Hausse générale et continue des prix en Mauritanie : Inflation, hyperinflation et stagflation (1) et (2)…

Partie 1

Des pays d’Asie de l’Est ont rompu avec un long passé d’inflation. Miracle ? Preuve, en tout cas, de ce que la croissance passe, d’abord et nécessairement, par la stabilité économique, fruit d’une politique solide, hostile à l’inflation. C’est-à-dire, à la hausse générale et continue des prix, engendrant augmentation excessive des moyens de paiement, sans contrepartie de biens, de services ou de réserves de change, jusqu’à dépréciation de la monnaie nationale. Celle-ci ne cesse alors d’amputer les revenus réels de citoyens, augmentant terriblement le coût de la vie. Perte du pouvoir d’achat de la monnaie nationale, perte du pouvoir d’achat de tout un chacun, détérioration de qualité de vie des citoyens : c’est cela, l’inflation.

Elle pénalise l’épargne, donc l’investissement ; fait perdre confiance aux opérateurs économiques, compromet la compétitivité du pays, en déséquilibrant sa balance commerciale. Le renchérissement des importations, par rapport aux exportations, creuse le déficit du commerce extérieur. L’État se finance ainsi par une monnaie dévalorisée. La grogne gronde, au marché, contre « ce poison » ou plutôt cette terrible maladie qui fait grimper inexorablement les prix. Pour beaucoup, c’est le mal du siècle.

Quand l’État n’arrive pas à financer ses dépenses par des ressources classiques ou des prélèvements explicites, elle fait « tourner la planche à billets », imprimant abusivement de la monnaie inflationniste, préjudiciable au développement et au bien-être des populations. Ce n’est rien d’autre qu’un prélèvement illicite d’impôts et de taxes occultes qui seront intégrés aux prix, aggravant encore davantage la spirale inflationniste. On voit ainsi le préalable absolu, dans la lutte contre l’inflation et je tiens, dès l’introduction de mon exposé, à le souligner car appliquer de bonnes politiques, ce n’est pas facile : le stock de monnaie doit être entièrement gagé par les réserves en devises.

Molle politique monétaire, dures conséquences sociales…

Cette rigueur budgétaire est la clé de la solution. À une condition : nommer un gouverneur de la Banque centrale réellement indépendant, partisan d’une politique prudente, résolument hostile à l’inflation. Faut-il préciser que rigueur monétaire et indépendance de la Banque centrale ne suffisent pas seulement d’un décret ? Il faut aussi instaurer des mécanismes qui feront contrepoids aux décisions arbitraires des services de l’État.

Vous me direz que l’inflation existe partout. Oui mais, dans les pays industrialisés, non seulement, ils arrivent à la contenir mais, aussi, leurs politiques des hauts salaires et d’importants revenus compensent largement l’inflation. Même dans la zone CFA, la plupart des pays francophones arrivent à la maîtriser, grâce à la rigueur monétaire que leur imposent leurs deux banques centrales, supranationales et, donc, indépendantes. Les avances à un pays-membre sont limitées à 20% des recettes fiscales qu’il a perçues l’année précédente. Cela empêche le pays de recourir à des prélèvements inflationnistes et tous ceux soumis à cette règle ont ainsi un taux d’inflation inférieur à celui des pays environnants hors de ce système.

Ces critères de rigueur monétaire doivent être considérés comme une condition sine qua none de lutte contre l’inflation, pour autant qu’on souhaite renouer avec la croissance et le développement. De fait l’inflation, suite à l’augmentation des instruments de paiement – autrement dit, les billets de banque – et les dépôts qui peuvent être transformés en liquidités, n’a cessé de s’accentuer, chez nous, depuis la fin des années 80. D’abord modérée, dite rampante, l’inflation s’est accélérée, pour prendre une forme plus poussée dite « galopante », à plus d’un chiffre (+ de 10).

Sous réserve de toutes les précautions qu’il convient de prendre, lorsqu’on essaye de quantifier des grandeurs réelles à partir d’un échantillon, pour comparer globalement les prix de 1988 et de 2018, par exemple, il faut les multiplier par quatre, en moyenne. Durant cette période, le coût du dollar, en monnaie nationale, est passé de 77,5 MRO, en 1988, à 356,3 MRO, en 2018. Soit une augmentation plus de quatre fois, alors que les revenus (sur la base de l’évolution des salaires) n’ont augmenté, en moyenne, que du double. La hausse des prix des biens et services a été deux fois plus importante en moyenne que celle des salaires et des revenus durant les trente dernières années.

Le pays n’arrive pas à rompre avec cette longue tradition inflationniste. En cause, bien sûr, ses excès de monnaie en circulation : la masse monétaire augmente beaucoup plus vite que la production. Le pouvoir d’achat sur les autres monnaies ne cesse donc de diminuer. En une année seulement, (Janvier 2017 à Janvier 2018) l’euro est passé de 381,74 A.UM à 426,30 A.UM, soit une hausse de 44,56 A.UM (+ 11,67%). Une seule importation d’un million d’euros de sucre, par exemple, nous coûterait ; donc, aujourd’hui, 44,56 millions d’anciennes ouguiyas de plus qu’il y a un an. Une véritable ponction sur les revenus réels qui sera répercutée sur les prix, avec ses effets fâcheux pour le pauvre consommateur. Et c’est n’est pas fini. Il faut aussi ajouter par avoir le prix de revient, les impôts et taxes classiques, ainsi que les impôts et taxes illicites. Ce sont ces derniers éléments qui constituent le prélèvement inflationniste.

Couple diabolique, riche vocabulaire…

Ces dernières années, un couple maléfique s’est formé, dans nombre de pays en développement, avec d’importantes retombées négatives sur l’ensemble de la société. D’un côté, madame Inflation accélérée, devenue Hyperinflation, en ses excessives rondeurs ; de l’autre, monsieur Chômage endémique qui porte, en lui-même, le germe de la récession. Les membres de ce couple diabolique se rendent mutuellement service, c’est-à-dire que l’une aggrave l’autre et réciproquement. Pour décrire cette nouvelle et étrange situation de crise, entre la stagnation économique, l’inflation et le chômage, il a fallu inventer un nouveau terme : la stagflation.

C’est un sort curieux que celui de l’inflation. Le nom qu’on lui donne et le traitement qu’on lui réserve changent suivant la situation considérée. Quand l’État n’a pas envie de réduire ses dépenses et que les recettes sont insuffisantes, il la nomme: « planche à billets ». Autrement dit, fabrication monétaire sans contrepartie. Sur simple instruction, la BCM, pourtant supposée indépendante, procède à une nouvelle injection de monnaie, augmentant ainsi l’offre en circulation et générant ainsi l’inflation. Elle porte aussi le nom de « hausse par les coûts ». Lorsque, par exemple, la hausse du prix du pétrole fait augmenter celui du transport ou, encore, lorsque les entrepreneurs répercutent sur les prix, les hausses de salaires consenties à leur personnel. Quand il s’agit du renchérissement des produits importés, consécutif à la baisse de la valeur de la monnaie nationale, on parle de « distorsions de taux de change » ou même de « transmission de l’inflation importée ». S’agissant encore d’une dépréciation externe de la monnaie, par rapport aux devises, les économistesévoquent un« glissement monétaire ». Alors qu’il s’agit, ni plus ni moins, d’une dévaluation.

Si le pays ne peut compter sur ses ressources traditionnelles, il se tourne vers la taxation implicite qui ne peut qu’entraîner la hausse des prix. En ce cas, l’inflation porte le nom d’ « augmentation de la TVA », par exemple. C’est n’est que lorsqu’elle s’est propagée et qu’elle est devenue flagrante que les autorités lui font porter son vrai nom d’inflation. Elle ne change pourtant pas de nature en changeant de nom. (A suivre)


Partie 2

Alors que les prix grimpaient chaque mois – ils grimpent toujours… –le premier de nos ministres a annoncé, dans sa déclaration de politique générale  devant le Parlement, que l’inflation s’était établie à 1,5%, dans la période 2014-2017. Les applaudissements fusèrent de tous côtés de l’hémicycle. Il me revint alors en mémoire une très ancienne et plaisante histoire concernant Cléopâtre, la reine de l’Égypte pharaonique. Permettez-moi de vous la rapporter, en prévenant tout de suite qu’il ne s’agit pas d’établir une quelconque comparaison. Une plaisanterie, tout au plus. Cléopâtre avait aménagé un simulacre de Sénat, habillant, de robes de sénateurs romains, quelques singes dressés pour la distraire et passer le temps. Recevant, un jour, Jules César, elle lui fit visiter la « Chambre haute » de ses « élus » bien particuliers. À l’arrivée du couple impérial, les singes prirent, en leur bel accoutrement, les places qui leur étaient réservées. L’un d’eux, apparemment le plus vieux et fort d’épais sourcils, monta sur la tribune, avec, en main, un semblant de parchemin. Puis, bras tendu, sourcils froncés, le voilà comme à déclamer discours. Tous les singes se lèvent et leurs applaudissements crépitent frénétiquement. Et d’accourir, en suivant, tour à tour au perchoir, pour y déployer cris et gestes, en guise de propositions. César se mit à rire, et encore rire, à gorge déployée. À défaut de César, serait-ce à la réalité des faits qu’il reviendrait aujourd’hui, de rire des estimations contemporaines de l’inflation en Mauritanie ?

 

Une proposition de calcul de l’inflation

Car l’actuel calcul officiellement pratiqué ne reflète pas le phénomène. La pondération des prix et la composition du panier de consommation de la ménagère sont plus que sujette à caution. L’indice national des prix à la consommation est loin de représenter la réalité. Les responsables au plus haut niveau se contredisent  d’ailleurs : de la bouche la plus autorisée du Ministère des Finances, l’inflation serait de 3%. Le double de ce qu’avait annoncé son patron devant le Parlement. Une différence énorme, en valeur absolue. Un constat à toujours considérer, cependant, à partir de la loi que nous énoncions dans la première partie de notre dossier : le stock de monnaie doit être absolument et entièrement  gagé par des réserves en devises ; sinon, c’est l’inflation.

Vous me direz que le calcul de nos gouvernants est partout pratiqué. Non, certains pays émergents d’Amérique Latine, comme l’Argentine, calculent autrement le taux d’inflation. Quant aux pays industrialisés, ils ont des moyens de contrôle des prix et des données beaucoup plus fiables que les nôtres. En Mauritanie, la masse monétaire s’est établie, en 2016,  à 448,8 milliards de MRO, sans compter les dépôts à terme (source BCM). Permettez-moi ici de glisser une petite précision technique à l’adresse  de ceux qui connaissent les agrégats monétaires : je n’ai considéré que M1. Quant aux réserves en devises, durant la même période, elles se chiffraient à 366,7 milliards de MRO (y compris les souscriptions du FMI et du FMA).

La différence – 82,1 milliards de MRO – représente la partie non couverte par l’or ou les réserves en devises. C’est cela, le financement inflationniste. Le taux d’inflation est donc de 18,3%, soit 82,1 milliards MRO sur les 448,8 milliards de la masse monétaire. On est, de fait, en pleine spirale hyper-inflationniste. Du point de vue de la rigueur monétaire, cela peut devenir dangereusement déstabilisateur. 18,3% représente le vrai taux d’inflation, suite à l’excèdent de monnaie en circulation, non gagée par les réserves de change. Affirmer que le taux d’inflation s’est établi, la même année, à 1,5 ou 3%, paraît une sorte de jeu à parier sur qui raconterait le plus invraisemblable.

Avant de terminer, je voudrai dire un mot sur la démonétisation, puisqu’elle est d’actualité. C’est un peu tôt pour tirer des conclusions, elle n’a que deux mois d’existence. Et l’opération elle-même ne comporte pas d’enjeu ; en tout cas, majeur. Le véritable problème consiste à instaurer confiance en notre nouvelle monnaie nationale ; ne pas décevoir, une fois de plus. Sur le plan externe, notamment par rapport au dollar et à l’euro, la situation de notre N.UM est, à tout le moins, mitigée. C’est surtout du côté des marchés que retentissent les cris d’alarme. Les prix grimpent chaque mois, voire chaque semaine. Que Dieu nous préserve de toute instabilité y compris économique !

Lehbib ould Berdid (Professeur, chercheur et analyste stratégiste)