Boubacar Messaoud : « L’esclavage et le racisme doivent être résolument combattus pour éviter des crises identitaires »

Boubacar Messaoud :  Discours prononcé par le président de SOS Esclaves Boubacar Messaoud à la tribune de Genève à l’occasion de la présentation au conseil international des droits de l’homme du rapport de Philip Alston, rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté qui a entrepris une visite en Mauritanie entre le 2et le 11 mai 2016. Le rapport a été présenté entre le 5 et le 6 juin 2017.

Je remercie Monsieur le Rapporteur Spécial Philip Alston pour son rapport qui nous a beaucoup impressionnés par sa rigueur exceptionnelle, son courage et son exemplarité. Dans les 40années de mon travail de militant de droits humains, c’est le rapporteur qui m’a le plus marqué par son engagement.

Nous apprécions qu’il ait visité beaucoup de sites représentatifs de la misère engendrée par l’exclusion et la marginalisation si répandues dans notre pays. Monsieur Alston a découvert par lui-même la réalité de l’esclavage et de ses terribles séquelles.

La pratique de l’esclavage est encore très répandue en Mauritanie de nos jours. Toutes les communautés du pays ont une tradition esclavagiste. Les victimes vivent sous le contrôle direct de leurs maîtres pendant toute leur vie. Elles sont des objets de propriété et ne reçoivent jamais de paiement pour leur travail.

Celles qui fuient l’esclavage vivent dans le dénuement total. Pour la plupart, elles n’ont pas accès à l’état civil et elles restent stigmatisées et exclues de l’éducation et des opportunités de l’emploi.

Les personnes qui sont considérées comme appartenant à la caste des esclaves, mais qui ne sont plus en esclavage sont victimes de stigmatisation et de discrimination et sont aussi marginalisées tant sur le plan économique que politique.

Au fil des années, le gouvernement a pris tout un ensemble de mesures législatives, politiques et programmatiques pour combattre l’esclavage, mais a démontré, à plusieurs reprises, son inaction et son manque de volonté de les mettre en œuvre.

Il n ya eu que trois condamnations depuis que l’esclavage est criminalisé assorties de peines clémentes. L’esclavage n’apparaît que lorsqu’il est dénoncé par des victimes en désarroi, et c’est ainsi que SOS Esclaves a assisté prés de 300 victimes dans cette situation depuis la naissance de l’association. Nous estimons que des milliers d’autres victimes existent encore.

En effet, les mesures initiées par le gouvernement représentent souvent une tactique pour apaiser les observateurs internationaux. Le président et les hauts fonctionnaires du gouvernement continuent à nier, de façon catégorique, l’existence de l’esclavage, reconnaissant seulement l’existence de ses séquelles.

Le président Mohamed Ould Abdel Aziz a également dit dans un discours à Néma le 3 mai 2016 que la pauvreté des Hratines était due à leur « tendance » à avoir trop d’enfants. De telles déclarations créent un environnement hostile aux poursuites et à la mise en œuvre des mesures de lutte contre l’esclavage.

Etant donné que les élites gouvernementales ont souvent de fortes connexions avec les esclavagistes avec les esclavagistes et des intérêts à maintenir le statuquo, s’assurer que les lois contre l’esclavage sont appliquées représente un défi majeur.

La police et les autorités judiciaires se sont montrées réticentes à enquêter ou à entamer des poursuites sur la base de dénonciations d’esclavage rapportées par notre association. Les activistes de lutte contre l’esclavage sont aussi confrontés au harcèlement et à l’emprisonnement.

Alors que l’établissement de l’Agence Tadamoun en 2013 semblait être un développement positif, l’Agence a entrepris très peu de travail sur l’esclavage. Il n y a pas eu de transparence concernant ses activités et son budget, malgré les requêtes, et elle n’a pas consulté de façon adéquate les organisations de la société civile.

Comme Monsieur le Rapporteur a si bien dit dans son rapport, l’agence Tadamoun est censée être une agence de développement, mais, je le cite : « à l’exception de ses travaux sur le programme de transfert de fonds, elle semble , dans la pratique, agir plus comme un organisme de bienfaisance majeur cherchant à laisser sa marque grâce à des activités de construction.

En général, l’agence elle-même n’est donc ni responsable, ni engagée dans le processus d’opérationnalisation de ses bâtiments. Les écoles et les centres de santé sont tout simplement remis aux autorités compétentes avec l’espoir que ceux-ci trouveront les ressources humaines et les capacités administratives pour faire fonctionner et réparer les installations… »

Pour venir aux recommandations :

Le gouvernement , à ses plus hauts niveaux, doit reconnaître la nature et l’ampleur du problème de l’esclavage dans le pays, avec des efforts accrus pour poursuivre et condamner les maîtres d’esclaves, qui devraient recevoir des peines lourdes, proportionnelles au crime commis en conformité avec la Constitution qui qualifie l’esclavage de crime contre l’humanité.

Le gouvernement doit s’assurer que les poursuites au niveau des tribunaux spéciaux contre l’esclavage soient facilitées et traitées dans un délai convenable, avec des brigades spécifiques pour la recherche des victimes objets de plaintes auprès de chaque tribunal.

Il fait aussi confier aux organisations de la société civile des grandes campagnes de sensibilisation autour de la loi et des condamnations. L’Etat doit développer des campagnes pour la délégitimation réelle de l’esclavage.

Bien que les dispositions de la loi de 2015 contre l’esclavage, constituent un progrès, il reste à instituer la protection et la prise en charge des victimes. Il faut de grands efforts pour faciliter la réintégration globale et économique de ceux qui étaient soumis à l’esclavage, y compris les descendants d’esclaves, et s’assurer qu’ils ont accès aux services et aux ressources.

Les Etats qui sont partenaires de la Mauritanie devraient coordonner leurs efforts pour augmenter l’impact de leur plaidoyer concernant l’esclavage. La recommandation du Rapporteur Spécial d’un « groupe d’amis de la Mauritanie » parmi les bailleurs du gouvernement est pertinente.

Pour contribuer à la fin de la marginalisation de certains groupes et pour réaliser l’équité entre les composantes nationales, les partenaires techniques et financiers de la Mauritanie doivent exiger la pratique de la discrimination positive.

L’exclusion et la marginalisation créent un terreau favorable à l’extrémisme violent. L’esclavage et le racisme doivent être résolument combattus pour éviter des crises identitaires et la guerre. L’état des lieux qu’à fait Monsieur Philip Alston apporte une réelle contribution aux problèmes que nous avons évoqués ici. Nous exhortons l’Etat à tenir compte des recommandations issues de ce rapport.

Je vous remercie de votre aimable attention.

Source : SOS Esclaves