LE VOILE DANS LA RELIGION MUSULMANE

SOIRÉE INAUGURALE DE L’EXPOSITION VOILE ET DÉVOILEMENT

Association Le Pont. 5 février 2015

Présenté par Lilia BENSEDRINE-THABET

INTRODUCTION

Il existe différentes lectures et regards sur le voile: politique, sociologique, juridique, sociale, ethnologique, historique…

Un colloque de deux jours ne suffirait pas pour épuiser notre sujet, surtout avec les regards de 6 religions différentes.

C’est pourquoi je ne prétendrai pas aborder le voile sous ces angles là.

De nombreux ouvrages, études, recherches le font et l’exposition si intéressante sur voile et dévoilement nous y invite.

Je vous propose donc mes recherches et mon témoignage. Celui d’une femme, musulmane, croyante et pratiquante depuis de nombreuses années.

Dans la première partie de mon exposé, je présente ce que dit le Coran sur le voile.

Dans la deuxième partie, nous verrons ce que disent des croyantes, voilées et non voilées, quelques-unes de leurs explications et interprétations.

PREMIÈRE PARTIE: QUE DIT LE CORAN SUR LE VOILE?

Je reprends pratiquement in extenso les écrits de Mohamed TALBI. Il est l’un des historiens et penseurs les plus éminents du monde arabo-musulman. Il fait partie de l’école de Tunis, comme Abdelwahab MEDDEB, qui animait Culture d’Islam sur France culture et qui vient de nous quitter, Abdelamjid CHARFI, Youssef SEDDIK, Iqbal GHARBI et bien d’autres.

Je le cite:

« Que dit le Coran sur le voile? Rien; mais strictement rien. Nulle part, il n’est question de la tête de la femme. Le mot « cheveux » (sh’ar) n’y existe tout simplement pas. Dieu ne dit ni de les couvrir, ni de les découvrir. Ce n’est pas Sa préoccupation principale, et il ne fit pas descendre le Coran pour apprendre aux gens comment s’habiller. Rien donc, dans le Coran, ne dit aux femmes explicitement de se couvrir les cheveux.

Le terme voile, dans le sens qu’on lui donne aujourd’hui ne fait pas partie du vocabulaire coranique. Le Coran emploie trois termes que l’on a interprétés, à notre sens, d’une façon abusive, dans le sens de voile:

hijâb; jilbâb; khimâr.1 »

1

Le terme hijâb est mentionné dans la sourate XXXIII, Les coalisés, verset 53.

Le texte concerne les épouses du prophète exclusivement.

Le terme hijâb y désigne non un vêtement mais une tenture ou rideau séparant, dans la maison du prophète Mohamed, la partie réservée à ses épouses pour qu’elles ne soient pas importunées par les visiteurs.

Ainsi, Il s’agit ici d’un voile de séparation entre deux espaces, l’un intime, familial, celui des femmes du prophète et l’autre plus public, puisque le prophète y recevait les visiteurs.

Le second terme dans le Coran est jilbâb. Il est mentionné au pluriel dans la sourate XXXIII, verset 59:

« Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de rapprocher sur elles une partie de leur mante (yudnîna’alayhinna min jalâbibihinna). Cela est plus sûr pour qu’on les reconnaisse. De la sorte, on ne les offensera pas. Et Dieu est Pardon et Miséricorde. »

La traduction de ce mot jalâbibihinna a fait couler beaucoup d’encre.

En effet, il peut être traduit de différentes manières: robe ou manteau ample. Il est de la même famille que « jellaba ». La jellaba est un vêtement de dessus que l’on met pour sortir.

A la différence du premier terme qui parle de hijâb comme tenture ou rideau de séparation entre deux espaces, ici le jilbâb a pour but de protéger par le moyen d’un signe distinctif les épouses, les filles et femmes des croyants des offenses et convoitises dont elles étaient l’objet.

La mante ou manteau qui couvre le corps de la femme n’est donc pas destiné ici à la cacher.

Quant à savoir comment exactement il faut porter cette mante, le Coran ne donne aucune description particulière.

De même qu’il n’y est pas question de se couvrir la tête.

Le lisân al arab (dictionnaire de la langue arabe) ne nous aide pas non plus à nous faire une idée précise de ce qu’était ce vêtement.

Le troisième terme est khimâr. Il est mentionné au pluriel dans la sourate Al-Nûr, La Lumière, sourate XXIV, versets 30-31:

« Dis aux croyants de baisser leurs regards et d’être chastes. Ils n’en sont que plus purs ainsi, et Dieu est bien informé de leurs agissements.

Dis aux croyantes de baisser leurs regards, d’être chastes, de n’exhiber de leur beauté (zinâtahunna) que ce qui habituellement en apparaît, et de rabattre leurs voiles sur leurs décolletés (li-yadhribna bi khumurihinna ‘alâ juyuûbihinna) ».

Ici, le Coran s’adresse aux croyants et aux croyantes et il est question de pudeur.

Les deux versets font partie du même discours et ne sauraient être séparés.

Le voile, en tant que vêtement féminin n’est donc pas décrit avec exactitude dans le Coran. Ce sont les fuqaha, les jurisconsultes qui se sont chargés de le faire2.

Il est à signaler que les savants et les exégètes sont en désaccord sur le sens exact de ces termes. Les traductions différent. Les canonistes spécialistes du droit musulman ont des avis différents sur l’interprétation exacte et la valeur obligatoire de ces indications vestimentaires.

DEUXIÈME PARTIE: EXPLICATIONS ET INTERPRÉTATIONS DE CROYANTES, VOILÉES ET NON VOILÉES:

Les explications et interprétations du voile sont très nombreuses3.

En voici quelques-unes:

Il a été évoqué, dans les précédents exposés, l’inscription du voile dans l’histoire du bassin méditerranéen et du Proche -Orient. On a parlé des femmes mariées qui dès l’antiquité mettaient un voile sur la tête.

Comme il a été souligné, il fait partie de l’histoire mais aussi de la géographie de la région. Pour se protéger du soleil, du vent, du sable, femmes et hommes se couvraient et se couvrent encore souvent la tête.

Certaines soulignent que plutôt que dans la religion, le voile s’inscrit dans la tradition:

Il ne fait pas partie des Ibadat (les obligations cultuelles) mais des Adâat.

Le voile Pression : La famille, le milieu social, la société estiment que c’est mieux de mettre le voile, c’est plus décent, plus convenable.

Le voile répression : On oblige la femme à se voiler. Cela peut-être vécu comme une prison.

Le voile protection : Le voile peut protéger des harcèlements, attouchements, agressions dans l’espace public, dans les bus, etc.

Le voile réaction : contre la société de consommation qui instrumentalise l’image et le corps de la femme à des fins publicitaires et de marketing.

Le voile libération : Il permet, dans certains milieux, de sortir, de continuer ses études, de côtoyer des endroits mixtes, de se mouvoir et de s’affirmer dans l’espace public.

Le voile expression mystique : C’est un acte de foi. Il aide à développer sa spiritualité, à se rapprocher de Dieu, à inscrire sa vie dans la sacralité: le respect d’un idéal de vie musulmane centrée sur Dieu.

Voile séparation : c’est une démarcation entre la bonne croyante et celle qui l’est moins ou qui ne l’est pas.

Anecdote

En arabe, l’expression utilisée pour dire : mettre le voile est : « entrer dans la religion » Idaynet. A quoi une personne de mon entourage croyante non voilée a répliqué : « Ne dites pas entrer dans la religion. Moi aussi, je suis entrée dans la religion depuis mes 5 ans puisque mon père, cheikh renommé, m’emmenait avec lui à la mosquée. Dites seulement: elle a mis un foulard sur sa tête. »

Le voile rempart contre la tentation : Ne pas être un objet de tentation pour l’homme mais également se préserver soi-même de la tentation. En mettant le voile, on risque moins d’y succomber.

Le voile séduction : Il peut mettre en valeur l’ovale du visage, la forme des yeux et permettre de plaire…

Le voile Pari de Pascal ? Dans le doute, autant le mettre ! Je ne risque rien à le mettre alors que si je m’abstiens, je risque de déplaire à Dieu voire de ne pas aller au paradis.

Le voile authenticité/identité : La quête identitaire se focalise sur le religieux. Besoin de s’affirmer, de se sentir et se voir reconnue.

Le voile facilité : Ne plus se préoccuper de ses cheveux, ne plus avoir à les arranger ou à aller chez le coiffeur.

Le voile mimétisme : Faire comme le groupe, être à la mode, être dans l’air du temps.

CONCLUSION :

Sur les 6236 versets du Coran, pourquoi met-on tant en exergue ces trois versets et que l’on parle bien moins des centaines d’autres qui insistent sur l’obligation d’aider les orphelins, les démunis, de faire le bien, de faire l’aumône, de pardonner à autrui…?

1Mohamed TALBI, Que dit le Coran ?,in JA/l’intelligent. N°2252. 7-13/03/2004

2 Leila BABÈS, Tarek OUBROU: Loi d’Allah, Loi des hommes. Albin Michel. Paris. 2002. p.190.

3 Cf Nadine B. WEIBEL, Par delà le voile. Édition Complexe. Bruxelles. 2000.