Ewlad Leblad en sursis au Sénégal : Macky les expulsera-t-il vers Nouakchott ?

Ewlad Leblad en sursis au Sénégal : Macky les expulsera-t-il vers Nouakchott ?Lemrabot ould Alioune Dieri, alias Isaac Ice, du groupe de rap mauritanien « Ewlad Leblad », auteur de tubes très engagés et virulents, contre le régime de Mohamed ould Abdel Aziz, a été interpellé, samedi 7 Avril, à son domicile Cité Keur Gorgui (Dakar), et détenu, quelques heures durant, à la Division des investigations criminelles (DIC).

Selon les sources du journal « l’AS », c’est le président mauritanien qui aurait personnellement pression, sur Macky Sall, pour obtenir la tête des rappeurs. Avocat de ces derniers, maître Khoureychi Ba, joint par l’AS, redoute que les autorités n’extradent ses clients vers la Mauritanie, comme elles renvoyèrent Kémi Séba vers la France.

Selon des sources proches de la DIC, rapportées par la presse sénégalaise, le concerné a été relâché. Les policiers sont intervenus pour le compte de la Direction de la Police des étrangers et des titres de voyage (DPETV). « Une simple procédure administrative », minimise l’interlocuteur.

Mais maître Khoureychi Ba ne semble pas prendre l’affaire à la légère. Loin de là. Estampillés opposants du régime d’Ould Abdel Aziz, les rappeurs devaient se rendre, mardi matin à 9 heures, au Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) des Nations Unies, pour régulariser leur situation de réfugiés politiques au Sénégal.

Les autorités sénégalaises, qui auraient pris des engagements envers la Mauritanie, veulent-elles profiter de cette situation d’« irrégularité » pour mettre la main sur les rappeurs, réfugiés au Sénégal depuis 2015 ? Une équipe de tireurs d’élite aurait été envoyée, en 2016, pour les liquider physiquement, à en croire leur avocat, précisant, toutefois, que l’enquête ouverte, par la gendarmerie de la Foire, n’a abouti à rien.

Mais les rappeurs, en fréquentes tournées en Europe et ailleurs, ne cessent de dénoncer les magouilles du régime, documents à l’appui, diffusés dans leurs clips où ils présentent des enregistrements, des factures et des vidéos, pour étayer leurs dires, explique maître Khoureychi Ba, « en réalité, si le DJ a été relâché, c’est pour piéger les autres membres du groupe [trois musiciens et un responsable de com, NDR] et les arrêter ».

« Le HCR est de bonne foi », poursuit l’avocat, « mais ne peut garantir ce qui se passe à l’extérieur de son siège. On peut les arrêter à l’entrée, reproduire le scénario utilisé contre Kémi Séba.

La loi dit qu’il faut notifier l’expulsion et donner deux mois, au concerné, avant de l’expulser, mais les autorités ne respectent rien. La loi relative à la réglementation, par la Cour suprême, de l’expulsion des étrangers, est régulièrement bafouée.

Certes, le Président mauritanien a donné des gages de bien les traiter, « ce sont mes enfants », a-t-il dit, mais ce n’est pas vraiment sûr. Le président du Sénat mauritanien [à l’époque Mohcen ould El Hadj, NDR] les a rencontrés ici. Ould Aziz fait tout pour s’arranger avec les rappeurs mais ils refusent.

Les demandes au HCR ont été déposées depuis deux ans. Mais on remet toujours au lendemain. Une sorte de chantage, via des Karimistes établis là-bas… Bref, on attend de voir. Mais, de toutes façons, je ne vais pas prendre le risque de voir mes clients expulsés », prévient l’avocat qui soupçonne le régime de vouloir les extrader vers la Mauritanie.

Imbroglio

Pour rappel de la procédure lancée par la Mauritanie, c’est en Janvier 2015 qu’Hamada Ould Sidi fut arrêté, par l’Office central de lutte contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes, et écroué à la prison de Dar Naïm, suite à une accusation de prétendu viol d’une fille.

Hamada est donc inculpé, non seulement, pour consommation et détention de stupéfiants, mais, aussi, pour attentat aux mœurs islamiques. Ses proches dénoncent, à l’époque, un montage, alors que les autorités n’y voient qu’une simple affaire de droit commun.

S’en suit une véritable querelle, entre les juges en charge du dossier et le ministère public. Le Parquet de Nouakchott-Ouest oriente Hamada, avec demande de mise sous écrou, vers le juge d’instruction du 3ème cabinet chargé des affaires de drogue, Ahmed Ould Elbou qui rejette la requête du ministère public, préférant le libérer sous contrôle judiciaire. Une décision contre laquelle le Parquet fait appel.

Entre temps, Hamada a recouvert la liberté, sur la base de la décision du juge d’instruction. Ses amis du groupe organisent, le même jour, une conférence de presse au cours de laquelle ils accusent les fils du président de la République et son conseiller en sécurité, Ahmeïda Ould Bah, de les avoir menacés, à plusieurs reprises. Ils auraient exigé du groupe, dont la virulence des chansons contre le Président est de notoriété, de composer un morceau chantant ses louanges.

Le groupe s’y refusant, Hamada est de nouveau jeté en prison, sur la base de l’appel formulé par le Parquet. Le dossier est renvoyé devant la Chambre des accusations près la Cour d’appel, présidée par le juge Mohamed Mokhtar Ould Cheikh et ses deux assesseurs, Mohamed Ould Cheikh Sidiya et Baba Mohamed Vall.

Très vite des divergences apparaissent entre les membres de la Chambre. Là où le président voit un impérieux devoir de mettre Hamada sous écrou, ses deux assesseurs plaident pour sa mise en liberté. La décision finale devait refléter l’avis de la majorité des membres de la Chambre, soit, en l’occurrence, les deux assesseurs. Un principe reconnu dans la délibération, au sein du système judiciaire mauritanien.

Mais, selon les sources qui rapportent l’information, le président de la Chambre aurait pris, seul, la décision de conduire Hamada en prison, sans se réunir avec ses assesseurs, ni, donc, aucun respect de leur avis contraire, pourtant expressément formulé, ni même publier la décision qu’il venait de prendre. Hamada recouvra plus tard la liberté.

Synthèse KAAW THIERNO

Source : Le Calame (Mauritanie)