Retour de Birame : « La célébrité n’est pas un crime ! »

Retour de Birame : « La célébrité n’est pas un crime ! »Après une nuit passée à Dagana, où ils ont eu l’occasion de visiter certains réfugiés mauritaniens qu’un long exil a définitivement cloué au Sénégal, le président de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), Birame Dah Abeid et sa délégation sont venus tôt le matin du dimanche 15 janvier 2017 à Rosso Sénégal.

Au loin, miroitent les rives mauritaniennes dont ils s’apprêtent à fouler le sol. Un plongeon vers l’inconnu. Rosso Mauritanie, 7 heures. Le quartier Médine s’extirpe peu à peu de sa torpeur. Seuls quelques commerçants empressés hantent les rues à demi-déserte. Les odeurs de poisson pourri et d’ordures en décomposition empestent l’air matinal.

Sur le tronçon qui mène vers le marché Ndiourbel, plusieurs pick-up de la Police. Un calme impérial règne, alors qu’un soupçon d’inédit plane sur la ville. Le retour de Birame Dah Abeid, président d’IRA, habite les subconscients.

Le leader antiesclavagiste avait choisi pour son retour en Mauritanie, après une tournée internationale de huit mois, la date symbolique du 15 janvier et le lieu historique de Rosso.

Car c’est dans cette ville et à cette date qu’il a été condamné en 2015 à deux ans de prison, suite à une caravane contre l’esclavage agricole. Cette arrivée semble avoir jeté la panique au sein des autorités mauritaniennes. Il fut ainsi décidé en marge du conseil des ministres du 12 janvier dernier, d’interdire toute activité du mouvement IRA sur l’ensemble du territoire national.

A la veille de l’arrivée de Birame à Rosso, plusieurs compagnies de la police et de la garde ont été dépêchées de Nouakchott alors que toutes les forces de sécurité étaient mises sous alerte maximale. Les pontes du parti-état, l’UPR, la fédération du Trarza en particulier, avaient débarqué pour faire du porte-à-porte et dissuader la population contre tout accueil du leader d’IRA.

Sur la grande allée marchande de Rosso, une Toyota blanche banalisée fait des navettes. « C’est le commissaire central et le préfet. Depuis ce matin, ils font des va-et-vient » renseigne un vendeur de pastèques.

Plus loin, la vie s’anime. Des femmes, bassines sous l’aisselle, font leurs emplettes. Des commerçants avachis sur leurs marchandises guettent leur premier client. Je me paye un hawli blanc. « Combien de mètres ? » s’enquiert un vieux commerçant. « Pas trop court ni trop long, pas en tout cas un Hawli de Terrouzi » plaisantais-je. « Tu ne veux pas un Hawli à la Boydiel ! » me renvoie-t-il taquin. « Il paraît qu’il porte 10 mètres de tissu sur la tête. Un vrai Hawli de Prince ! » lance un faiseur de thé, comme pour agrémenter la discussion en faisant allusion au Hawli légendaire de Boydiel Ould Houmeid, président du parti El Wiam.

La tête et la moitié du visage mangées par mon nouveau Hawli de quatre mètres de long, je m’engouffre dans les dédales du marché. Je débouche sur la porte d’accès au débarcadère de Rosso. Celui réservé aux piétons et aux voyageurs à bagages légers. Deux gendarmes en gardent l’entrée. Alentour, l’effervescence des grands départs, entre passagers alanguis, vendeurs hétéroclites, trafiquants de devises et tieb-tieba de tout acabit.

Une sourde clameur s’élève dans ce gargouillis dominé par les pousse-pousse. Je cherche un subterfuge pour accéder au bac et suivre l’arrivée de celui que toute la ville de Rosso, et toutes les autorités mauritaniennes, attendent avec appréhension. « J’ai un colis qui doit me parvenir du Sénégal et j’aimerais le réceptionner ! » Je savais qu’il fallait inventer n’importe quoi, sauf le titre de journaliste.

Le Niet est d’office catégorique. Je n’avais donc pas trouvé mieux. « Il vous sera amené ici, ou à défaut, il faut attendre 11 heures ! » me lance le plus gradé. « Pas possible d’accéder au bac avant cette heure ? » m’enquis-je. « Non, il faut attendre comme tous les autres passagers ». Il me désigna du doigt quelques personnes qui faisaient le pied de grue, les affaires jetées à terre.

Je décroche, pour tenter un autre scénario. Devant la BMCI, le grand portail du débarcadère est fermé. Seuls les véhicules et les bagages lourds y passent ou tous ceux que les gendarmes veulent laisser passer en temps normal. Mais aujourd’hui, c’est exceptionnel. Personne ne passe. Un barrage de policiers et de gendarmes en interdisent l’accès.

A quelques pas, une vendeuse de café. Quelques clients grignotent leur petit déjeuner, assis sur de longs bancs en bois, en scrutant le portail. « Il n’est pas encore venu, ce Birame ? » s’enquit un quinquagénaire. Entre ses doigts noircis par la nicotine, un mégot fumant et le corps brusquement secoué par une quinte de toux qui l’obligea à se courber.

Deux touristes portugais, debout à quelques enjambées sont accrochés par un « passeur ». Les travailleurs informels qui vivent du bac sont mécontents. « Nous, on n’a pas de problèmes. Tout ce qu’on cherche, c’est notre pitance. Nous n’avons rien à cirer de Birame ou d’IRA » lance un jeune homme, arborant une coupe de barbe bien dessinée. « En tout cas, il n’a qu’à venir rapidement pour qu’on puisse travailler » renchérit un gros gaillard, pull en coton blanc moulé au corps. Puis, la discussion s’engagea sur Birame, sur IRA, sur Aziz.

Pendant un certain temps, les tieb-tieba du Bac de Rosso, plus habitués à parler devises, s’étripèrent à coups d’arguments politiques. Un policier, dos tourné à l’Ecole d’instruction militaire, surveillait la ruelle menant vers le marché, tandis que plus loin, sur le carrefour, quatre Toyota de la Police étaient stationnées. Elles étaient remplies d’hommes en uniformes noires.

Certains arboraient des casques anti-émeutes, d’autres des cagoules noires. Plusieurs civils enturbannés déambulaient. « Ce sont des policiers en civil. Il en est venu depuis hier plusieurs dizaines » renseigne un ancien garde reconverti dans l’informel. Beaucoup d’hommes aussi en blouson sport. « Là, ce sont les agents secrets du Basep » ajouta-t-il.

Quelques journalistes tentent de trouver la meilleure place pour couvrir l’arrivée imminente de Birame Dah Abeid, président d’IRA, dont la venue provoque tant d’effervescence à Rosso.

Puis, la Toyota banalisée s’arrêta. Un commissaire de police en descendit. Quelques minutes plus tard, un policier vint chasser tout le monde. Les déguerpis s’installèrent quelques mètres plus loin devant une boutique.

Bandoulière de Sénateur au tour de la poitrine, Youssouf Sylla s’avance vers les policiers en faction devant le débarcadère. Il tient à accueillir Birame. « Vous personnellement, vous n’êtes pas autorisé à passer » lui lance un brigadier. Le Sénateur, fulminant de rage s’engouffra dans sa Toyota blanche et rebroussa chemin. Sur son passage, quelques groupes épars, dont plusieurs militants d’IRA, discrets.

10 h 30. Un mouvement inhabituel. Les policiers prirent de la vigueur. Le commissaire vint en personne vider la route menant vers le débarcadère. « Birame est venu ! Lui et ses amis font leurs formalités ! » susurra un tieb-tieba, renvoyé alors qu’il avait pu accéder au débarcadère.

Renseignements pris, l’information est confirmée. Le commissaire apostropha un journaliste. « Vous là, bouger de là ! ». Ce dernier tenta un dernier baroud d’honneur. « Tu fais ton travail et je fais le mien. Je suis journaliste et je suis ici pour accomplir mon job ! » Désarçonné, le commissaire le toisa, puis lui lança : « d’accord ! Alors dans ce cadre, il faut te rendre à la porte d’entrée pour voyageurs, et cherche à accéder au bac. Mais tu ne peux pas rester là ! »

Vu que la discussion est inutile, le journaliste décida d’aller prendre du thé au marché en attendant la suite des évènements. Dès son premier verre, l’information tombe. « Birame et ses compagnons sont sortis. Ils sont en ville ! » Dans le vieux quartier de Satara, lieu d’hébergement du leader d’IRA et ses compagnons, c’est foule. Une dizaine de Pick-Up de la police et de la garde encerclent quelques rues plus loin. Devant la maison, un rassemblement.

Le filtrage est strict. La demeure, trop exigüe, ne pouvait pas accueillir tout le monde. Dans un vaste salon, Birame en chemise bleue, pantalon chocolat et cravate, est rayonnant.

A ses côtés, le sénateur Youssouf Sylla, mais aussi sa vice-présidente Coumba Dado Kane et plusieurs militants, dont la Noria du mouvement Marième Cheikh, le chargé de com.Hamady Lehbouss et le trésorier du mouvement, Ahmed Hamdi. Le brouhaha est énorme, couvrant les échanges entre Birame et ses visiteurs.

La conférence improvisée qu’il tente de donner aux journalistes qui avaient fait le déplacement sera coupée plus de dix fois. « Est-ce un crime que d’être accueilli par ses partisans ? A Rosso Sénégal où je me trouvais, près d’un millier de personnes s’est spontanément regroupé autour de moi, sans que cela n’ait suscité la mobilisation des forces sénégalaises. C’est le lot de toutes les célébrités. Etre célèbre ne semble être un crime qu’en Mauritanie » commenta Birame avant de se confier à la presse.

Cheikh Aïdara
 

Source : L’Authentique (Mauritanie)