Mauritanie : vous avez dit « esclavage » ?

Mauritanie : vous avez dit « esclavage » ?  Si les chiffres étayant une détestable survivance du passé font défaut, les discriminations que subissent les populations négro-africaines sont une réalité tangible.La Mauritanie est-elle le pays le plus archaïque du monde avec des centaines de milliers d’esclaves ? Le colloque organisé le 18 octobre à l’Assemblée nationale française par le député socialiste François Loncle n’a pas apporté de de réponse claire.


En revanche, le Mauritanien Biram Dah Abeid, l’impétueux fondateur de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), sillonne le monde, de Paris à Rome et de Genève à Washington, pour clamer sur les ondes et dans les journaux que « la population mauritanienne compte 20 % d’esclaves [soit 800 000 personnes], qui n’ont pas droit au repos, ne touchent pas de salaire, n’ont accès ni à l’éducation ni aux soins, et dont les femmes sont violées ».

Son discours incendiaire contre le pouvoir du Président, Mohamed Ould Abdelaziz, qu’il qualifie de « tortionnaire » et même de « génocidaire », impressionne les Nations unies et les Occidentaux, qui l’ont distingué à plusieurs reprises pour son combat en faveur des droits de l’homme.

Une kyrielle d’associations mauritaniennes chassent sur les mêmes terres (SOS Esclaves ; Manifeste pour les droits politiques, économiques, sociaux et culturels des esclaves et anciens esclaves ; Association pour l’éradication de l’esclavage et de ses séquelles, etc.). Des avocats, comme Fatimata Mbaye, en ont fait leur cause de prédilection dans les médias.

De faibles sanctions

Seulement voilà, aucun de ces procureurs n’est en mesure de donner des chiffres précis sur cette monstruosité. Walk Free, l’ONG qui vient d’attribuer à Biram Dah Abeid le prix Lawson James, estimait le nombre d’esclaves en 2014 à 160 000. Concrètement, ce sont un ou deux cas avérés qui sont portés chaque année devant les tribunaux. Derniers en date, ceux de Fatimetou Mint Hamdi et de Fatimata Mint Zayid – et de leurs dix enfants –, dont les « employeurs » ont été condamnés le 16 avril à cinq et quatre ans de prison, dont un an ferme.

L’adoption de lois pénales, la création de tribunaux spécialisés et la modification de la Constitution, où l’esclavage est qualifié de « crime contre l’humanité », les militants dits antiesclavagistes n’y croient pas. De la poudre aux yeux, répondent-ils en chœur. D’abord parce que les pouvoirs publics ne s’empressent guère de débusquer les esclavagistes, affirment-ils. Ensuite parce que leurs peines sont légères et que le plus souvent elles ne sont pas exécutées.

Nombre de Mauritaniens ne partagent pas ce point de vue. « Il est vrai que l’esclavage a sévi chez nous plus tardivement qu’ailleurs, reconnaît Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine, président du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU), principale force de l’opposition, peu suspecte de complaisance à l’égard du régime d’Abdelaziz. Depuis les années 1980, il n’y a plus d’esclavage formel, même si, ici et là, peuvent exister des cas qui s’y apparentent. »

Un phénomène sous estimé

L’imam Mohamed Vall Ould Mohamed Ould Rachid, qui vient de claquer la porte de l’IRA parce qu’il n’arrivait pas à infléchir les discours trop violents de Biram, juge « inacceptable » le chiffre avancé de 160 000 esclaves. Pour lui, « oui, il existe des cas cachés, comme l’est la consommation d’alcool.

Il arrive que des mineurs soient “confiés” par leurs familles, qui n’ont pas les moyens de les nourrir, à d’autres familles, lesquelles en font leurs domestiques. Mais il y a surtout une extrême pauvreté, qui est encore pire que l’esclavage. On voit des enfants haratines ramasser les ordures, et personne n’en parle ».
« Biram exagère, disent Samba Thiam, président des Forces progressistes du changement (FPC), les anciens séparatistes des Forces de libération africaines de Mauritanie (Flam), et Dia Alassane, président de Touche pas à ma nationalité. Ce n’est pas dans les proportions qu’il avance.

Mais, dans l’est du pays, les mentalités moyenâgeuses persistent, et des enfants sont dits “membres” d’une famille alors qu’ils ne vont pas à l’école et ne mangent pas à la table familiale. En ville, on trouve des sortes de boys à peine rémunérés. »
Une fracture historique et sociale

En réalité, le lamento antiesclavagiste recouvre une véritable blessure collective née de la répression dont ont été victimes les Haratines (descendants d’esclaves, mais dont certains ont eu, eux aussi, des esclaves…) et les peuples de la vallée du Sénégal, à la fin des années 1980.

Depuis, la fracture entre les Noirs ou Négro-Africains (Peuls, Soninkés, Wolofs) et les Blancs, ou Beydanes (Maures, Berbères, Arabes), n’a pas été réduite. L’instauration de l’arabe comme seule langue officielle a creusé encore le fossé, plus de la moitié des Mauritaniens ne le comprenant pas.

« Il faut que les Beydanes partagent le pouvoir avec les autres communautés », revendique Samba Thiam. « Nous sommes des citoyens de seconde zone, et la carte d’identité a été un moyen d’épuration sur une base ethnique », renchérit Dia Alassane. « Le vrai problème, ce sont les séquelles de l’esclavage, analyse Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine.

Quatre-vingt-dix pour cent des Haratines, qui représentent la moitié de notre population, n’ont pas accès à la propriété, et leurs enfants ne sont pas scolarisés. Ils vivent dans des conditions déplorables. C’est une bombe à retardement beaucoup plus dangereuse que les quelques cas exotiques d’esclavage que des farfelus montent en épingle. »

C’est ce qu’a souligné, le 11 mai, Philip Alston, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains, dans sa déclaration de fin de mission. Il n’y parle pas d’esclavage, mais il dénonce « la pauvreté écrasante » dans laquelle vivent les populations des régions méridionales, comme le Gorgol, le Trarza et le Brakna.

Au grand dam de la classe dominante, il affirme que « les Haratines et les Afro-Mauritaniens sont systématiquement absents de toutes les positions de pouvoir réel et sont continuellement exclus de nombreux aspects de la vie économique et sociale ».
L’insistance des responsables à dire qu’il n’y a pas de discrimination en Mauritanie peut « être considérée comme une preuve du contraire », dit-il. Le refus du gouvernement de tenir compte de l’appartenance ethnique sert à renforcer le statu quo, estime-t‑il. À preuve, « les individus des groupes exclus constituent l’écrasante majorité de ceux qui n’ont pu obtenir une carte d’identité nationale, sans laquelle on n’est plus rien ».

Ajoutons que visiter le musée national de Nouakchott, c’est assister à une mise en scène anachronique et fallacieuse de la magnificence des royaumes arabo-­berbères dans un déni total de l’histoire des Négro-Mauritaniens. Il faut aussi savoir qu’un membre du gouvernement mauritanien précédent, quoique beydane, a été évincé de son poste pour avoir affiché une trop grande proximité avec ses compatriotes négro-mauritaniens.

Et s’il fallait ajouter une preuve supplémentaire de ce grave problème d’exclusion que tente de gommer le pouvoir, la liste des nominations aux plus hauts postes de la police nationale, publiée le 31 octobre, en apporte une preuve éclatante : sur 46 promus, on compte 45 Beydanes et une Peule. Dans ces conditions, qui porte atteinte à l’unité de la nation mauritanienne ?

Incohérence

« La dictature continue ! » Comment ne pas comprendre cette exclamation de Samba Thiam, président des Forces progressistes du changement (FPC, ex-Forces de libération africaines de Mauritanie ou Flam), qui a vu, le 11 novembre, l’accès du siège de son parti interdit par la police. En octobre, il avait pourtant été invité officiellement en tant que parti d’opposition au « dialogue inclusif » organisé par le gouvernement.

Le 8 novembre, il était reçu par le chef de l’État pour en parler. Cette incohérence a deux explications complémentaires. La première est que la majorité présidentielle est divisée. Une partie continue à voir dans les FPC, qui plaident pour une représentation plus équitable des Négro-Mauritaniens dans la vie du pays, une menace pour l’unité du pays.

Une autre estime que les FPC ont leur place dans le dialogue puisqu’ils ont abandonné les discours antibeydanes (les Blancs) que tenaient les Flam, dont elles sont issues. La seconde explication est que le président Abdelaziz n’arrive pas à trancher entre ces deux courants. Si « dictature » il y a, elle ne sait pas où elle va !
Source : Jeune Afrique