagne en faveur du « oui » ;

– le recours au bourrage des urnes, qu’on a pourtant cru dépasser, ce qu’atteste la proportion de bureaux qui ont enregistré des votes de 100% voire plus, pour le « oui », ce qui est totalement absurde.

Dans ce contexte d’atrophie des libertés publiques, les médias, autre pilier de la démocratie, sont de plus en plus laminés. Les télévisions privées se sont vues obligées de fermer leurs portes face aux tracasseries de toute sorte, pour laisser place aux seuls médias audiovisuels de l’Etat. Chasse gardée des gouvernants, ceux-ci persistent dans leur litanie insipide de glorification du pouvoir et de culte de la personnalité de son chef, sans aucune volonté de s’ouvrir au débat contradictoire.

II- Sur la gouvernance économique

Notre pays a bénéficié durant cette décennie d’une conjoncture très favorable en raison de la très forte hausse des prix du fer, de l’or et du cuivre. Les recettes publiques ont plus que doublé ainsi que la valeur des exportations. Parallèlement à ces ressources exceptionnelles, le gouvernement a continué à emprunter auprès des bailleurs de fonds étrangers, principalement les Fonds arabes, pour endetter le pays (le niveau de l’encours de la dette atteint à peu près 100% du PIB).

Au lieu d’enregistrer des taux de croissance à deux chiffres, compatibles avec les ressources engagées, le taux de croissance moyen sur la période 2009-20016 est autour de 3,5%, soit moins que le taux de croissance moyen pour la période 2000-2008 qui se situait à 4,2%, avec des ressources deux fois moins importantes. Le revenu moyen par habitant a continué à baisser ces trois dernières années. En effet le taux de croissance économique moyen pour 2015-2016est de 1,3% contre un taux de croissance démographique de l’ordre de 2,6%. Au lieu d’améliorer le niveau de vie des populations et assurer une relance de l’économie nationale, le niveau de la pauvreté s’est accentué, le pouvoir d’achat s’est dégradé, le secteur privé national a été détruit, les investisseurs étrangers ont fui le pays, le système bancaire a été déstructuré, l’ouguiya a perdu 53% de sa valeur par rapport au dollar entre 2009 et 2017, etc.

• une mauvaise gestion des ressources minières et halieutiques (improvisation doublée de la corruption) ;

• une gestion clientéliste des marchés publics (le gré à gré et le manque total de transparence, les marchés ne sont attribués qu’à l’entourage immédiat);

• des choix douteux en matière d’infrastructures, sans incidence en termes d’emplois et de valeur ajoutée (des coûts exorbitants et des qualités douteuses) ;

• une gestion patrimoniale de l’Etat sans précédent dans le pays avec bradage du foncier et l’attribution de concessions colossales à l’entourage (vente des écoles, école de police, stade olympique, autres bâtiments publics à Nouakchott et Nouadhibou, etc.) ;

• une gestion budgétaire catastrophique (déséquilibre des allocations, imprévisibilité et gestion hors budget).

III- Sur la gouvernance sociale

Le système éducatif connait une grave dégradation sous le régime actuel. Les manifestations de cette déchéance sont criantes et plurielles: absence chronique d’enseignants particulièrement dans les niveaux fondamental et secondaire ; surpopulation des classes ; sous-équipement ; déficit en salles de classes ; pléthore du personnel d’encadrement, pilotage défaillant à tous les niveaux de la chaine éducative, au point qu’il ne serait pas exagéré de dire que l’Etat a tout simplement démissionné pour laisser l’anarchie sévir dans ce secteur.

Contrairement à ce qui se pratique dans la plupart des pays, le système éducatif en Mauritanie est un parent pauvre dans l’affectation des ressources budgétaires. Seuls 2,8% du Pib sont destinés à l’enseignement contre une norme internationale de 5,5%. L’Institut d’Etudes stratégiques de l’Union Africaine (ISS) a confirmé dans une étude réalisée en 2016 que « les lacunes du système d’éducation en Mauritanie ont favorisé la naissance d’un vide dans lequel la radicalisation prospère ».

De son coté le secteur de la santé n’est guère mieux loti. Il est, lui aussi, victime de l’absence totale de planification stratégique. Ce système est miné par les bas salaires, l’insuffisance du personnel médical qualifié, la désorganisation du secteur, l’anarchie dans la gestion du personnel, la négligence, le manque de suivi et de contrôle, l’impunité, la cherté des coûts des services et par la persistance de réseaux mafieux de ventes de faux médicaments. Il est aussi l’un des secteurs les plus négligés dans la mesure où son budget équivaut à peine à 1% du Pib contre une norme de 2,5% en général.

Au lieu de consolider les acquis de la politique du pouvoir civil, qui a jeté les bases d’un vivre ensemble apaisé entre les différentes communautés du pays, à travers le retour organisé des réfugiés mauritaniens chassés de leur pays en 1989 et précédemment installés au Sénégal, le rétablissement des citoyens dans leurs droits et le règlement du passif humanitaire, ce pouvoir n’a fait qu’aggraver les injustices qui continuent de menacer la stabilité et la cohésion du pays.

L’éradication de l’esclavage et de ses séquelles n’a connu aucune avancée effective depuis 2008, ce qui a créé un climat social tendu, potentiellement explosif, qui menace sérieusement l’unité et la stabilité du pays. Ces menaces sont amplifiées par les risques de déstabilisation et de radicalisation résultant de la non prise en compte des situations de certaines franges de la population (jeunes, populations des ‘adwabas’, populations rurales, populations de la vallée, etc.) dans la construction d’un projet politique inclusif.

De la même manière, la paupérisation croissante des populations constitue un terreau favorable à l’émergence d’une nouvelle culture extrémiste. Les atteintes aux droits de l’homme peuvent attiser le mécontentement et la colère des jeunes les emmenant à perdre foi en l’utilisation de moyens pacifiques. Certaines études réalisées en Afrique du nord ont montré que les abus de la part des gouvernants creusent le fossé entre la politique et le social et conduisent les jeunes à rechercher leur identité et leur avenir ailleurs, la plupart du temps auprès des groupes extrémistes.

Le pays a connu cette année une grave sécheresse qui a causé de grandes pertes dans le cheptel et empêché les cultures saisonnières, entrainant une famine qui touche des centaines de milliers de citoyens ruraux, notamment dans les régions de l’Est du pays. Malgré les appels répétés des populations et de l’Opposition, le pouvoir est resté sourd devant la détresse causée par cette catastrophe. Le Plan d’Urgence pour lequel il dit avoir mobilisé des dizaines de milliards n’a pas dépassé le stade de slogans creux.

IV- Sur la place de la Mauritanie dans les classements internationaux sur la qualité de la gouvernance

La Mauritanie, en dépit de tous ses atouts, est systématiquement classé parmi les derniers dans les classements internationaux par rapport aux indicateurs de la qualité de la gouvernance.

• Dans le dernier rapport annuel du Forum Economique Mondial, sur «l’indice de compétitivité mondiale», la Mauritanie occupe le 133ème rang sur les 137 évalués.

• L’indice de Développement Humain (IDH) classait la Mauritanie en 2008, au 154èmerang sur les 175 pays. Selon le dernier rapport de 2016, elle perd trois points pour occuper le 157ème rang.

• Par rapport à l’Indice sur la Perception de la Corruption, la Mauritanie a reculé de 28 points dans le classement entre 2008 et 2017, passant du 115ème rang au 143ème rang sur les 175 pays évalués par Transparency International.

• L’évaluation de la qualité du climat des affaires selon le classement de Doing Business de 2017 place la Mauritanie à la 150ème, malgré l’élaboration de nouveaux textes règlementant l’exercice des affaires dans le pays, suite aux mauvais classements des exercices précédents. Dans les faits, à ce jour, ces textes n’ont connu aucun début d’application et l’attribution des marchés publics, par exemple, continue de se faire dans le favoritisme et l’opacité.

• L’Indice Mo Ibrahim de la gouvernance en Afrique (IIAG) est un outil de mesure et de suivi des performances en matière de gouvernance dans les pays africains. Sur cet indice, en 2008 la Mauritanie avait bénéficié d’une note de 50,8/100 et se positionnait à la 28eme place sur les 44 pays évalués. En 2017 la note du pays est tombée à 44,5/100 et son rang a chuté de 13 points pour occuper la 41ème place sur 53 pays.

V- Sur les perspectives du pays

Dans moins d’un an, le deuxième et dernier mandat de l’actuel chef de l’Etat prendra fin. Deux choix s’offrent à la Mauritanie :

1- La poursuite de la gestion du pays par une gouvernance identique ou similaire à celle qu’il subit depuis dix ans. Alors, l’obstruction de la voie de l’alternance pacifique par la voie des urnes, les défiances politiques, économiques et sociales résultant de cette gouvernance peuvent gravement fragiliser en interne le pays et exacerber les tensions particularistes dans une société où sévissent le dénuement, la précarité et l’injustice. Dans le contexte de notre sous-région, ces fragilités seront inévitablement exploitées par les réseaux mafieux liés au trafic de la drogue et par les groupes terroristes, déjà suffisamment bien implantés sur nos frontières et même à l’intérieur du pays.

2- L’ouverture d’une concertation nationale inclusive et l’organisation d’un débat national pour l’organisation d’une alternance pacifique démocratique et responsable en 2019. L’apaisement de la scène est un préalable au règlement de crise politique que connait le pays depuis le coup d’Etat de 2008. Le débat d’idées dans un cadre apaisé permettra de définir la vision et les contours de la gouvernance qui permettra au pays de rattraper les retards enregistrés dans tous les domaines.

Les principales mesures de nature à garantir la participation de tous les acteurs et à éviter l’aggravation de la crise peuvent être résumées comme suit :

– la mise en place d’une administration électorale fiable et réellement neutre qui organisera le déroulement technique des opérations électorales ;

– la mise sur pied d’un train de mesures susceptibles de garantir l’impartialité de l’Etat à tous les niveaux (administration territoriale, fonctionnaires, armée, etc.).

– la mise en place d’une observation internationale, intégrale et crédible pour les élections présidentielles de 2019.

Le Forum National pour la Démocratie et l’Unité

Nouakchott, le 25 Juin 2018

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Source : FNDU