Mauritanie, la constitution torpillée

Mauritanie, la constitution torpillée A la veille d’un référendum constitutionnel contesté par une grande majorité des forces sociales et politiques mauritaniennes, la chercheuse Mousry Ahmed Ethmane livre une analyse pointue de la situation en Mauritanie sur le site wathi.org

La ville de Nouakchott, depuis un peu plus d’une dizaine de jours, vit au rythme de la campagne référendaire, rythme opposant les flagorneurs chants des partisans du « oui » aux marches fermes et massives des défenseurs du boycott du scrutin du 5 août 2017.

Ce scrutin illustre un irrespect patent des dispositions légales organisant les procédures de révision de la Loi fondamentale.

Vers l’organisation du référendum constitutionnel: du coup d’Etat à l’illusion du Dialogue

Le ministre de la Justice, pour justifier du projet de modification de la Loi fondamentale, affirmait que «la Constitution, ce n’est pas le Coran». Texte profane, il peut donc, et c’est normal, subir toute modification répondant à l’humeur, même volatile et impétueuse, de la personne installée à la présidence de la République.

Cette prétention à la modification trouve son origine dans la crise qui a suivi le coup d’Etat du 6 août 2008 et le refus du général putschiste, Mohamed Ould Abdel Aziz, d’appliquer les dispositions des accords-cadres de Dakar du 3 juin 2009, au lendemain de sa victoire très contestée des élections de juillet de la même année.

L’accord de Dakar comportait deux volets principaux : l’organisation d’élections présidentielles consensuelles et transparentes, fixées à la date du 18 juillet 2009 ; et la garantie, par le vainqueur des élections, de la poursuite du Dialogue national inclusif pour asseoir les bases d’un système démocratique stable.

Une modification de la Constitution est intervenue une première fois en 2012, à l’issue du fameux «dialogue» entre la majorité et une «opposition» composée exclusivement de formations politiques proches du pouvoir

Une modification de la Constitution est intervenue une première fois en 2012, à l’issue du fameux «dialogue» entre la majorité et une « opposition » composée exclusivement de formations politiques proches du pouvoir.

Sont alors consacrés plusieurs principes élémentaires de la coexistence sociale et politique, parmi lesquels le principe impératif de l’interdiction des coups d’Etat – moyen par lequel le général parvenait au pouvoir en 2008, et déjà illégal eu égard aux dispositions législatives et au serment prononcé en début de carrière par tous les officiers.

Le Dialogue national, prétendument inclusif, d’octobre 2016 communiquait des modifications nouvelles de la Constitution, modifications d’avance annoncées de manière unilatérale, et, de ce fait, arbitraire, par Ould Abdel Aziz dans son discours de Néma du 3 mai 2016.

Le projet de modification comprend plusieurs éléments : la suppression du Sénat et la création de conseils régionaux – en forme de généreux élan de compensation ; l’ajout de deux bandes rouges au drapeau vert et or, et la modification de l’hymne national historique ; la suppression enfin de la Haute Cour de Justice, du Haut Conseil Islamique, et du Médiateur de la République.

Référendum, congrès, référendum : tactique maladroite et revirements

La procédure à suivre pour la modification de la Constitution a fait l’objet de dialogues de sourds et de revirements opportunistes. La Constitution en son titre XI organise le régime de la révision de la loi fondamentale.

Après consultation et approbation des deux chambres du Parlement à la majorité des deux tiers, le chef de l’Etat dispose de deux voies légales pour procéder à la modification : l’expression directe de la volonté populaire, par voie référendaire ; ou l’expression indirecte du peuple mauritanien au travers de la représentation nationale, par la réunion en Congrès des deux chambres (l’Assemblée nationale et le Sénat), et le vote à la majorité des trois cinquièmes de la réforme constitutionnelle.

Après avoir d’abord opté pour la voie référendaire, c’est par la voix de son porte-parole que le gouvernement annonce l’abandon de la consultation populaire directe au profit de la convocation de l’Assemblée nationale et du Sénat, réunis en Congrès.

Ce revirement est alors justifié par la volonté de gagner du temps d’une part, et par celle de faire des économies d’autre part, pour préserver les finances publiques, eu égard à la conjoncture budgétaire difficile que connait le pays et au coût élevé que nécessite l’organisation d’un référendum.

les sénateurs opposent au projet de modification de la Constitution un «non» retentissant. La crise est actée, et ébranle les sommets de l’Etat: la rupture entre les pouvoirs exécutif et législatif est consommée

Ce revirement résulte en réalité d’une correction de tactique, visant l’assurance d’un vote favorable garanti par un Parlement à la composition largement favorable au régime : l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir, contrôle 150 sièges sur les 203 que comportent les deux chambres. Sans surprise, le 9 mars 2017, les députés votent en faveur du « oui ».

A quelques jours d’intervalle, le 17 mars, la fronde éclate : les sénateurs opposent au projet de modification de la Constitution un «non» retentissant. La crise est actée, et ébranle les sommets de l’Etat : la rupture entre les pouvoirs exécutif et législatif est consommée.

Qu’à cela ne tienne, le 22 mars, soit moins d’une semaine après l’expression du vote des sénateurs, le président contrarié riposte. Passant outre la décision de la chambre haute du Parlement, annonce est faite du contournement du Titre XI de la Constitution au profit de l’article 38, instituant la prérogative présidentielle de l’organisation d’un référendum sur «toute question d’importance nationale»– l’économie du pays, soudainement abondante et prospère, pouvant par effet de l’humeur nouvelle du chef, supporter le coût de l’organisation de la consultation populaire auparavant décriée.

L’illégalité du référendum du 5 août, dans son fondement et dans son exécution

Le régime prévoit de poser au peuple en ce 5 août 2017, deux questions: «Approuvez-vous le projet de loi constitutionnelle référendaire concernant la modification de l’article 8 de la Constitution du 20 juillet 1991?»; «Approuvez-vous le projet de loi constitutionnelle référendaire concernant la modification de certains articles de la Constitution du 20 juillet 1991?».

L’article 8, sous le titre premier de la Constitution relatif aux «dispositions générales et principes fondamentaux» de la République, stipule que «l’emblème national est un drapeau portant un croissant et une étoile d’or sur fond vert.». C’est donc dans le cadre tout à fait assumé de l’entreprise de déconstruction de l’Etat et de l’identité mauritanienne que s’inscrit la première question soumise au peuple. Ni plus, ni moins.

La seconde question, quant à elle, dans sa formulation stricte, ne s’encombre nullement de précisions quant aux numéros des articles concernés par le projet de modification de la Loi fondamentale. «Certains articles», selon le bon vouloir du président et de son entourage immédiat, seront donc potentiellement sujets à révision. Une ouverture à la non limitation des tripatouillages de la Constitution.

«Certains articles», selon le bon vouloir du président et de son entourage immédiat, seront donc potentiellement sujets à révision. Une ouverture à la non limitation des tripatouillages de la Constitution

Dans le cadre d’une conférence-débat en avril 2017 du Front National pour la Démocratie et l’Unité (FNDU – collectif d’opposition composé de partis politiques, d’organisations de la société civile, de centrales syndicales et de personnalités indépendantes), exclu, cela va de soi, du fameux «Dialogue national inclusif», les panélistes et intervenants avaient abordé la question des amendements constitutionnels.

Le professeur Mohamed Lemine Ould Dahi, éminent juriste et plume de la Constitution de 1991, a fait un retour au processus d’élaboration de la Loi fondamentale, et confirmé que la Constitution formait « un tout », l’article 38 ne pouvant, par un exercice idéel sans fondement intellectuel et rationnel d’aucune sorte, se trouver extrait en propre et substitué au Chapitre XI expressément destiné à l’organisation du régime de révision de la Constitution.

Abdoul Lô Gourmo, vice-président de l’Union des Forces du Progrès (UFP – membre actif du FNDU), et professeur de Droit public, de considérer à son tour le recours à l’article 38 comme une disposition à portée générale, subordonnée aux dispositions des articles 99, 100 et 101 de ce même chapitre XI.

Cette substitution du chapitre XI par l’article 38 a de lourdes conséquences. En premier lieu, celle du précédent juridique, soit l’établissement tacite de permissions ultérieures de mobilisation de l’article 38 en tant que fondement valable des procédures de révision de la Constitution.

La substitution du chapitre relatif à la révision de la Constitution par l’article organisant le référendum sur initiative présidentielle étend considérablement les pouvoirs du chef de l’Etat, au-delà même du verrou constitutionnel que constitue l’article 99 : «Aucune procédure de révision ne peut être engagée si elle remet en cause l’Etat ou porte atteinte à l’intégrité du territoire, à la forme républicaine des institutions(…) ou au principe de l’alternance démocratique au pouvoir et à son corollaire, le principe selon lequel le mandat du Président de la République est de cinq ans, renouvelable une seule fois».

La substitution du chapitre relatif à la révision de la Constitution par l’article organisant le référendum sur initiative présidentielle étend considérablement les pouvoirs du chef de l’Etat

Le contournement des dispositions du Chapitre XI est, très incontestablement, frappé d’inconstitutionnalité. Il en va de même de l’usage de l’article 38, intervenu dans le mépris total des règles élémentaires du droit positif mauritanien.

L’article 61 de la Constitution de 1991 décrit les conditions d’exercice de l’initiative législative : «L’initiative des lois appartient concurremment au Gouvernement et aux membres du Parlement. Les projets de loi sont délibérés en Conseil des Ministres et déposés sur le bureau d’une des deux Assemblées».

Ces conditions sont confirmées et précisées par l’article 66 : «Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement par les deux Assemblées en vue de l’adoption d’un texte identique». La lettre de la Constitution a le mérite de la clarté en même temps que celui de la sobriété.

Sobriété vaine, sous les cieux de l’actuelle présidence: le projet de loi référendaire, s’il a effectivement fait l’objet d’une délibération en Conseil des Ministres, ne sera jamais présenté ni, à plus forte raison, examiné par aucune des deux chambres.

Ce contexte est encore aggravé par l’invraisemblable non association du Conseil constitutionnel à l’évaluation et au contrôle du vote référendaire, conformément aux dispositions de l’article 85 de la Constitution, reconnaissant au Conseil la qualité de garant de la régularité des opérations de référendum.

Conseil dont le silence assourdissant et l’attentisme constituent un véritable détournement et abandon des fonctions qui sont les siennes, laissant voir la triste réédition de la caution qu’il apporta en 2009 au coup d’Etat contre l’unique président de la République démocratiquement élu de l’histoire du pays.

L’abusive bataille d’une administration au front, et la résistance ferme du camp du boycott

Le projet de référendum porte une menace sérieuse de tentative de modification des articles 26, 28 et 99, relatifs au mandat présidentiel : le quinquennat renouvelable une seule fois. Une intention que le gouvernement dément, puis confirme, puis dément et confirme à nouveau. Des intentions qui doivent faire objet d’un examen sérieux, à plus forte raison quand elles émanent des hauts représentants de l’Etat.

Ainsi, quand le Premier Ministre et le président de l’UPR affirment, publiquement, que «le Président Aziz va briguer un troisième mandat pour parachever ses projets», comment considérer, sinon avec la plus extrême gravité, les risques du coup d’Etat institutionnel annoncé?

Néanmoins, gardons-nous bien d’imputer ces ambitions au général-président, puisque «ce sont (…) ses soutiens qui lui demandent de ne pas les lâcher.(…) Le Premier ministre et le ministre de l’Economie et des Finances, ont affirmé en diverses circonstances que la majorité actuelle restera aux commandes de l’Etat après l’échéance de 2019.

Ce qui naturellement laisse supposer la perspective d’une candidature au sein du sérail et en dehors de la personne de l’actuel chef de l’Etat.». Nous voilà rassurés, par cet énoncé venu apporter éclairage quant au devenir potentiel de la transition politique : l’hypothèse du maintien indirect de l’homme providentiel.

L’alternance des affirmations et démentis de l’ambition du troisième mandat relèvent, d’une part, d’une incertitude réelle quant aux modalités du maintien dans l’après 2019, et, d’autre part, d’une confusion recherchée. Une confusion qui vise la prévention de la contestation et la résignation populaire dans le cas d’une conservation du pouvoir ainsi « attendue ». Par ailleurs, comment ne pas entrevoir la personnalisation du vote référendaire, véritable plébiscite organisé pour le président?

L’alternance des affirmations et démentis de l’ambition du troisième mandat relèvent, d’une part, d’une incertitude réelle quant aux modalités du maintien dans l’après 2019, et, d’autre part, d’une confusion recherchée

Les banques, hôtels, restaurants, complexes touristiques, fédérations de toutes sortes, personnes privées et publiques affichent, «pour valoriser les réalisations de Monsieur le Président», leur soutien aux amendements constitutionnels. La capitale est devenue, un peu plus nettement, la scène où se joue la comédie de la courtisanerie– comme toujours, en période de campagne.

L’administration, dans son entièreté, fait campagne, à commencer par…. Ould Abdel Aziz, qui, se déplace de ville en ville, personnellement. Les ministres, hauts fonctionnaires, directeurs d’établissement, ainsi que les administrations régionales sont, bien entendu, mobilisés.

Les officiers supérieurs ne sont pas en reste. Ils constituent la colonne vertébrale du pouvoir d’essence militaire et leur engagement est total, malgré l’interdiction de toute immixtion dans les affaires publiques à laquelle l’armée est supposée soumise.

Le vendredi 21 juillet 2017, au lancement de la campagne référendaire, le général-président s’enthousiasme: «Pendant toute la campagne pour le référendum constitutionnel, nous serons occupés!». Les fonctionnaires désertent les bureaux, et tant pis pour la mission de garantie de la continuité du service public. Tous doivent, sur la base du contrôle de présence et sous peine de sanctions, se présenter d’abord au meeting du 21 juillet, puis œuvrer, toute la campagne durant, dans le sens de l’adhésion au «oui» des administrés.

Devançant le lancement même de la campagne, la ministre de la Communication exhortait les directeurs et responsables des médias publics à faire campagne pour le référendum et «la réussite de la réforme constitutionnelle». La Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA), par la décision de la réservation de temps d’antenne «aux seules forces politiques favorables au «oui» ou prônant le «non», écarte, de fait, le principal pôle d’opposition démocratique, consacrant par là-même la participation quasi exclusive des voix favorables au soutien des amendements constitutionnels- la campagne se trouvant polarisée entre les camps du «oui» et celui du boycott.

Campagne déloyale s’il en est, et répressive de surcroît. Tous les jours, des marches sont organisées. Certaines sont interdites. Toutes, par la force de conviction des opposants à la réforme, sont maintenues. La plupart sont violemment réprimées.

Comprenez : des activistes, brandissant des banderoles laissant lire «on ne vote pas», «non à un troisième mandat», «nous rejetons la réforme constitutionnelle», constituent autant d’actes «agressifs en la personne du Président et au référendum». Arrestations massives et répression violente répondent aux marches pacifiques des citoyens faisant expression de leurs libertés publiques et individuelles, consacrées en l’article 10 de la Constitution de 1991.

Les leaders politiques sont personnellement visés. C’est le cas notamment du sénateur frondeur Mohamed Ould Ghadda, victime d’un véritable acharnement de la part du régime, en sa personne et en ses biens. Opposer un «non» au projet présidentiel, en tant qu’élu du peuple? Voilà qui assurément mérite correction.

Mais l’opposition démocratique résiste, fermement. Jemil Ould Mansour, président du parti d’opposition Tewassoul et président en exercice du FNDU, constate et affirme: «Nous avons été réprimés, mais aucune force ne freinera notre droit de manifester». Mohamed Ould Maouloud, président de l’UFP, au sujet de l’usage de la force par les autorités, dresse le constat d’une «fébrilité, une peur réelle de ce pouvoir, de voir le peuple mauritanien s’exprimer sur le référendum (…)», «d’une «répression signe de faiblesse».

Répondre, en toute légalité, à l’illégalité institutionnalisée

D’irrégularité en irrégularité, le projet de réforme de la Constitution constitue, une éclatante illustration du mépris affiché par le régime à l’endroit des dispositions du droit positif mauritanien.

Il faut organiser la résistance, et ne pas manquer l’occasion qui s’offre de la contestation des violations répétées du droit par le régime. En ce qu’elle est, en tous points, irrégulière, la contestation de la validité du référendum doit être engagée aux moyens des dispositions établies : la saisine du Conseil constitutionnel, supposé pilote des élections, par les autorités compétentes (le Président de la République, les Présidents des deux chambres du Parlement, le tiers des députés ou le tiers des sénateurs) ou, dans le cadre des élections ou référendums, par tout électeur.

Il importe de manifester, en toute circonstance, son estime inconditionnelle pour la primauté du droit dans la gestion des affaires publiques et politiques, et de répondre, en toute légalité, à l’illégalité institutionnalisée

Sans se laisser aller à la croyance naïve en la soudaine marche régulière des dispositions légales et des institutions de l’Etat, il importe de manifester, en toute circonstance, son estime inconditionnelle pour la primauté du droit dans la gestion des affaires publiques et politiques, et de répondre, en toute légalité, à l’illégalité institutionnalisée.

En Mauritanie, et au sein des pays de la sous-région et du continent, il est un devoir impératif de garder intacte l’ambition d’une sortie de l’état de non droit, et de la routinisation des irrégularités par ceux-là mêmes qui sont supposés astreints au devoir d’exemplarité et d’éthique. Le mépris du droit est devenu la norme. C’est cela même qu’il faut, dans une détermination lucide, fermement condamner.

Source : Mondafrique